Le soignant en santé communautaire dans une perspective systémique va situer la problématique de l'abus et/ou de la dépendance aux médicaments à l'articulation des sous-systèmes soignants-soignés, au niveau des interactions, des croyances et des représentations qu'ils véhiculent.La pratique des soins va consister à identifier et stimuler les ressources du patient et de son entourage dans la gestion de sa vie quotidienne.Conscient de l'interdépendance des compétences du système thérapeutique, le soignant va favoriser la construction de passerelles pour faire circuler les échanges, les informations.
L'approche systémique peut être considérée comme une méta-théorie dans la mesure où elle s'est développée aux carrefours de disciplines multiples et relie les approches holistiques et analytiques-dualistes. Elle s'est forgée une vision toujours plus globale de l'individu en tant que système pluridimensionnel en échange avec son contexte de vie. La pensée systémique élabore des théories sur la santé, la maladie et la thérapie, qui s'adressent non seulement à la psychothérapie, mais à la médecine et à l'art thérapeutique dans son ensemble.1
Les sciences des soins, nourries de savoirs et d'expériences empiriques, d'art et de sagesse et qui constituent le fondement de la fonction des infirmières2 se situent dans cette perspective holistique.
En se médicalisant, les soins infirmiers ont perdu et délaissé tout ce qui prend sens pour assurer la continuité de la vie des hommes et leur raison d'exister. En abandonnant tout le très vaste domaine d'entretien de la vie, ou en le reléguant comme secondaire, mineur et d'aucune importance, il se crée une immense béance au niveau des soins infirmiers.3 Dans l'optique du soin qui se différencie du traitement, le patient est appréhendé au sein de sa famille, de sa communauté d'appartenance, de son environnement avec lesquels il interagit et coévolue, d'où s'articulent le sens et la valeur de son existence.
Une problématique de santé, telle que l'abus et/ou la dépendance aux médicaments ne peut être isolée du contexte de son apparition. Chaque événement renvoie à un contexte, c'est-à-dire que chaque comportement humain, y compris symptomatique, peut être décodé et éventuellement changé, uniquement en travaillant dans et avec le contexte d'appartenance.4
Le rôle du soignant et notamment celui de l'infirmier(e) va contribuer à ce travail d'exploration des codes, des règles, des rôles, des représentations, et des interactions qui participent à l'inscription d'un comportement tel que l'abus de médicaments chez un patient au sein de son entourage, dans un dialogue centré sur la gestion de sa vie quotidienne.
Un des concepts-clés de l'approche systémique amène à considérer les sous-systèmes soignants et soignés comme faisant partie du système thérapeutique, au sens où l'observateur d'un objet n'est pas extérieur à son observation, il la constitue. Les composantes du système thérapeutique : thérapeutes, patient et sa famille sont étroitement et circulairement en corrélation, au point d'être globalement impliquées à chaque moment et pour chaque aspect du processus thérapeutique même.5 Ce point de vue a pour conséquence de concevoir les démarches de soin comme étant des coconstructions, à la fois du sens donné à la problématique, et d'élaborations de solutions.
Les passages qui ponctuent le cycle de vie d'un patient et de sa famille permettent de mettre en évidence la flexibilité plus ou moins grande avec laquelle le système familial et le patient, se sont adaptés à la réorganisation et aux changements nécessaires, aux difficultés. Les places, les rôles, les tâches se modifient lors de ces transitions ainsi que les stratégies d'adaptation. Dans ce laps de temps des transitions, les membres du système familial sont vulnérables.
La résolution d'un problème de santé avec les relations familiales engendre certains phénomènes qui affectent la dynamique familiale tels que : des comportements de surprotection et de dépendance, l'ambiguïté des rôles et des règles, l'expression indirecte des comportements, la redéfinition de la relation conjugale et l'isolement du malade et de la famille.6 De même, la dynamique familiale influence la gestion des soins et le suivi du traitement.
Les ressources qu'ont mobilisées le patient et sa famille lors d'événements de l'ordre d'une crise sont des potentiels à exploiter pour faire face à la problématique telle que la dépendance aux médicaments.
Les questions dites circulaires, systémiques permettent de faire des liens entre les différents éléments du système et de faire circuler cette information entre les membres de la famille. Ils deviennent des observateurs de leurs comportements systémiques, ce qui peut les conduire à modifier les perceptions qu'ils vivent. Ces nouvelles perceptions peuvent engendrer de nouvelles solutions à leurs difficultés.6
La personne âgée et isolée de son milieu d'appartenance est extrêmement fragilisée lors de situations de crise par manque de support social.
Dans cette situation l'abus de médicaments dans sa complexité, à des niveaux : interactionnels, langagiers, affectifs, existentiels, émotionnels, se négocie presque exclusivement avec les soignants.
Notre vision du monde détermine nos orientations et constitue une grille de lecture des événements.
Dans le cas de la dépendance aux médicaments, les «remèdes» utilisés au sein de la famille et dans la culture d'appartenance vont jouer un rôle déterminant dans la définition de la problématique, ainsi que dans la cogestion des soins.
Dans la relation soignants-soignés, les représentations et les rapports à «la norme» que chacun s'est forgés vont se confronter et/ou se compléter au niveau thérapeutique. Par conséquent, dans le domaine touchant la médication, le soignant devrait pouvoir identifier avant d'intervenir, ce qu'il privilégie et pratique dans sa propre écologie de vie en ce qui concerne l'apaisement face aux inquiétudes et aux angoisses, le soulagement des différentes formes de douleur. De même dans ce qui est de l'ordre de la stimulation : qu'est-ce qui le fait avancer dans l'existence, quelles sont ses exigences et ses limites, celles de sa jouissance comme celles de sa fatigue. Les registres, même s'ils sont nombreux et variables chez le même individu portent en eux, entre autres, les devoirs et les interdits appris et acquis.
Quels sont les espaces de dialogue, dans sa vie privée et/ou professionnelle, ou il peut interpeller un «interlocuteur valable» : (capable d'écouter sans vendre de recettes) quant aux difficultés, pertes, deuils qui ponctuent les passages de son existence dans son cycle de vie ? A-t-il la permission de se sentir parfois triste, fatigué, seul, etc. ?
Ce détour par «chez soi» permet de prendre conscience en partie de ce qui se joue dans l'orientation des soins et d'introduire un véritable espace de dialogue. Celui-ci peut être utilisé comme levier thérapeutique dans la mesure où les croyances, les comportements du patient, de sa famille, des professionnels de la santé et l'ensemble de leurs interactions confirment ou modifient les croyances de chacun.8
Dans l'analyse de leurs pratiques, les infirmièr(e)s ont mis en évidence certaines incohérences dans la gestion des soins et des traitements. Au niveau des soins à domicile et en ce qui concerne les médicaments, elles doivent distribuer ceux qui sont prescrits par le médecin et veiller à leur prise.
Or, dans de nombreuses situations, elles font les constats suivants :
I Le patient dans son foyer possède, stocke et gère des médicaments de toutes sortes.
I Le patient gère lui-même une partie des médicaments prescrits par le médecin pour le traitement d'affections qui ne font pas l'objet du passage de l'infirmièr(e) à domicile. Ces derniers peuvent ne pas être évoqués dans les échanges médecin-infirmièr(e)-médecin.
Face à ces constats, on peut se demander ce qui se joue dans ces itinéraires croisés, quel rôle le médicament remplit, et que signifient ces clivages au sein du système thérapeutique ?
Comment passer d'un hiatus qui manifeste une incongruence, un fossé entre la conception et les pratiques soignantes, à un hiatus qui soit un espace de mobilité ou chacun des sous-systèmes soignants connaisse et reconnaisse la spécificité de l'autre, ses domaines de compétences et ce qui les relie ?
Dans la pratique des soins, des passerelles sont à construire pour favoriser la circulation et l'échange d'informations entre les évaluations régulières des situations.
La gestion de l'autonomie et de la dépendance des «soignants» et des «soignés» va dépendre de la culture des soins et des services. Nous pourrions imaginer qu'une telle culture puisse être promue à travers le processus de formation, qui en tant qu'exigence de fond selon Onnis, inspire à la formation d'une «conception psychosomatique», donc unitaire et intégrée de la maladie comme de la santé... en la récupérant comme science de l'homme dans la plénitude globale de ses implications et de ses significations.9