Le (cyto)pathologiste n'est confronté qu'avec une toute petite proportion des patientes qui se soumettent à une mammographie de dépistage puisque même chez celles qui présentent des images radiologiquement suspectes à la mammographie, divers examens cliniques et/ou paracliniques permettront d'en élucider la nature bénigne.Mais lorsque du matériel cytologique et/ou biopsique lui sera confié pour examen, il portera une très lourde responsabilité dans sa démarche diagnostique, puisque son évaluation morphologique de la lésion, c'est-à-dire son diagnostic final, déterminera les conséquences ultérieures pour la patiente, conséquences qui peuvent être d'une très grande portée, aussi bien pour l'individu que pour son environnement et la société.
Pour que le dépistage systématique d'une maladie ait un sens, il faut tout d'abord que la maladie soit fréquente, ensuite que les moyens de dépistage soient aussi simples que possible et peu coûteux. Le dépistage du cancer du col utérin en est un bon exemple. Qu'en est-il du dépistage du cancer du sein ? Il s'agit malheureusement d'une maladie fréquente puisque dans les pays industrialisés, c'est une femme sur dix environ qui, une fois dans sa vie, se verra confrontée à ce type de tumeur. Si la mammographie ne représente pas un examen «bon marché» par excellence, il n'en reste pas moins qu'elle représente une méthode efficace et sensible pour déceler des anomalies de la structure de la glande mammaire, anomalies qui se traduisent par des images plus ou moins suspectes, telles qu'une zone dense et spiculée, ou des microcalcifications. Une telle densité peut se révéler être un carcinome invasif mais il peut aussi s'agir d'une cicatrice radiaire et toutes les microcalcifications ne sont pas synonymes de malignité, il peut aussi s'agir d'une adénose sclérosante.
Le dépistage par mammographie du cancer du sein, qui a débuté il y a quelques années par une phase pilote dans le canton de Vaud, a été généralisé à l'ensemble de la population féminine vaudoise au printemps 2000. Des programmes analogues de dépistage systématique sont opérationnels dans d'autres cantons romands tels que Genève et Valais, alors qu'il n'existe encore aucun programme semblable en Suisse allemande. Actuellement, le canton de Neuchâtel envisage également l'introduction d'un programme de dépistage organisé.
L'efficacité de tels programmes, même si d'aucuns la contestent, ne fait plus de doute.1,2 En effet, dans son étude qui évalue le bénéfice obtenu par un dépistage organisé dans deux comtés suédois, étude portant sur une période de vingt-neuf ans, Tabar a pu démontrer que la mammographie de dépistage, si elle est faite régulièrement, permet de réduire la mortalité du cancer du sein de 63% chez les femmes qui s'y soumettent.1
Si l'expérience dans le Canton de Vaud reste encore limitée, il est toutefois remarquable d'observer que, comme cela a été constaté dans d'autres études, la proportion des cancers in situ (non invasifs) par rapport au nombre total des cancers diagnostiqués au travers de la mammographie de dépistage est de l'ordre de 20% (16/87).3 D'autres études à plus long terme rapportent des proportions allant de 20 à 30% alors que, sans dépistage systématique, cette proportion est de l'ordre de 6% seulement.4,5
Mais il est évident qu'un bénéfice tel que rapporté par Tabar1 ne peut être obtenu que si une majorité des femmes participe au programme et si toutes les disciplines médicales et para-médicales concernées se soumettent à un contrôle de qualité rigoureux. Les principaux intervenants dans le cadre du dépistage systématique sont les épidémiologistes, les radiologues et leurs technicien(ne)s, les opérateurs (gynécologues et chirurgiens) et les pathologistes, sans compter les physiciens responsables du contrôle de la qualité des installations radiologiques.6
Dans le programme vaudois, ce sont seulement 4,7% du nombre total de mammographies réalisées (6694 en 1999 et 2000) qui ont révélé des anomalies radiologiques. Si l'intervention du pathologiste dans cette démarche pluridisciplinaire n'est nécessaire que pour un faible pourcentage de ces patientes porteuses d'une lésion suspecte, il n'en est pas moins crucial. En effet, les lésions morphologiques observées, sur des biopsies de plus en plus petites, sont de plus en plus fréquemment des lésions «frontières» dont la signification biologique n'est pas toujours clairement établie et dont les critères diagnostiques sont parfois variables selon les écoles. Cet état de fait rend hautement souhaitable que ces lésions découvertes lors du dépistage, soient évaluées par des pathologistes expérimentés, utilisant le même «jargon» et usant des mêmes critères diagnostiques. Seule une telle standardisation des définitions et de la terminologie peut permettre de faire avancer les connaissances dans le domaine de la corrélation possible entre images radiologiques et lésions histologiques. Dans bien des cas, il est également fortement recommandé de demander un second avis.6
Pour une patiente chez laquelle une anomalie mammographique a été décelée lors du dépistage, c'est la corrélation des éléments cliniques et paracliniques complémentaires qui va déterminer si oui ou non la lésion doit être investiguée par des techniques faisant appel au (cyto)pathologiste. Ces techniques sont au nombre de deux : la cytologie (ponction à l'aiguille fine) et l'histologie (biopsie au trocart ou à ciel ouvert), toutes deux présentant des avantages et des désavantages.
La ponction à l'aiguille fine ne requiert pas d'anesthésie locale, elle est rapidement exécutée, elle peut être répétée plusieurs fois durant une seule et même séance. Cette intervention ne laisse aucune cicatrice et ses complications sont pratiquement inexistantes. Toutefois, il n'est souvent pas facile avec cette technique d'identifier des carcinomes dont le degré cytologique est bas, tels que le carcinome lobulaire invasif classique, et il sera très souvent impossible de déterminer avec certitude si un carcinome est invasif ou non.
La biopsie au trocart nécessite une anesthésie locale et ne peut être réalisée que sur une lésion palpable, à moins de disposer d'un appareillage d'imagerie adapté (cf ci-dessous), remarque par ailleurs également valable pour la ponction à l'aiguille fine. L'avantage de cette technique est de permettre d'évaluer les lésions non seulement au travers des caractéristiques cytonucléaires des cellules les composant, éléments reconnaissables en cytologie, mais encore d'apprécier leur architecture, donnée souvent déterminante pour un diagnostic précis, en particulier en ce qui concerne le caractère bénin ou malin de la lésion, voire le caractère invasif ou non d'un éventuel carcinome. Enfin, le cas échéant, un tel matériel est susceptible d'être radiographié, permettant ainsi de s'assurer de la représentativité du prélèvement en mettant en évidence la présence ou non des microcalcifications suspectes vues à la mammographie.
A noter qu'il existe des appareils sophistiqués pour prélever des cylindres tissulaires de 1-2 mm de diamètre, sous contrôle radiologique stéréotaxique au sein de lésions suspectes mais non palpables, tels que le Mammotome (Biopsys Medical, Cincinnati) ou le MIBB (Minimal Invasive Breast Biopsy, US Surgical, Norwalk). Le nombre de patientes susceptibles de bénéficier de ces méthodes est assez restreint, si l'on respecte les indications à leur mise en uvre. Ces instruments sont d'autre part très coûteux, mais leur utilisation peut parfois éviter des frais de salle d'opération, en particulier lorsque la lésion biopsiée se révèle être bénigne à l'examen histologique. Il en va tout autrement lorsqu'on découvre un carcinome dans ces cylindres. En effet, le nombre de ceux-ci est parfois élevé (> 20), ces multiples prélèvements laissant dans la glande une cavité de biopsie d'un diamètre supérieur à 1-2 cm, cavité qui idéalement devrait être marquée par un clip radio-opaque. Or, l'examen de ces cylindres tissulaires ne permettra en aucun cas de préciser les dimensions du carcinome et ne fournira aucune information quant à l'intégrité ou non des «tranches de section», informations pourtant cruciales pour le pronostic et le choix du traitement ultérieur. D'ailleurs, l'utilisation de ces instruments est appréciée de façon très prudente, pour ne pas dire réticente, par les pathologistes qui se sont vus confrontés à ce genre de matériel.7 Il existe enfin un système permettant de prélever des cylindres tissulaires compacts allant de 5 à 20 mm de diamètre (ABBI, Advanced Breast Biopsy Instrumentation, US Surgical Corporation, Norwalk), système intermédiaire entre la biopsie au trocart et la biopsie à ciel ouvert et dont l'utilisation non seulement diagnostique mais encore thérapeutique est encore en évaluation.8
A noter enfin que ponction à l'aiguille fine et biopsie au trocart peuvent être combinées entre elles, association permettant le plus souvent d'arriver à un diagnostic de certitude, diagnostic qui dictera l'approche thérapeutique ultérieure.
La biopsie à ciel ouvert est surtout réservée, mais pas de façon exclusive, aux lésions palpables et clairement suspectes. Il s'agira alors d'une tumorectomie à but non seulement diagnostique mais également thérapeutique (tableau 1). Lorsque la région suspecte ne sera pas palpable, il s'agira de la repérer en préopératoire au moyen d'un harpon par exemple, afin de pouvoir diriger l'opérateur lors de l'excision. De plus, la pièce opératoire devra être radiographiée afin de s'assurer que la lésion est bel et bien incluse en totalité dans le prélèvement.
Quel type de lésions le pathologiste est-il appelé à rencontrer dans ce matériel ? Il peut s'agir de lésions parfaitement bénignes (mastopathie simple ou proliférative, ectasies canalaires, adénose sclérosante, foyers de métaplasie apocrine, fibrose, kystes, papillomes, etc.), de lésions dites «frontière» (hyperplasie intracanalaire ou intralobulaire atypique, etc.) ou de lésions clairement malignes non invasives (carcinome papillaire intrakystique, carcinome intracanalaire) ou invasives (carcinomes de tous types histologiques, beaucoup plus rarement sarcomes ou lymphomes).
Il existe quelques lésions absolument bénignes qui, de par leurs caractéristiques cliniques, radiologiques et macroscopiques, parfois même microscopiques, suggèrent la présence d'un carcinome invasif. Il s'agit essentiellement de :
Il ne s'agit pas en fait d'une réelle cicatrice mais bien d'une forme particulière d'adénose sclérosante de forme radiaire. Le centre de la lésion, riche en collagène et en substance élastique, est entouré par une prolifération de structures tubulaires, d'aspect «infiltrant», elles-mêmes étant entourées par des canaux contenant des proliférations épithéliales souvent florides. Cette lésion peut avoir un aspect histologique inquiétant et peut représenter un piège perfide lors d'un examen extemporané.
Ces tumeurs sont rares et peuvent apparaître n'importe où dans le sein, en profondeur ou en localisation sous-cutanée, et se présentent comme des masses mal délimitées, fermes à la palpation. Les lésions superficielles peuvent même occasionnellement donner lieu à une rétraction cutanée type «peau d'orange». Histologiquement, ces tumeurs sont formées par une prolifération très mal délimitée de cellules volumineuses, polygonales ou allongées, aux contours bien visibles, au cytoplasme abondant, éosinophile et finement granulaire, au noyau régulier.
Ce type de tumeur que l'on rencontre en de multiples localisations, serait dérivé des cellules de Schwann des nerfs périphériques.
Ce type de lésion, toujours consécutif à un traumatisme mécanique souvent méconnu, parfois postopératoire, peut être localisé en profondeur mais se trouve le plus souvent dans les plans superficiels. Dans cette dernière localisation, on peut parfois observer une rétraction de la peau qui est fixée à une masse ferme, cliniquement et radiologiquement suspecte. Le diagnostic histologique lui ne pose aucune difficulté.
Lorsqu'il s'agit effectivement d'une tumeur maligne, qu'elle soit invasive ou non, il s'agira en premier lieu pour le pathologiste d'établir si les tranches de section chirurgicales passent en tissu sain ou non, ce qui peut se révéler particulièrement délicat, surtout pour les carcinomes intracanalaires. Pour ces derniers, il faudra en plus en préciser les dimensions, le type histologique et le grade. Or il existe plusieurs classifications pour ce type de lésion, la plus reproductible étant celle dite de van Nuys.10,11 Pour les carcinomes invasifs, il faudra en déterminer le type histologique, le grade (selon Bloom et Richardson) ainsi que les dimensions maximales dans les trois axes. De plus, des examens immunohistochimiques permettront d'évaluer semi-quantitativement l'expression des récepteurs nucléaires aux strogènes et à la progestérone, tous ces éléments étant très importants pour établir un pronostic et surtout pour pouvoir faire un choix judicieux du traitement ultérieur.12 Enfin, toute tumorectomie comportant un carcinome invasif sera accompagnée ou suivie par l'examen du (des) ganglion(s) sentinelle(s) ou par un curage axillaire selon la situation clinique. Rappelons ici que la technique du ganglion sentinelle ne peut s'appliquer que lorsque la taille de la tumeur n'excède pas trois centimètres et que les ganglions axillaires ne sont pas palpables (cliniquement N0).13
L'examen du ou des ganglions sentinelles doit se faire de façon rigoureuse, systématique et standardisée14 puisqu'il s'agit là non seulement d'identifier des macrométastases mais encore de rechercher des micrométastases (dépôts métastatiques d'un diamètre inférieur à 2 mm), voire des cellules tumorales isolées dans le sinus marginal des ganglions. De plus, lorsqu'un curage axillaire se révèle négatif à l'examen «standard» (une coupe par bloc tissulaire, tous les ganglions ayant été inclus in toto), il nous semble important de recouper tous les blocs sur trois profondeurs afin d'éviter de faussement classer une tumeur pN0 alors qu'il existe des (micro)métastases ayant échappé au premier examen. En effet, une telle procédure transforme 10-20% des patientes primitivement considérées comme étant pN0 en pN1a voire pN1b,15 ce qui n'est pas sans conséquences pronostiques.