Jusqu'à ce jour, seuls les médicaments vendus sans ordonnance, et donc non remboursés par les assurances, pouvaient faire l'objet de campagnes publicitaires.Récemment, une proposition de loi a été déposée à Bruxelles, visant à autoriser la publicité pour les médicaments remboursés et prescrits sur ordonnance, c'est-à-dire ceux qui ont une action thérapeutique avérée.Si elle est avalisée, cette loi aura indubitablement des conséquences importantes sur les politiques de santé publique des pays de la Communauté européenne et, bien qu'elle ne fasse pas (encore) partie de l'Europe, la Suisse ne pourra pas, selon toute vraisemblance, rester longtemps en dehors du jeu.Les partisans d'un tel projet prétendent que la publicité pourrait contribuer à la prise de conscience et à l'information du grand public au sujet de certaines maladies et de leurs options possibles de traitement et donc, à terme, améliorer la prise en charge des malades. Ils disent également que le grand public est aujourd'hui déjà très bien informé au sujet des médicaments disponibles et de ceux qui sont en cours de développement clinique, notamment par l'intermédiaire des nombreux sites d'information médicale, des sites d'associations de malades et des forums accessibles via l'Internet.Les opposants au projet considèrent que l'autorisation d'une publicité destinée au grand public stimulera de manière artificielle la consommation de médicaments, augmentera de manière inappropriée la demande des patients pour des médicaments spécifiques et généralement coûteux, et aura des effets négatifs sur la pratique médicale et les relations entre les malades et leur médecin traitant.Dans le numéro d'octobre de la revue Pour la Science,1 Pierre Haehnel, secrétaire général du Conseil national de l'Ordre des médecins français, écrit : «(
) Le médecin ne serait plus consulté comme un spécialiste, mais comme un simple prescripteur, alors qu'il lui appartient de faire le bilan des avantages et des inconvénients liés à l'administration de tel médicament contre telle pathologie, chez tel patient. On peut craindre que les «consommateurs» veuillent brusquement profiter d'une liberté qu'ils jugent leur avoir été trop longtemps interdite : celle de «choisir» leurs traitements. Ils risquent d'exercer une vive pression sur leur médecin qui devra faire preuve de persuasion pour gommer les messages «subliminaux» éventuellement erronés laissés par une publicité bien conçue».Dans ce contexte, il n'est pas inutile de rappeler que malgré tous les efforts des pharmacologues, les médicaments actuellement disponibles, lorsqu'ils possèdent une efficacité réelle, ne sont pas encore suffisamment spécifiques pour agir uniquement sur l'organe ou le tissu visé, voire uniquement sur certaines cellules. Ils peuvent de plus avoir des effets indésirables plus ou moins importants et, de leur association avec une autre substance, peuvent découler d'autres problèmes, le plus souvent en relation avec un phénomène d'interaction médicamenteuse.Aujourd'hui, les médecins sont informés des effets thérapeutiques, des contre-indications et des interactions médicamenteuses par l'intermédiaire des laboratoires pharmaceutiques, d'une part, et par leurs autorités sanitaires nationales respectives, d'autre part.En cas de promotion d'un médicament à la télévision, à la radio ou dans la presse grand public, le risque est réel de voir diffuser des informations parcellaires vantant le médicament mais ne présentant pas forcément les risques liés à leur consommation de manière claire et compréhensible par tous. C'est notamment une des craintes émises par Pierre Haehnel qui écrit encore : «(
) Le projet joue sur la confusion entre information et publicité au profit de la permissivité publicitaire».Par un singulier concours de circonstances, le Lancet vient de publier une étude menée aux Etats-Unis et qui concerne la publicité destinée aux consommateurs.2 Les auteurs de cette étude ont examiné le contenu de 67 encarts publicitaires pour des médicaments délivrés sur ordonnance, publiés au total 211 fois dans des journaux grand public à fort tirage durant une année, de juillet 1998 à juillet 1999.Aux Etats-Unis, la publicité sur les médicaments à l'intention du grand public est autorisée, elle doit toutefois respecter un certain nombre de critères édictés par la FDA : l'information présentée doit contenir des informations vraies et équilibrées au sujet de l'efficacité, des indications et des effets indésirables du médicament. La FDA contrôle le respect de ces directives, cependant une approbation préalable des publicités pour les médicaments n'est pas nécessaire.Au cours de ces dernières années, les dépenses pour la publicité sur les médicaments destinée au grand public a fortement augmenté aux Etats-Unis. En 1999, les laboratoires pharmaceutiques ont dépensé environ 30% de plus pour l'insertion d'encarts publicitaires dans les journaux grand public et les quotidiens que dans les journaux médicaux, soit 685 et 473 millions de dollars, respectivement.2 Si l'on considère la totalité des médias (radio, télévision, presse, etc.), la somme dépensée pour ce type de publicité dépassait 1,8 milliard de dollars ; en l'an 2000, elle a encore augmenté pour atteindre 2,5 milliards de dollars.3L'analyse du contenu montre que les publicités utilisaient des techniques faisant appel à des arguments émotionnels (45/67 : 67%) ou encourageaient les consommateurs à envisager une cause médicale à leur problème (26/67 : 39%). Peu d'entre elles décrivaient explicitement le bénéfice du médicament ; la majorité (58/67 : 87%) vantaient les bénéfices en termes qualitativement vagues. D'autres techniques de promotion étaient également utilisées : douze publicités (18%) insistaient sur la très large utilisation de la substance, seize (24%) utilisaient des arguments du type «prouvé cliniquement», «soulagement démontré» ou «efficacité prouvée», et huit (12%) faisaient appel à des témoignages de citoyens ordinaires, plutôt qu'à celui d'un expert en la matière.Même lorsque le bénéfice était explicite, seules neuf (13%) publicités fournissaient des preuves pour supporter leurs affirmations : valeurs absolues de changement des paramètres étudiés pour certaines, réduction du risque relatif sans mention de la valeur initiale pour d'autres, ce qui est un moyen d'exagérer le bénéfice apparent.En revanche, les effets indésirables étaient mentionnés par la quasi-totalité (98%) des encarts publicitaires, respectant ainsi les directives de la FDA. Trente-quatre (51%) allaient même au-delà des exigences de la FDA en énumérant les effets indésirables et en fournissant des informations au sujet de leur fréquence de survenue.Aucune des publicités ne mentionnait le coût du médicament, deux offraient une période d'essai gratuit et 16 (24%) offraient un rabais de l'ordre de 5 à 10 dollars sur le prix de vente.Les résultats de cette étude suggèrent que la publicité destinée aux consommateurs, bien que souvent ciblée sur le soulagement de symptômes communs et généralement traités par les personnes qui en souffrent au moyen de médicaments en vente libre (par exemple rhinite), concernait aussi un nombre relativement important de décisions thérapeutiques plus complexes, relevant généralement de la responsabilité du médecin.Pour conclure, les craintes de Pierre Heahnel, ou du moins une partie d'entre elles, sont donc probablement fondées, lui qui écrit enfin : «(
) La publicité est d'ores et déjà autorisée aux Etats-Unis, depuis trois ans, et l'on constate que certains malades ou associations de malades portent plainte parce que le médicament n'a pas apporté la guérison promise. Si les informations données par les laboratoires sont complètes, fournissant à la fois les résultats que l'on peut attendre du traitement, mais aussi les risques associés, si les laboratoires ne pèchent pas par omission, si toutes les informations sont fournies, alors une telle «publicité» responsabiliserait peut-être le consommateur. Toutefois, on peut craindre que toutes ces conditions ne soient pas remplies». Bibliographie :1 Haehnel P. Médicaments et publicité. Pour la Science 2001 ; 288 : 9.2 Woloshin S, Schwartz LM, Tremmel J, et al. Direct-to-consumer advertisements for prescription drugs : What are Americans being sold ? Lancet 2001 ; 358 : 1141-6.3 www.imshealth.com/public/structure/dispcontent/1,2779,1203-1203-143214,00.html (visité le 23 octobre 2001).