Comme souvent dans les affaires d'importance, l'information a été pleinement mise en scène par les agences internationales de presse via une série d'«urgents» soulignant l'importance du sujet. C'est ainsi qu'en ce froid matin de décembre, la France de l'Avent a découvert qu'elle avait été condamnée par la justice européenne. Condamnée pour avoir suivi l'avis de ses propres scientifiques, refusé de s'aligner sur les décisions communautaires et choisi d'agir au nom de ce que l'on tente désormais de théoriser sous le label de principe de précaution. Condamnée, aussi, à lever l'embargo qu'elle a décrété depuis deux ans déjà sur les viandes bovines britanniques. En pratique, c'est la Cour européenne de justice (CEJ) de Luxembourg qui a prononcé cette condamnation pour son refus persistant et qualifié d'«illégal» de lever cet embargo. Dans son arrêt, la Cour précise que la France est condamnée pour avoir refusé de «permettre la commercialisation sur son territoire» à compter du 30 décembre 1999 de produits «correctement marqués et étiquetés». La CEJ estime aussi que la France était à cette date en mesure d'être «pleinement informée de ses obligations» pour organiser «la traçabilité des produits débarqués directement sur son sol». «Produits correctement marqués et étiquetés» ? Il s'agit là pour la Cour de produits encadrés par un strict régime de contrôles (le DBES pour Date-Based Export Scheme) spécifiant notamment que seuls les bovins nés après le 1er août 1996, date de l'interdiction des farines animales sur le sol britannique, pouvaient être exportés. Décrété en 1996, l'embargo européen avait été levé en juillet 1999 sur ordre de la Commission européenne, la France choisissant, comme on s'en souvient, de maintenir sa position. Que va-t-il, dès lors, se passer ? La décision de la Cour de justice est théoriquement exécutoire mais la Commission européenne va désormais accorder à la France un «délai raisonnable» pour lever effectivement l'embargo.
A Londres, comme on pouvait sans difficulté le prévoir, un porte-parole du ministère britannique de l'Agriculture s'est aussitôt félicité de la décision de la Cour. Faut-il rappeler que le maintien de l'embargo français avait été un rude coup pour les agriculteurs britanniques, la France étant leur deuxième marché à l'exportation pour plus de 500 millions d'euros annuels. Cette satisfaction risque toutefois d'être de courte durée. La Cour européenne a en effet reconnu que la France avait avancé des arguments pertinents et que les exigences réclamées par Bruxelles en matière de marquage et de traçabilité ne pouvaient être assurées dès le mois de juillet 1999. Ceci explique que la France n'a été condamnée à payer que les deux tiers des frais de procédure, la Commission devant acquitter le reste, une proportion qui satisfait pleinement Paris et Jean Glavany, ministre de l'Agriculture.
Reste qu'il faudra compter avec les certitudes britanniques. A l'aube, ce matin, bien avant le jugement de Luxembourg, nous avons reçu par mail un éclairant credo en français de l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris. «Au Royaume-Uni, le nombre de cas d'ESB continue à diminuer sensiblement, pouvait-on lire dans ce document diplomatique. Sur les neuf premiers mois de 2001, le nombre de cas confirmés est en baisse de 45% par rapport à la même période de l'année précédente, malgré la mise en uvre de nouveaux dispositifs de surveillance active. On enregistre une baisse de l'ordre de 25 à 45% par an depuis 1993. Les autorités britanniques ont mis en place une série de dispositifs de contrôle actif, les tests de dépistage de l'ESB. Vous en trouverez une présentation détaillée sur le site Internet du ministère britannique de l'Environnement, de l'Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA) : http://www.defra.gov.
uk/animalh/bse/index.html à la rubrique des statistiques hebdomadaires cumulées».
Et encore : «Au total, le Royaume-Uni effectue beaucoup moins de tests de dépistage que la France, mais il faut souligner que la grande majorité des tests réalisés en France portent sur des bêtes plus âgées destinées à la consommation humaine, alors qu'au Royaume-Uni, où les mesures de protection des consommateurs sont plus strictes, la quasi-totalité des bovins de plus de 30 mois est retirée de la chaîne alimentaire. Si l'on exclut les tests effectués sur le bétail entrant dans la chaîne alimentaire, le nombre de tests réalisés au Royaume-Uni et en France, rapporté à la population bovine totale, est globalement identique». A l'heure hautement précoce où la nuit tombe sur notre Paris d'hiver, nous hésitons sur le diagnostic. Est-ce ou non une nouvelle preuve de l'immortalité de l'humour britannique ? Comment, à cette heure, ne pas se souvenir, alors que l'ESB est désormais présente dans tous les pays de l'Union européenne (à l'exception pour l'heure de la Suède) que la Grande-Bretagne est la seule à ne pas fournir de données épidémiologiques sur son cheptel au regard de l'ESB ?
Londres explique que le besoin ne s'en fait pas sentir au motif que ces animaux ne sont pas consommés. Certes. Mais comment accepter un tel argument quand on connaît la somme des inconnues sur cette maladie tout comme l'impérieuse nécessité d'assurer une veille épidémiologique de qualité ? Trop d'humour britannique pourrait d'ailleurs gravement nuire à la construction européenne comme en témoigne ce message reçu à la nuit tombée émanant de Philippe de Villiers, président du «Mouvement pour la France» qui a qualifié de «décision inique» et «tout à fait choquante» la condamnation de la France par la Cour européenne de justice. Selon cet allergique à tout ce qui n'est pas sa France, cette décision «est dans le droit fil de l'idéologie européiste qui consiste à sacrifier la santé publique au dogme de la liberté de circulation». On connaît des personnes qui, profondément allergiques à M. de Villiers, jugent ce soir que ce vicomte n'a pas tous les torts.