Nous poursuivons ici l'exposé des publications marquantes faites lors du récent colloque international organisé à Paris sous l'égide de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), consacré aux relations pouvant exister entre la consommation de sel et la santé humaine (Médecine et Hygiène des 23 et 30 janvier). Dans un contexte qui laisse place à certaines controverses, l'une des interventions les plus claires a été celle du Pr Malcolm R. Law, épidémiologiste au Wolfson Institute of Preventive Medicine, (Queen Mary's School of Medicine, Londres). «Le régime alimentaire occidental quotidien contient en moyenne 10 grammes de sel. Sur ces 10 grammes, environ 7,5 sont ajoutés aux aliments au cours de leur transformation par l'industrie alimentaire. De nombreuses controverses et discussions injustifiées ont accueilli la modeste proposition de ramener progressivement, dans l'intérêt de la santé publique, ces 7,5 grammes de sel ajouté à environ 5 grammes avant de procéder à une nouvelle réduction à plus long terme, a déclaré le Pr Law. Nous avons tout à gagner et n'avons rien à perdre en mettant en uvre cette proposition.»On sait que dans les pays occidentaux, la pression artérielle moyenne augmente avec l'âge, passant d'environ, pour la systolique, de 115 mmHg à l'âge de 15 ans à environ 145 mmHg à l'âge de 65 ans. «Bien que souvent considérée comme "normale", cette augmentation de la pression artérielle avec l'âge ne se produit pas dans les sociétés qui vivent encore de la chasse et de la cueillette et qui ne sont pas exposées au mode de vie occidental, observe le Pr Law. Dans ces communautés, la pression artérielle systolique se maintient à environ 115 mmHg pendant toute la vie, mais atteint des niveaux similaires à ceux des sociétés occidentales en cas d'émigration vers des environnements urbains.» Il est d'autre part bien établi que la mortalité due à des maladies ischémiques cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et d'autres maladies cardiovasculaires, augmente avec la pression artérielle. On sait aussi que le niveau moyen élevé de la pression artérielle dans les pays occidentaux est un déterminant majeur de la forte mortalité cardiovasculaire. On peut dès lors postuler que la réduction du niveau moyen de la pression artérielle permettrait de prévenir de nombreux décès prématurés.Pour le Pr Law, trois éléments essentiels doivent ici être pris en considération : les effets directs du sel sur la pression artérielle (il est selon lui à l'origine de près d'un tiers de la différence qui existe entre les sociétés occidentales et les sociétés vivant de chasse et de cueillette) ; la consommation de sel est forte dans les populations occidentales et il serait donc possible de parvenir à une réduction importante des chiffres tensionnels ; avec la coopération de l'industrie alimentaire, il pourrait être très aisé et simple de réduire la consommation de sel.Il importe aussi selon lui de comprendre «certaines subtilités» dans la relation entre le sel et la pression artérielle avant de s'apercevoir que les preuves sont cohérentes. Tout d'abord, cette relation ne peut pas être réduite à une quantité unique, estimée de façon sommaire, et pouvant s'appliquer en toutes circonstances : cette relation varie selon l'âge et la pression artérielle des personnes. Deuxièmement, l'effet d'une réduction de la consommation de sel sur la pression artérielle n'est pas instantané. Il faut environ un mois pour obtenir le résultat optimal. Enfin, la consommation de sel d'une personne donnée varie considérablement d'un jour à l'autre, et cette variation est beaucoup plus importante que la différence réellement observée entre la consommation moyenne de sel de différentes personnes d'une même population. Pour le Pr Law, ceci veut dire que des études d'observation relatives au sel et à la pression artérielle, de même que des études de cohorte portant sur la consommation de sel et les maladies cardiovasculaires, sous-estiment largement la relation existant entre ces différents facteurs.«En 1991, nous avons publié des estimations quantitatives de la relation entre sel et pression artérielle, qui tenaient compte de tous ces facteurs. Des essais randomisés de réduction de la teneur en sel dans l'alimentation ont été publiés ultérieurement. Ces essais correspondent bien au modèle que nous avons publié et confirment ces estimations, a conclu le Pr Law. Nous pensons qu'une réduction de 50 mmol de l'apport quotidien de sodium (3 grammes de sel) permettrait, en moyenne, de réduire la pression artérielle systolique de 5 mmHg à l'âge de 60 ans. Cette réduction permettrait à son tour de réduire la mortalité par accident vasculaire cérébral d'environ 22%, et la mortalité due à une maladie ischémique cardiaque de 16%. Il s'agit là d'une réduction de consommation de sel tout à fait réalisable. D'après certains essais, une réduction de la teneur en sel des aliments industriels ne provoquerait pas de perte de palatabilité. Il suffirait donc de mettre au point un projet concerté entre les différentes industries alimentaires pour réduire progressivement la quantité de sel ajouté aux aliments industriels. Les consommateurs ne remarqueraient pas, voire préféreraient le nouveau goût, et le bénéfice en termes de santé serait important.»