La maltraitance d'enfants, notion survenue dans la littérature et sur la scène médicales depuis un demi-siècle (les battered children), est un sujet important de santé publique. On n'admet plus du tout, à juste titre, que les adultes aient le droit d'infliger aux personnes dépendantes qui sont sous leur garde des punitions et autres corrections de manière discrétionnaire. Le temps du pater familias romain qui avait droit de vie et de mort sur sa famille (et ses esclaves) est révolu. On sait à cet égard que si les pouvoirs publics, qui ont dans nos régimes juridiques le monopole de la violence légitime, entendent être efficaces dans la détection et la prévention des mauvais traitements, il faut admettre qu'ils se mêlent parfois «de ce qui ne les regarde pas». En effet, si l'on est trop sensible aux proclamations sur l'absolue liberté des familles à s'occuper de leurs membres comme elles le veulent, sans ingérence aucune quelles que soient les circonstances, on sera amené à découvrir (trop) tardivement des situations inacceptables, ainsi que plusieurs affaires l'ont montré dans notre pays dans le passé récent, avec parfois des conséquences létales.Les professionnels des domaines sanitaire et social notamment doivent donc être attentifs et prévenir la maltraitance. Je ne suis pas un extrémiste ; je recherche dans mon activité professionnelle les justes milieux, les déterminations respectant la proportionnalité et l'égalité de traitement. Il reste qu'il faut parfois faire preuve d'un peu de courage. Et, à propos de mauvais traitements, il convient aujourd'hui de parler aussi du tabagisme. Sans doute celui-ci n'a-t-il pas pour conséquence des traumatismes aigus graves tels que fractures, hématomes et autres commotions cérébrales, mais il peut clairement être constitutif de maltraitance.Dans la vie des famillesLe premier exemple est en rapport avec la grossesse. Sans être un doctrinaire, une fois encore, il est vrai que voir une personne enceinte qui fume est une situation qui me tend, me fait faire le poing dans ma poche. Il n'est pas possible de l'accepter de bon cur : des données scientifiques indiscutables (voir article de J. Cornuz dans le même numéro) montrent que cela est au détriment de la santé des enfants. A la naissance, ils pèseront moins et seront plus fragiles que ceux de femmes qui n'ont pas imposé cette intoxication à celui qu'elles portent ; ils resteront moins résistants par la suite ; les morts subites du nourrisson sont plus fréquentes chez eux. Même s'il n'est pas aisé de cesser de fumer, on ne peut pas vouloir qu'un enfant entre dans la vie avec un tel handicap de départ.L'autre situation courante est celle d'adultes fumeurs qui, dans des appartements exigus et fermés (une grande partie de l'année), enfument des nourrissons et jeunes enfants. Ils en font ainsi des fumeurs passifs qui, quel que soit l'amour que leurs parents leur portent, en souffrent. Les études épidémiologiques ont montré que, dans ces conditions, ils étaient plus sensibles à des infections et des allergies respiratoires. Ces rappels illustrent que, souvent, cesser de consommer du tabac n'est pas seulement un service qu'on se rend à soi-même, mais bien une question de respect de l'autre.Il ne s'agit pas de jeter l'anathème sur nos concitoyens souffrant de dépendance tabagique ; en effet, 70 à 80% environ des fumeurs sont dépendants de la nicotine et, par conséquent, ont grandpeine à se séparer de leur drogue. Mais on ne saurait non plus banaliser le problème, spécialement quand il en va de la santé d'enfants, que ces derniers soient déjà nés ou pas encore. Ceci d'autant plus que les études récentes montrent une augmentation inquiétante du tabagisme chez les jeunes et particulièrement les jeunes femmes ! Même si elle n'est pas de la nature usuelle des dangers collectifs (infectieux ou liés à des radiations ionisantes, par exemple), il y a bien là une priorité de santé publique, comme le souligne l'OMS (cf. ci-dessous). Les médecins et autres intervenants de santé publique ont le devoir déontologique d'aider les fumeurs, ce pourquoi on dispose maintenant de plusieurs moyens (y compris de nature cognitivo-comportementale et/ou basé sur un travail à plusieurs dans le sens du self-help et de ce qu'on pourrait appeler «Fumeurs anonymes»).La position claire de l'OMSL'OMS a souligné ces dernières années le caractère de fléau sanitaire majeur de l'usage du tabac. Avec la publication du rapport «Le tabac et les droits de l'enfant», elle incite les pays à respecter les termes de la Convention relative aux droits de l'enfant en prenant toutes les mesures légales et réglementaires nécessaires pour le protéger et veiller à ce que ses intérêts passent avant ceux de l'industrie du tabac. La moitié des enfants dans le monde, près de 700 millions, respirent un air pollué par la fumée des autres (communiqué OMS/24 du 4 mai 2001). Le rapport relève que le tabagisme chez les jeunes continue d'augmenter à cause de la promotion agressive menée par l'industrie auprès des nouvelles générations. Les sociétés du tabac ont dépensé des milliards de dollars par an pour promouvoir un produit qui encourage les enfants à adopter un comportement nocif à leur développement physique, mental et social. Citation de la Directrice générale de l'OMS, le Dr Gro Harlem Brundtland : «Une cigarette est un euphémisme pour un produit fournissant la dose voulue de nicotine pour que l'usager en dépende à vie avant d'en mourir. La cigarette est le seul produit de consommation qui tue lorsqu'il est consommé selon les indications» (Communiqué OMS WHA/1 du 15 mai 2001).A propos de libertéUn mot sur l'argument dont il est largement usé (et souvent abusé) par ceux qui ont intérêt à la consommation maximum de produits délétères : celui de la liberté individuelle, que les programmes de promotion de la santé tendraient à brimer... Si on y réfléchit sobrement, on s'étonne vraiment de voir comment on peut transformer la réalité :I D'abord, il y a la constatation que la plus grande partie des fumeurs sont devenus dépendants, comme mentionné plus haut. Comment alors peut-on parler d'un libre choix ? Comme dans les autres situations d'addiction, la personne n'est plus autonome par rapport au produit.I Plus avant, des limites fermes à la publicité dans ce domaine sont refusées au motif de la liberté. Or, dans les faits, que dire de la possibilité laissée actuellement à chacun de se déterminer sans influence indue ? Quid du matraquage quotidien que représente la publicité pour les produits du tabac ? Quid des messages, explicites ou subliminaires, qui veulent faire croire aux jeunes et aux moins jeunes que, pour avoir du succès, pour réussir, il faut être fumeur.I C'est donc l'action de propagande massive et constante de l'industrie du tabac qui va à l'encontre de l'exercice de l'autonomie de chacun.