Nous achevons ici l'analyse du rapport que vient de rédiger le député socialiste français Alain Claeys sous l'égide de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le thème de la brevetabilité du vivant (Médecine et Hygiène des 30 janvier, 6 et 13 février 2002). Cette question est à l'évidence l'une de celles qui soulèvent les plus grandes difficultés dans le champ de la construction européenne, l'une de celles aussi qui pourraient aboutir à une confrontation originale entre l'Union européenne et les Etats-Unis. On peut, schématiquement, présenter l'essentiel de la problématique qui, pour partie, résulte du fait que l'Office européen des brevets (OEB) n'est pas une institution de l'Union européenne mais une organisation intergouvernementale de droit international public. «L'OEB est l'un des Offices de brevets les plus importants dans le monde avec l'Office américain et l'Office japonais. A eux trois, ceux-ci délivrent 80% des brevets mondiaux (
), écrit M. Claeys. Outre son aspect assez opaque de l'extérieur, un trait dominant est son fonctionnement assez fortement autocentré. L'indépendance semble être un maître mot de cette organisation. (
) Il ne semble pas que l'OEB qui poursuit son activité depuis maintenant vingt ans n'ait jamais été autant sous les feux de la rampe. Cette affaire de la brevetabilité du vivant l'a incontestablement fait sortir de l'ombre.»Il faut aussi compter avec la Convention sur la délivrance des brevets européens entrée en vigueur en 1977 et qui réunit vingt pays dont la Suisse et la Turquie qui, comme on le sait, ne sont pas membres de l'Union européenne. Cette Convention prévoit, dans son article 53-b, que «sont exclus de la brevetabilité les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention des végétaux ou d'animaux, cette disposition ne s'appliquant pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés». Il faut enfin faire avec la directive 98/44 de l'Union européenne. Ce texte a commencé à être rédigé en 1984 quand le Conseil européen avait souligné que les biotechnologies étaient un des axes prioritaires de la recherche en Europe et qu'il convenait d'améliorer l'encadrement législatif et réglementaire de ces activités. Objectif : faciliter la production, la commercialisation et l'utilisation des produits issus de ces techniques.L'imbroglio actuel résulte de cette directive qui prévoit en substance que si le patrimoine héréditaire de l'espèce humaine n'est pas brevetable, la séquence des éléments qui le constituent peut, sous certaines conditions, faire l'objet des prises de brevets. C'était compter sans la révolte venue de France en 2000. Une révolte bien tardive et bien paradoxale puisque c'est précisément la France qui avait été, dès 1988, à l'origine de cette directive et qu'elle l'avait depuis toujours défendue. Mais voilà que la France juge désormais que sa rédaction est incompatible avec son droit et son éthique concernant la brevetabilité du vivant. Ce constat, établi notamment par le consultatif national d'éthique et le gouvernement, impose, en toute logique une réécriture de cette directive européenne. C'est aussi ce que demandent le président de la République française et tous les signataires d'une internationale, lancée par Jean-François Mattei, député et généticien français, et Wolfgang Wodarg, député allemand qui réclament un moratoire sur ce thème.Aujourd'hui, alors que cette directive aurait dû être transposée dans le droit interne des Etats membres de l'Union européenne avant le 30 juillet 2000, seuls cinq pays (Danemark, Finlande, Grande-Bretagne, Grèce et Irlande) ont respecté l'échéance. L'arrêt rendu sur ce thème, le 9 octobre 2001, par la Cour de justice des Communautés européennes établissant que la simple découverte d'un gène n'était pas brevetable et que seule l'invention susceptible de résulter de cette découverte pouvait être protégée n'a nullement permis de lever les interrogations et les doutes de tous ceux qui voient dans ce texte une brèche ouverte vers ce qu'il est désormais convenu d'appeler la «marchandisation» du vivant et plus encore de l'humain. Comment sortir de l'imbroglio ? M. Claeys estime pour sa part qu'il conviendrait de dépasser la question de la transposition de la directive européenne et d'organiser une réflexion «sur le statut du vivant dans notre société».«Cette réflexion me semble indispensable, compte tenu de la place croissante que prendront à l'avenir les techniques du vivant à la fois en médecine et en agriculture, a-t-il expliqué au Monde. Il nous faut, pour notre part, organiser en France un débat au Parlement sur la brevetabilité du vivant afin que le politique puisse réinvestir un domaine qui, sans doute, a été trop accaparé ces derniers temps par les juristes.» Ce débat est certes réclamé par des associations comme Greenpeace ou la Confédération paysanne. Sans doute permettrait-il au plus grand nombre de mieux saisir comment le vivant a pénétré dans le champ, américain puis européen, de la brevetabilité. Peut-être permettrait-il de fixer démocratiquement les barrières que l'on entend ou non fixer dans ce domaine si riche et si complexe qui voit l'être humain s'approprier de nouvelle manière le vivant qui l'environne et qui le constitue.Pour autant, comment ne pas voir que ce débat n'aurait aucun sens à l'échelon d'une nation ? L'urgence est autre. Elle est sans doute d'organiser un forum planétaire. Les nouvelles techniques de communication nous le permettent. Pourquoi n'y parviendrait-on pas ? Les paradoxes de l'exception française seront-ils assez puissants, les contradictions et les angoisses seront-elles assez fortes pour que ce sujet noble fasse l'objet d'une pédagogie et d'un débat planétaire qui soient à sa hauteur ?Fin