Résumé des épisodes précédents
Gravement atteinte par la LAMal depuis quelques années, la médecine libérale s'en était remise aux membres de sa famille. De sombres histoires d'héritage avaient déchiré ces derniers. A présent, il semblerait qu'une majorité se dégage pour que la grande dame, décrétée incurable malgré l'acharnement des opérateurs, soit soulagée de ses souffrances. Pionnière dans ce domaine, et voulant éviter les pénibles sursauts d'agonie observés dans d'autres pays, la Suisse pratiquera l'euthanasie active par l'administration d'une dose létale de Tarmed. Il s'agit d'un protocole expérimental issu des recherches du bon docteur Ephème Hash, dont les travaux menés jusqu'ici dans la plus grande discrétion, grâce à l'indéfectible soutien des assureurs maladie, viennent à être révélés au grand jour à cette occasion. Cette décision néanmoins pénible sera adoucie par des rationalisations de circonstance que l'auteur de cet article, témoin impassible de ce pathétique psychodrame, s'applique à cruellement défaire. Aussi sa lecture est-elle formellement déconseillée à celles et ceux qui ne veulent pas souffrir leur deuil. Pour les autres, il offre ce petit bouquet de fleurs de LAMal à déposer sur la tombe de la bien-aimée.
Ainsi donc on votera Oui au Tarmed parce que :
1. L'on croit que l'on va gagner plus d'argent : un optimiste en la matière n'est qu'un pessimiste mal informé. On ne saura le lui reprocher car il est maintenu dans cette ignorance, qui confine au déni, par des messages du type «il est quasiment certain» que la valeur du point «ne sera pas trop éloignée» de Fr 1.. Voilà qui lui donne une «bonne approximation» émise de source «impartiale» qui le met en garde contre les chants des sirènes de la contestation. Il est tellement plus doux de se laisser bercer par le mesmérisme de ces formules que de confronter les rébarbatifs «algorithmes de correction» de la neutralité des coûts qui baisseront implacablement dans les cantons dépensiers une valeur initiale quelque peu généreuse offerte pour appâter. Mes collègues psychiatres, depuis trop longtemps lésés, seront les plus susceptibles de sombrer dans cette rêverie exauçant leurs souhaits. Le réveil sera cruel. Mais on expliquera aux Genevois qu'avec les 70 ou 80 centimes que leur vaudra leur canton si cher ils ne seront, après tout, pas si éloignés du franc.
2. L'on espère ainsi baisser le coût de la santé : l'argument parvient-il encore à convaincre ? La population vieillissante, sa demande et ses besoins continueront de croître, l'offre de technologies coûteuses de se développer, et les seuls paramètres garantis de baisser seront les revenus des médecins, leur image, leur motivation et leur moral, avec par voie de conséquence une désertion des futurs talents. Ce ne seront que des dommages collatéraux.
3. L'on se résigne à ne pas gagner plus mais que l'on se satisfait secrètement de baisser le revenu des mieux lotis : une minorité continuera de préférer jeûner avec les aigles que de picorer avec les poules et ne s'adonnera sans doute pas à cette mesquine, mais ô ! combien humaine Schadefreude. Il faudra qu'elle apprenne à supporter de passer pour psychorigide.
4. L'on croit que c'est un moindre mal : c'est l'argument choc orchestré depuis le début de la campagne. C'est avec ce bâton-là déjà que l'on avait recommandé de voter la LAMal pour ensuite la décrier sans aucune crainte du ridicule : il n'y a que les imbéciles, n'est-ce pas, qui ne changent pas d'avis. Mais alors, de grâce, que l'on change aussi d'argument. Puisque le Tarmed se base sur des données scientifiquement établies, pourquoi le Conseil Fédéral irait-il, en cas de son refus par les médecins, en fabriquer de toutes pièces un autre au lieu d'imposer celui qui a déjà son aval ? Et pourquoi croire que ce nouveau tarif serait plus défavorable que celui déjà accepté par les assureurs, qui ont même hâte de le voir entrer en vigueur (on se demande pour quelle raison) ? Est-ce vraiment le rôle d'un gouvernement démocratique que de châtier ceux qui ne votent pas comme il le souhaite ? Et ceci au détriment de la rationalité économique ?
5. L'on espère se faire aimer en se montrant conciliant : c'est le raisonnement des femmes battues ! Jusqu'à ce qu'elles comprennent qu'à défaut de se faire aimer elles peuvent imposer le respect et mettre fin à l'abus en posant des limites fermes. Mais pour être convaincant, il faut être prêt à quitter le couple. Ainsi, la récusation restera l'espoir de celles et ceux qui ne supporteront plus. Il n'est d'ailleurs ni nécessaire ni même souhaitable qu'elle soit majoritaire. Ce mouvement-là sans doute ne misera pas sur le nombre, il sera qualitatif. Mais pour en revenir à l'actualité, on nous menace du pire si l'on ne se montrait pas compliants. «Les médias, comme les milieux politiques et les assureurs, auraient une fois de plus l'occasion de condamner les médecins comme les éternels empêcheurs de tourner en rond». Mais qu'ont-ils donc empêché, ces praticiens, pour mériter une telle réputation ? Est-ce un crime que de vouloir défendre ses intérêts ? On aurait souhaité voir les cadres de la FMH protéger la réputation de ses membres contre la diffamation plutôt que d'exercer ce pitoyable chantage affectif.
6. L'on ne veut pas faire de la peine aux négociateurs qui s'en sont déjà tellement donné (et en ont eu, nous l'avons bien senti) : les médecins, réparateurs par vocation, voire par personnalité pré-morbide pourra-t-on bientôt dire, restent très influençables par cet argument. Celui-ci est bien exploité du reste dans les éditoriaux, tour à tour pleurnichards ou culpabilisants, de nos instances négociantes. Le summum en la matière a été atteint dans l'argumentaire du Comité central qui accompagne le matériel de vote. Ne se sentant pas assez convaincant de par lui-même, celui-ci termine sa diatribe par une envolée lyrique n'invoquant rien de moins que les 700 ans d'Histoire du pays (et tout juste pas Guillaume Tell avec) pour confirmer la justesse de son point de vue ; celui-ci, ordonne péremptoirement notre Comité, doit être suivi «d'un bout à l'autre de la Suisse» («von Romanshorn bis Genf» le formule encore plus explicitement le texte original, après avoir déploré les critiques, mais bien précisé, comme pour les situer à leur juste valeur, que «des reproches de ce genre émanent en bonne partie de la Suisse romande»). Le message se termine par une imprécation supposée nous faire frémir : «Celui qui, par faiblesse, invite les baillis dans son propre pays ne doit pas s'étonner si ceux-ci décident de s'y installer durablement». En somme, il devient antipatriotique de ne pas être d'accord avec le Comité central.
7. L'on révisera les points négatifs plus tard : dans onze ans peut-être ? L'attrait de cette votation réside, voyez-vous, dans sa candeur toute voilée et conditionnelle : on n'en connaît ni le prix ni la portée mais, trêve d'obsessionnalité, on y va au petit bonheur la chance ! En attendant, la partie adverse s'en servira pour pouvoir imposer à des disciplines affaiblies ou littéralement asphyxiées, mais qui avaient encore la force de résister, la pression écrasante d'une majorité venant cette fois de leur propre famille qui voudrait en finir.
8. L'on croit que l'on sera mieux défendu : pour déchanter il suffira de lire parmi les conventions celle, éloquente, concernant les sanctions. Celles-ci sont brandies en stipulant d'entrée de cause : «Si un médecin ou un assureur»... sic dans cet ordre-là !, ... «n'en respecte pas les dispositions»... N'aurait-on pas pu, à la lumière des multiples transgressions que l'actualité de ces dernières années nous a étalées, imaginer d'inverser l'ordre des fauteurs ? On devine bien qui a rédigé les textes. On aura donc compris que le médecin entre dans ces conventions avec une présomption de culpabilité qu'il lui appartiendra de dissiper. Mais qu'il se rassure, une commission «paritaire... (du style moitié-cheval-moitié-moineau sans doute)... de confiance» ( sssss) sera là pour l'épauler. Il lui suffit seulement de commencer à provisionner pour «les émoluments pour les propositions de conciliation qu'elle établit» qui seront à sa charge, comme le mentionne la convention ad hoc, (on constatera que l'on n'a pas lésiné sur les conventions), en précisant qu'«un acompte doit être versé» et que «l'indemnisation des frais des demandeurs est exclue».
9. L'on trouvera une raison d'être dans sa future gestion : cet argument est compréhensible au vu du point précédent. Il arrange les affaires d'une minorité d'ores et déjà très activement recyclée. C'est celle qui nous vante le mérite du système avec ce charme des poètes britanniques du siècle dernier qui chantaient le tonifiant climat anglais tout en vivant sur la Côte d'Azur. Elle prône la «participation» dénonce le «manque de courage» et, selon sa verve, traite les opposants de «masochistes» ou d'«impuissants». Ceux-ci se consoleront en se disant qu'il reste plus noble d'assister digne et impavide à son déclin que de collaborer à son propre asservissement avec l'empressement d'un valet de chambre fleurant bon l'amidon dans son gilet rayé.
10. Nos dirigeants doivent tout de même savoir ce qu'ils font : hélas non, et c'est pourquoi nous devons leur pardonner même s'ils sont en train de crucifier notre profession libérale.