Le mélanome est une maladie dévastatrice face à laquelle l'arsenal diagnostique, pronostique et thérapeutique reste limité. Les techniques actuelles telles que la vidéomicroscopie et la recherche du ganglion sentinelle permettent d'améliorer le diagnostic et le suivi des patients présentant des lésions cutanées pigmentées malignes. Toutefois, elles ne permettent pas de définir avec certitude le pronostic pour un patient donné. De nouvelles méthodes basées sur l'analyse globale de l'expression des gènes dans les tumeurs pourraient offrir de nouveaux moyens diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques ainsi qu'une meilleure compréhension des bases moléculaires du cancer. Ces méthodes sont encore au stade expérimental, mais apportent déjà de précieuses informations sur le mélanome.
L'incidence du mélanome ne cesse d'augmenter. Il est impératif de poser le diagnostic de manière précoce vu qu'à ce jour, le traitement le plus efficace du mélanome est l'exérèse à un stade in situ alors qu'il est confiné à la peau. Une fois le diagnostic de mélanome établi, les moyens pronostiques et thérapeutiques à disposition restent limités. Plusieurs nouvelles méthodes telles que la vidéomicroscopie et la recherche du ganglion sentinelle permettent d'affiner le diagnostic et le suivi des patients présentant des lésions cutanées pigmentées malignes. Toutefois, elles ne permettent pas de définir avec certitude le pronostic pour un patient donné. De nouvelles méthodes basées sur l'analyse globale de l'expression des gènes dans une tumeur pourraient offrir de nouveaux moyens diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques. Ces méthodes sont encore au stade expérimental, mais apportent déjà de précieuses informations sur l'origine des tumeurs métastatiques.
Les moyens diagnostiques utilisés pour le dépistage et le diagnostic du mélanome comprennent des techniques basées sur la morphologie des lésions pigmentées de la peau ainsi que sur l'examen histopathologique des pièces après excision.
L'importance de la détection précoce d'une lésion mélanocytaire prémaligne (nævus atypique) ou maligne est bien établie. Le dermatoscope est un instrument qui permet un agrandissement des lésions pigmentées de la peau et qui, par une technique d'immersion, permet de mieux visualiser l'épiderme et le derme superficiel. La vidéomicroscopie, basée sur le même principe, permet la documentation de toutes les lésions pigmentées d'un patient et l'acquisition d'images numériques grâce à une caméra vidéo. Cet examen permet un diagnostic aisé des lésions clairement bénignes ou malignes. Sa faiblesse réside par contre dans le diagnostic des lésions «intermédiaires». L'examen histopathologique de la pièce opératoire reste cependant l'examen de référence, établissant la nature bénigne ou maligne d'une lésion pigmentée cutanée. Il faut savoir que même l'excision systématique de toutes les lésions pigmentées ne protège pas du mélanome car deux mélanomes sur trois surviennent de novo.1
L'analyse histologique de la pièce opératoire est l'examen de référence pour le diagnostic des lésions pigmentées de la peau. Des moyens immunohistochimiques permettent de confirmer la nature mélanocytaire des cellules tumorales.
Une fois le diagnostic de mélanome établi, nous ne disposons pas encore de moyen de prédire l'évolution avec certitude chez un patient donné. Les caractéristiques telles que l'indice de Breslow (épaisseur de la tumeur), le site, le type histologique, l'index mitotique, la présence d'ulcération, l'invasion vasculaire ou lymphatique, la présence d'embols, le sexe et l'âge, bien qu'étant des éléments importants permettant d'évaluer le risque métastatique, ne peuvent pas à eux seuls établir le pronostic. Afin de mieux prédire l'évolution d'une tumeur mélanocytaire, de nouvelles techniques sont développées telles que l'analyse du ganglion sentinelle et la mesure de la protéine S100B. Il est prévisible que la génomique offrira une aide dans ce domaine en nous livrant de nouveaux moyens pronostiques dans les années à venir.
La recherche du ganglion sentinelle est effectuée dans le but de préciser le staging du mélanome et la prise en charge qui en résulte. Cet examen met en évidence des micro-métastases ganglionnaires (ganglion sentinelle positif) alors qu'aucune adénopathie n'est décelée cliniquement et radiologiquement. Le ganglion sentinelle est prélevé et soumis à un examen histopathologique et une immunohistochimie, la réverse transcription-PCR (RT-PCR, cf. infra) étant en cours d'étude. Il est bien établi que les malades à ganglion sentinelle positif ont un intervalle libre sans récidive et une survie réduits. La nouvelle classification du American Joint Committee on Cancer (AJCC) qui entre en vigueur en 2002 comprend les données obtenues lors de l'examen du ganglion sentinelle.2 En effet, le nombre de ganglions métastatiques représente le meilleur indicateur de survie à dix ans lors de ganglion sentinelle positif. La nouvelle classification distinguera également les micrométastases ganglionnaires (découvertes à l'examen du ganglion sentinelle) des macrométastases (découvertes à l'examen clinique), cette différence étant en rapport avec la charge tumorale et se traduisant par des taux de survie différents.3
Alors que l'analyse du ganglion sentinelle est une technique qui nécessite des moyens assez importants, la présence d'un marqueur sanguin permettant d'évaluer l'évolution du mélanome serait idéale. Pour l'instant il n'y a pas de tel marqueur fiable disponible, toutefois le dosage de la protéine S100B offre des informations intéressantes.
La protéine S100B est exprimée dans les mélanocytes et les cellules tumorales de mélanome. Elle représente donc un marqueur tumoral potentiel. Dans le cas du mélanome, l'élévation de la S100B sérique correspond à une probable lyse des cellules tumorales, engendrant une libération de ce marqueur dans le sérum.
Etant donné que tous les mélanomes ne s'accompagnent pas d'une élévation de la S100B sérique, ce dosage n'est pas un moyen de détection du mélanome. Ainsi, la S100B ne peut être utilisée ni à but diagnostique, ni pour le suivi de façon fiable. Par ailleurs, la S100B est présente dans d'autres tissus, l'élévation de son taux est retrouvée dans d'autres pathologies telles que l'AVC, l'hémorragie sous-arachnoïdienne, le traumatisme crânien et l'arrêt cardiaque.4
Les difficultés actuelles de dépistage et de pronostic sont bien démontrées dans une étude rétrospective sur un collectif de patients atteints de mélanome.5 Il semblerait que l'augmentation des cas de mélanome rapportés au cours des dernières années concerne surtout les mélanomes de faible épaisseur (à type superficiel extensif) tandis que l'incidence des mélanomes épais (à type nodulaire) est restée stable. La mortalité due au mélanome au cours de cette même période est restée stable. En effet, les mélanomes épais sont responsables de la majorité de la morbidité et mortalité. Toutefois, environ 2-18% des mélanomes très fins peuvent devenir métastatiques à dix ans.6
Nous constatons donc que dans l'état actuel de nos connaissances, nous restons incapables de prédire le devenir d'un mélanome à long terme pour un patient donné. Nous comprenons dès lors l'importance de trouver de nouveaux moyens pour distinguer les mélanomes dont le potentiel évolutif est réellement inquiétant, de ceux qui garderont un caractère relativement bénin.
La genèse d'une tumeur est la succession de plusieurs étapes-clés. Ce concept est le mieux caractérisé dans le cancer colo-rectal où la cascade muqueuse normale, dysplasie (adénome), cancer in situ, cancer métastatique est bien connue. Un modèle génétique de carcinogenèse colo-rectale a été proposé comprenant une série de mutations touchant des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeurs. Nous en citons quelques-uns à titre d'exemple. Des mutations du gène APC (Adenomatous Polyposis Coli) initient le processus néoplasique en engendrant un (ou plusieurs) foyer(s) de dysplasie dans la muqueuse colo-rectale. Ensuite, des mutations de l'oncogène k-ras sont impliquées dans la progression du degré de dysplasie au sein de l'adénome constitué. Plus tardivement, l'inactivation de p53 qui est un gène suppresseur de tumeur, est à l'origine de la formation d'un carcinome colo-rectal.7
Pour le mélanome, il existe un modèle de progression au niveau macroscopique et histologique (fig.1). Un spectre de lésions cutanées est décrit comprenant nævus bénin-nævus atypique-mélanome in situ-mélanome invasif. Toutefois chacune de ces étapes n'est pas corrélée à une altération génétique connue. Des altérations du gène CDKN2A, un gène suppresseur de tumeur codant pour une protéine qui intervient dans le contrôle du cycle cellulaire, semblent agir au stade de mélanome primaire de faible épaisseur. D'autres mutations touchant des gènes suppresseurs de tumeur, oncogènes et des gènes impliqués dans des interactions avec le cytosquelette jouent un rôle dans la progression tumorale et la genèse de métastases.8,9,10 Finalement, différents gènes impliqués dans le contrôle du programme d'apoptose semblent jouer un rôle important dans la résistance des mélanomes aux chimiothérapies.11
Il est à noter qu'un nombre important de gènes identifiés au cours des différentes études sur le mélanome se rapportent à un stade tardif de la maladie. Nous connaissons par contre encore relativement peu les gènes caractérisant l'évolution du nævus atypique en mélanome in situ. En outre, les bases moléculaires qui différencient le mélanome acral lentigineux des autres types de mélanome (nodulaire, superficiel extensif, lentigo malin de Dubreuilh) restent mal comprises.8 En effet, l'irradiation par les ultraviolets semble jouer un rôle majeur dans la carcinogenèse de ces derniers, alors que son impact est minime dans le mélanome acral.
L'expression d'un gène consiste en la transcription de l'ADN avec la formation d'un ARNmessager (ARNm), suivie de la traduction en protéine, aboutissant à une fonction cellulaire donnée. Parmi le répertoire de gènes communs à toutes les cellules d'un organisme donné, il est estimé que seulement 15% de ces gènes sont exprimés dans une cellule donnée. L'environnement de la cellule ainsi que les stimuli qu'elle subit se traduisent par un changement de l'expression des gènes déterminant le cours du développement normal ainsi que les états pathologiques de la cellule. L'étude du profil d'expression des gènes d'une cellule (ou d'un tissu) fournit donc des données précieuses sur la situation cellulaire (par exemple, son taux de prolifération).
L'étude des protéines («protéomique») donnerait une image encore plus précise en raison de l'existence de modifications post-traductionnelles des protéines ; toutefois, compte tenu des difficultés techniques, cette étude est à un stade moins avancé que l'analyse de l'expression génique.
L'étude de l'expression génique est facilitée par la complétion du séquençage du génome humain,12 ainsi que par le fait que des études génomiques déjà effectuées ont mené à l'identification d'un grand nombre d'ARNm et leur gène correspondant. Ces informations sont répertoriées dans des puissantes bases de données bio-informatiques qui sont à la disposition de tous.
Plusieurs méthodes permettent l'analyse de l'expression des gènes dans un tissu donné. Parmi les techniques à disposition, les microarrays, SAGE, RT-PCR et l'analyse DATAS sont les techniques les plus couramment utilisées (tableau 1, page suivante).
Les microarrays donnent une information quantitative comparant le niveau d'expression d'un grand nombre de gènes dans deux (ou plusieurs) tissus distincts en hybridant l'ARNm d'un tissu sur une membrane contenant du matériel génétique (array). Appliqués à l'oncologie, il s'agit le plus souvent d'une comparaison du tissu tumoral et tissu sain d'origine.
La méthode SAGE (Serial Analysis of Gene Expression) consiste en la génération de très courtes séquences d'ADN appelées tags à partir de l'ARNm des tissus, chaque tag représentant un ARNm unique. L'identité de chaque tag est déterminée et sa fréquence indique le nombre de copies de l'ARNm correspondant, donc le niveau d'expression dans chacun des tissus étudiés.13
DATAS (Differential Analysis of Transcripts with Alternative Splicing) est une nouvelle méthode d'analyse d'expression génique qui se penche sur les mécanismes d'épissage alternatif (alternative splicing) entre deux tissus distincts.14 L'épissage est l'étape qui transforme un pré-ARNm (issu de la transcription d'un gène) en différents ARNm permettant la formation de différentes protéines à partir d'un seul gène. Pour illustrer l'importance de ce mécanisme, il est estimé qu'au minimum 35% du génome humain est sujet à l'épissage alternatif permettant de générer plusieurs centaines de milliers de protéines différentes à partir d'un nombre estimé de 35 000 à 80 000 gènes15 (fig. 2, page précédente).
Afin de mieux comprendre l'évolution du mélanome métastatique, une étude microarray sur trente et un patients atteints de mélanome cutané a identifié un sous-groupe de dix-neuf mélanomes selon la similarité de leur profil d'expression avec une évolution relativement meilleure que les douze patients restants. L'analyse de l'expression des gènes présents a permis d'émettre l'hypothèse que les dix-neuf mélanomes de meilleure évolution avaient une motilité ainsi qu'une capacité d'invasion réduites puisqu'ils présentaient une baisse de l'expression de gènes impliqués dans la migration cellulaire et la formation d'adhésion focale, tels que les intégrines. Les douze autres mélanomes à pronostic plus défavorable présentaient une expression augmentée de molécules jouant un rôle promigratoire. Il semblerait ainsi que ces gènes aient un rôle-clé dans la progression tumorale et l'augmentation du potentiel métastatique du mélanome.
L'intérêt de cette étude génétique est qu'elle a permis d'identifier des sous-groupes à pronostic différent alors que ceci n'était pas possible sur la base des caractéristiques in vivo et in vitro des tumeurs. Elle a également permis de découvrir de nouveaux gènes impliqués dans la progression de ces tumeurs.16
D'autres études génomiques effectuées dans le cancer de la prostate, du sein, leucémie et lymphome B17-20 ont permis de mettre en évidence de nouveaux marqueurs potentiels pour le suivi de la maladie, d'améliorer la classification de ces tumeurs et de mieux prédire leur réponse aux chimiothérapies. Récemment, une étude SAGE a permis d'identifier une enzyme (phosphatase) comme molécule-clé de progression tumorale dans le cancer colo-rectal. Cette enzyme pourrait constituer une nouvelle cible pour le traitement de ces tumeurs.21
A Genève, à la Clinique de dermatologie, en collaboration avec les cliniques d'oncologie de Lausanne et de Genève, nous avons un projet de recherche qui vise à comprendre l'évolution des lésions pigmentées de la peau en mélanome. Nous employons la méthode DATAS afin de comparer les séquences d'épissage alternatif dans le nævus et le mélanome. Nous espérons ainsi mieux comprendre la base moléculaire de la dégénérescence des lésions pigmentées de la peau pour identifier les patients à risque. Il n'existe pas à ce jour d'étude systématique de l'épissage alternatif dans les lésions pigmentées bénignes de la peau et le mélanome. Notre étude devrait donc permettre d'identifier de nouveaux gènes impliqués dans l'évolution vers le mélanome métastatique et ainsi peut-être mener à la découverte de nouveaux marqueurs ou de nouvelles cibles dans la tumeur.
Le mélanome reste une maladie destructrice en raison de son agressivité, mais également parce que nous sommes démunis face à lui, tant sur le plan du diagnostic, du suivi que du traitement. L'avènement de nouvelles techniques comme la vidéomicroscopie et l'examen du ganglion sentinelle permettent une meilleure distinction des différents types de lésions mélanocytaires et une amélioration de la prise en charge qui en découle, mais ne permettent pas de définir avec certitude l'évolution d'un patient donné ou la réponse au traitement. Dans les années à venir, l'analyse systématique des gènes impliqués dans la progression d'une lésion pigmentée bénigne vers un mélanome métastatique permettra d'enrichir notre compréhension de la maladie tumorale et probablement de trouver de nouveaux marqueurs de suivi, voire de diagnostic. Ce type d'études fondamentales, basées sur le profil d'expression de gènes dans les tumeurs, offrira en outre la possibilité de définir le portrait moléculaire de la tumeur de chaque individu permettant une classification méticuleuse, avec la possibilité à la clé d'administrer le traitement le plus approprié dans chaque cas et de mieux prédire la réponse à un traitement donné. Les études de génomique amèneront également à la découverte de nouvelles cibles dans les tumeurs permettant une intervention pharmacologique ou immunologique. Toutefois, les études de profil d'expression des gènes dans les tumeurs sont encore confinées à certains laboratoires spécialisés et des progrès considérables doivent encore être faits avant que leur usage puisse être largement répandu et puisse avoir des implications cliniques directes.