Le journalisme dit «d'investigation» n'est pas sans points communs avec l'enquête policière ou, pour être plus bucolique et moins prétentieux, avec le taquinement du goujon. Etre au bon endroit au bon moment («Ce métier ne se fait pas sans un peu de chance» prophétisait le journaliste et moraliste Jean-Pierre Quélin), sentir d'instinct, ferrer avec justesse et prendre un plaisir malin à l'exposition du poisson à l'air libre. Il reste, selon les goûts, à partager sa proie avec ses proches, à la vendre à la criée ou à la remettre dans l'eau profonde. Nous pensions à tout cela il y a quelques minutes en recevant d'un correspondant bien intentionné, et dont nous tairons bien évidemment le nom, une note de l'Ambassade de France au Royaume-Uni, intitulée «Le point sur l'ESB au Royaume-Uni depuis novembre 2001» qui, en bonne logique diplomatique, n'aurait jamais dû atterrir sous les yeux d'un journaliste.Le beau, le bon, l'édifiant document diplomatique rédigé par un auteur qui, depuis Londres, nous renseigne fidèlement sur l'évolution de la situation à laquelle sont confrontés nos amis britanniques. Et comment mieux faire que de laisser ici la place à notre agent de renseignements ?«L'épidémie continue son déclin avec 1005 cas cliniques dénombrés au 31 décembre 2001 contre plus de 1300 en 2000. A ce jour, le Royaume-Uni a dénombré plus de 180 000 cas cliniques d'ESB dans 35 236 fermes (dont plus de 80% des cas dans des exploitations laitières), résume-t-il. Près de 5,5 millions de bovins âgés de plus de 30 mois ont été retirés de la chaîne alimentaire, dont 420 000 ont été directement incinérés. Concernant la surveillance active en Grande-Bretagne, 390 cas d'ESB (sur plus de 100 000 tests effectués à ce jour) ont été confirmés depuis sa mise en place, qui a été très lente en raison de la crise de la fièvre aphteuse. Les autorités britanniques essaient de rattraper, depuis le mois de janvier 2002, l'énorme retard de mise en conformité avec les exigences de l'Union européenne, dans ce domaine. Ce retard a été régulièrement dénoncé depuis plusieurs mois par la communauté scientifique britannique, les instances communautaires et l'opposition. Cette surveillance de l'ESB plus complète permettra de mieux appréhender l'incidence réelle de la maladie et pourra apporter des éléments de réflexion à l'Agence de sécurité alimentaire (FSA Food Standards Agency) qui réfléchit actuellement à la révision du programme OTMS (Over Thirty Months Scheme), en place au Royaume-Uni depuis 1996».S'il est vrai que globalement l'épidémie est sur le déclin, il faut tenir compte d'un fait nouveau et a priori inquiétant : la découverte d'un grand nombre de cas d'ESB sur des animaux nés après le 1er août 1996 (BARB) depuis deux mois. «Les scientifiques tentent d'expliquer la soudaine hausse du nombre de cas d'ESB chez des animaux nés après le renforcement des contrôles sur l'utilisation des farines animales en Grande-Bretagne, peut-on lire dans la note. En effet, sept animaux ont ainsi été découverts pendant les neuf dernières semaines, d'où un total de treize pour l'instant. Ce nombre devrait augmenter avec la mise en place de la surveillance active et en particulier le test de tous les animaux nés entre le 1er août 1996 et le 31 juillet 1997. Les animaux sont répartis sur tout le territoire britannique, y compris en Irlande du Nord (quatre cas à ce jour). Le plus jeune cas depuis six ans a été découvert en Irlande du Nord, il s'agit d'une bête âgée de 31 mois. Pour expliquer ces différents cas, les enquêteurs envisagent la possibilité que des farines de viandes et d'os aient été encore incorporées aux aliments pour veaux après le 1er août 1996, malgré l'interdiction. Cette contamination peut avoir eu lieu dans les fermes avec des stocks mis en réserve ou encore par contamination croisée pendant la fabrication ou le transport des aliments. L'hypothèse du passage de l'infection de la mère au veau a pu être exclue dans la majorité des cas. Dans le dernier cas apparu en Irlande du Nord sur un jeune animal, la piste de transmission maternelle semble cependant être retenue».Il convient ici de rappeler qu'à la différence des autres Etats membres de l'Union européenne, Londres s'est toujours refusée à mettre en place un dépistage systématique des animaux apparemment sains âgés de plus de 30 mois en arguant du fait que ces animaux n'étaient pas destinés à la consommation humaine mais retirés de la chaîne alimentaire britannique. Seuls 100 000 tests de dépistage de l'ESB ont été effectués en Grande-Bretagne contre 2 500 000 en France qui ont permis d'identifier 390 cas d'ESB. La note de l'ambassade précise que depuis le 7 janvier 2002, les autorités britanniques ont étendu les tests visant à dépister l'ESB chez différentes catégories d'animaux (le nombre de 355 000 minimum est prévu pour 2002), conformément aux exigences de l'Union européenne. Les différentes catégories suivantes seront systématiquement testées : 1) tous les animaux âgés de plus de 24 mois morts à la ferme et abattus d'urgence ; 2) tous les animaux nés entre le 1er août 1996 et 1er août 1997, abattus dans le cadre de l'OTMS ; 3) tous les animaux âgés de plus de 30 mois destinés à la consommation humaine (en moyenne 200 par an abattus dans ce cadre entre 30 et 42 mois) ; 4) un échantillonnage d'animaux âgés de plus de 30 mois et abattus dans le cadre de l'OTMS (non destinés à la consommation humaine). Le Royaume-Uni a prévu d'en tester au moins 50 000 parmi cette catégorie de bovins ; 5) tous les descendants (offspring) des bovins touchés par l'ESB et âgés de plus de 30 mois (disposition en vigueur depuis le 10 septembre 2001). L'ensemble de ces catégories d'animaux est déjà testé en Irlande du Nord depuis le 1er octobre 2001.Il faudra donc encore attendre avant de disposer d'une cartographie épidémiologique précise de la maladie de la vache folle dans ce pays qui a enseigné l'épidémiologie au reste du monde.