Cette rubrique rapporte des cas réels pour lesquels les démarches diagnostique et thérapeutique présentent un intérêt particulier ou sont inhabituelles. Elle reflète l'activité du praticien et les divergences, parfois profondes, qui existent entre la médecine hospitalière, basée sur les preuves et celle, plus intuitive, que le praticien exerce au cabinet.Participants : Gilbert Abetel (Orbe), Christian Danthe (Vallorbe), Philippe Hungerbühler (Yverdon), Jean-Dominique Lavanchy (Yvonand), Daniel Russ (Echallens).Il s'agit d'un adolescent de 16 ans, suivi depuis 1998 de manière épisodique pour des affections banales, le plus souvent en urgence, qui consulte son médecin pour un examen médical d'entrée en apprentissage.Ses antécédents médicaux sont sans particularité. Le poids de naissance était de 3100 grammes et on ne relève aucune maladie ni accident particuliers dans l'enfance.En revanche, l'histoire familiale de ce jeune homme est lourde. Son père, âgé de moins de 50 ans, vient de mourir d'un cancer ; il était vigneron, avait un grand domaine et était bien connu dans la région. La mère du jeune homme fait tout ce qu'elle peut pour préserver le domaine, c'est-à-dire qu'elle loue provisoirement des vignes à des voisins ou demande de l'aide pour l'entretien des terres.Il pèse donc sur la tête du patient un lourd héritage, puisqu'il est le seul héritier mâle (il a une sur cadette, d'une année plus jeune que lui) et qu'il est destiné à reprendre le domaine.Quand il est vu par son médecin, c'est un jeune homme athlétique qui pèse 78 kg, mesure 179 cm et a un périmètre du bras à 29 cm (mesuré pour adapter la manchette à pression).A l'examen clinique, la pression artérielle (TA) est élevée à 139/109 mmHg (moyenne de 3 mesures) avec une fréquence cardiaque (FC) à 82 pulsations par minute. Des valeurs obtenues au cours des semaines suivantes, sont également élevées à 162/112 et 151/97 mmHg, avec des FC respectivement à 84 et 76 pulsations par minute. Le patient est alors adressé à un confrère pour un deuxième avis.Préambule à la discussion (Le médecin traitant). Devant la découverte fortuite d'une pression artérielle élevée chez un jeune homme de 16 ans en bonne santé qui se présente à votre consultation pour un examen médical de routine, que faut-il faire ? S'agit-il d'une hypertension artérielle (HTA) vraie ou d'une hypertension de cabinet (effet blouse blanche) ?On sait que la pression artérielle est très labile chez la personne jeune, mais que la compliance des vaisseaux de conductance permet d'absorber l'onde systolique. Au cabinet médical, une tension artérielle élevée chez un jeune correspond donc très souvent à une hypertension vraie, alors que chez une personne plus âgée, dont la compliance vasculaire est diminuée, il suffit que l'activité sympathique soit légèrement augmentée pour que l'on observe des pics tensionnels.Dans cette situation, il a été postulé que le patient présentait une hypertension artérielle vraie et, deux mois après la consultation initiale, une mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) pendant la journée (8 h 00-22 h 00) est effectuée, qui confirme le diagnostic. La pression moyenne diurne est de 140/90 mmHg, avec 49% des TA systoliques * 140 mmHg et 49% des TA diastoliques * 90 mmHg. Pour un jeune homme de cet âge, la moyenne des pressions devrait se situer aux alentours de 120/80 mmHg.Tous les examens complémentaires (formule sanguine, électrolytes, glycémie, créatinine, clairance de la créatinine, TSH et T4) étaient normaux, à l'exception d'une protéinurie de 24 heures (sur un volume de 940 ml) légèrement élevée à 164 mg/l (valeur normale:
L'ECG et la radiographie du thorax étaient tous deux normaux.Discussion du cas entre confrères (Un confrère). Quelles étaient les TA mesurées lors des consultations antérieures ? (Le médecin traitant). Trois ans plus tôt, la pression était à 125/90 mmHg, mesurée lors d'une consultation pour des problèmes digestifs. L'année suivante, lors d'une visite en urgence pour des douleurs de la région xyphoïdienne, elle oscillait autour de 120-140/85-95 mmHg. Le mois suivant, elle était à 125/80 mmHg et le médecin traitant décrit un petit souffle cardiaque à l'auscultation, considéré comme fonctionnel. Enfin, un an avant l'examen médical d'entrée en apprentissage, des valeurs de 138/100 et 136/110 mmHg ont été mesurées. C'est à partir de ce moment que la TA commence à augmenter. (Un confrère). Y a-t-il une anamnèse familiale d'hypertension ? (Le médecin traitant). Non, il n'y a pas d'hypertendu dans la famille. (Un confrère). Cette hypertension est donc un «coup de tonnerre dans un ciel bleu» du point de vue familial ? (Le médecin traitant). A part le cancer du père, l'anamnèse familiale est sans particularité. C'est surtout un coup de tonnerre dans le sens que la mère présentait son fils comme un athlète sans défaut qui allait reprendre le domaine. Elle attendait donc qu'on lui dise que son fils était en pleine forme. (Un confrère). Le patient est-il tabagique ? (Le médecin traitant). Non, il ne fume pas.Au sujet des fluctuations de la TA chez les jeunes(Un confrère). Les jeunes de moins de 20 ans ont une TA qui fluctue beaucoup, cela a d'ailleurs été dit en préambule à cette discussion. Les éléments extérieurs peuvent avoir une grande influence sur la TA : l'hôpital m'avait référé un jeune patient qui, à la suite de la mise en place d'un fixateur externe du poignet, par ailleurs totalement indolore, avait une TA à 170/110 mmHg, sans tachycardie. J'avais mesuré sa pression au cabinet 3 ou 4 fois avant son accident ; elle était à 120/80 mmHg. Je ne l'ai pas traité, car je ne croyais pas à une hypertension vraie. Le lendemain de l'ablation du fixateur externe, la TA était redevenue normale à 120/80 mmHg. Le patient qui venait au cabinet pour le nettoyage des broches est donc resté «croché» à 160-170/110 mmHg. C'est impressionnant comme chez les jeunes, la pression peut augmenter puis se normaliser brusquement après un certain temps.A propos de la surveillance de la TA(Un confrère). On peut aussi observer des TA systoliques à 210-220 mmHg chez des personnes un peu plus âgées qui démarrent une activité professionnelle indépendante.Je pense par exemple à un installateur de cuisines qui avait eu une mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) dans le cadre de la démarche diagnostique, et chez qui tout s'était normalisé spontanément au bout de trois mois. Maintenant, je ne fais plus de MAPA, je fais mesurer la pression à domicile. (Un confrère). Sur la radiographie thoracique, il y a une petite discordance entre le diamètre du ventricule, qui est tout à fait normal, et la taille du bouton aortique. Ce patient a un petit souffle audible à l'auscultation et, par association avec un autre cas que j'ai vécu, je demanderais une échographie afin d'exclure une coarctation de l'aorte qui serait passée inaperçue. Il vaut la peine, pour un prix tout à fait raisonnable, d'être certain que l'aorte est de calibre normal, car c'est une cause opérable d'hypertension.Cela dit, la situation doit être documentée sur une plus longue période que ce qui a été fait, et pour une raison très simple : si on décide de traiter ce jeune homme de 16 ans, on s'embarque pour une soixantaine ou une septantaine d'années. Et qui peut dire qu'un traitement antihypertenseur d'une durée de 70 ans est anodin ? Personne !Il ne faut pas poser le diagnostic d'hypertension à la légère. Je proposerai encore six mois d'observation. (Un confrère). Parfaitement d'accord, d'autant plus que chez ce patient on n'a jamais observé des TA qui soient «dangereuses», du moins à court terme. (Le médecin traitant). Oui, mais il existe une protéinurie. (Un confrère). La protéinurie mesurée chez ce patient est anormale mais pas définitive, on sait très bien que c'est quelque chose de très fluctuant. On pourrait contrôler ce paramètre au moyen de «spots» urinaires. Il est maintenant démontré, si l'on prélève le premier échantillon après avoir vidé la vessie au lever (urine à jeun), que le rapport protéines/ créatinine dans un spot urinaire permet une estimation fiable des pertes urinaires en protéines.1 C'est plus facilement réalisable que la mesure de la protéinurie sur les urines de 24 heures, en particulier chez les sujets jeunes qui peuvent présenter une protéinurie associée à une hyperlordose ou une protéinurie fonctionnelle. (Le médecin traitant). En revanche, les valeurs de la TA sont quand même relativement élevées, et la TA moyenne mesurée par MAPA, même si elle n'est pas catastrophique, est en tous cas à la limite supérieure de la norme pour un adulte ; elle ne devrait pas excéder 140/90 mmHg. (Un confrère). Donc la question qui est posée est : faut-il traiter ?Je réponds par la négative. Il faut observer et documenter les valeurs de la TA pendant une période plus longue, parce que les conséquences vont être très importantes. Si le diagnostic est incorrect ou si la mise en route du traitement n'est pas optimale, l'adhérence thérapeutique sera nulle et on aura contribué pour rien à créer de l'angoisse dans une famille. (Le médecin traitant). Quel type de surveillance faudrait-il alors proposer ? (Un confrère). On pourrait d'abord répéter la mesure de la protéinurie. On recherche maintenant la microalbuminurie, non seulement chez le diabétique, mais aussi chez l'hypertendu. Cela peut être l'expression d'une néphropathie, comme cela peut être la conséquence de l'hypertension. (Un confrère). Combien de temps après la survenue de l'hypertension se manifeste la microalbuminurie ? (Le médecin traitant). Je n'en ai aucune idée. (Un confrère). Il faut quand même ne pas perdre de vue que la recherche d'une microalbuminurie n'est pas un test de dépistage de l'HTA. Par conséquent, si cette albuminurie est présente maintenant, ce n'est pas à cause d'une TA élevée d'apparition récente. On pourrait contrôler ce paramètre, mais il n'a très probablement rien à voir avec l'HTA. Ou alors, c'est qu'il existe une pathologie rénale sous-jacente, et dans ce cas, il pourrait s'agir d'une HTA secondaire. (Un confrère). Plus on fera d'examens, plus les chances de trouver des anomalies seront grandes, sans qu'elles soient nécessairement en relation avec l'HTA. Je n'aurais pas fait tous ces examens, du moins dans un premier temps. (Un confrère). Depuis le début de notre discussion, la manière dont le cas a été présenté en a fait d'emblée un homme malade, qui a été investigué comme tel. (Le médecin traitant). Il a été investigué comme un hypertendu. (Le même confrère). Non, comme un hypertendu malade. J'insiste sur le terme «malade», parce que dans la symbolique, c'est important. Ce jeune homme qui va être contrôlé, se présentera chez son médecin comme un malade. Il voudra donc être soigné !C'est important, au moment de la découverte d'une TA élevée, de faire tout ce qui a été fait, je ne le conteste pas. Je le fais aussi en partie, pas toujours. Mais à la conclusion de la première visite, je terminerais par exemple en disant : «Pour l'instant ce n'est rien. On se revoit dans trois mois». Et comme cela, le patient repart «en bonne santé». Ainsi, cela désamorcera peut-être le mécanisme qui est celui du stress de la blouse blanche, ou du stress de l'homme malade face à la blouse blanche, ce qui est bien différent d'une HTA vraie.Aller s'enquérir de son état de santé ou venir essayer de soigner une maladie qu'on porte, ce n'est pas du tout la même présentation. Si vous avez été malade, vous savez comment vous vous présentez auprès du confrère qui vous soigne. (Un confrère). Cette remarque est d'autant plus intéressante pour nous médecins, dans le sens que notre identité est de traiter les gens malades. Les examens de routine pour le permis de conduire, les questionnaires pour les assurances maladie, ou dans ce cas l'examen d'entrée en apprentissage, sont justifiés pour des raisons politiques ou sanitaires ; ils sont destinés à déterminer une aptitude. Or, dans cette situation particulière, l'examen est «piloté» vers quelque chose d'autre que la détermination d'une aptitude. Ce jeune homme est-il apte à faire son apprentissage, oui ou non ? La réponse «oui» ne ressort pas de la présentation du cas. (le médecin traitant). Pour moi, ces examens de routine sont une occasion de procéder à un examen médical simple et de prodiguer des conseils. S'il s'agit par exemple d'un adolescent obèse, tabagique, ou qui va manger dans un fast-food trois fois par semaine, j'essaie d'orienter un peu les choses, parce que c'est justement chez les jeunes que l'on a peut-être encore un impact. D'autre part, ils n'ont souvent plus revu de médecin depuis des années. C'est peut-être aussi pour ces adolescents une manière de trouver un médecin personnel et de se désolidariser de leurs parents. Je pense que nous avons la responsabilité d'effectuer un examen clinique en considérant que l'on ne nous demande pas de déterminer une aptitude à faire quelque chose, mais plutôt de dire s'il existe une inaptitude à le faire.Importance de ne laisser passer aucune occasion pour procéder à un examen clinique(un confrère). Un collègue m'a rapporté l'histoire récente d'une personne proche de sa famille à qui, lors de son entrée à l'école de recrues, on avait dit qu'il y avait quelque chose d'anormal à l'auscultation cardiaque. Des investigations plus poussées effectuées pour cette raison ont mis en évidence une CIV méconnue jusqu'à l'âge de 20 ans, avec un cur augmenté de taille. Même si ce genre de cas est rare, toutes les occasions sont bonnes pour faire un bon examen clinique. (un confrère). Pour ma part, je demanderais l'avis du patient, même s'il n'a que 16 ans, même s'il est incompétent en médecine, parce que je le considère d'emblée comme un futur adulte. Et je lui accorderais une compétence. Je ne peux pas dire comment je ferais cela parce qu'il n'est pas en face de moi ; c'est l'aspect artistique de la médecine.Nous sommes en train de discuter comme si nous décidions seuls et que le patient n'a qu'à suivre sans discuter. Et ça, c'est une médecine que je ne pratique plus. (Le médecin traitant). Pour rejoindre ce qui a été dit, on peut responsabiliser le jeune adulte qui vient en consultation et chez qui on trouve une hypertension en lui disant : «Écoutez, tout est en ordre, vous paraissez en bonne forme. Votre pression est un peu haute, c'est peut-être l'émotion de l'examen. Êtes-vous d'accord de revenir contrôler votre pression une ou deux fois, puis on se revoit dans trois mois pour faire le point ? Vous pouvez passer quand vous voulez pour faire mesurer votre pression». (Un confrère). D'accord, mais si le patient ne revient pas ? (Le médecin traitant). A ce moment, il choisit de ne pas revenir. (Un confrère). Non, il ne choisit pas de ne pas revenir ; il annule le rendez-vous par exemple parce qu'il pense : «Il m'a dit que j'allais bien, il a trouvé ma pression un peu haute, mais on ne va pas en faire toute une histoire
». Êtes-vous à l'aise ? Ou contactez-vous le patient par téléphone en lui disant qu'en reprenant son dossier vous souhaiteriez le revoir pour contrôler sa pression ? (Un confrère). Je ne le fais que s'il y a un rendez-vous manqué, mais jamais si je n'ai pas fixé de rendez-vous. (Un confrère). Je donne un rendez-vous à trois mois. A partir de ce moment-là, il existe un contrat implicite entre le patient et moi, et si le rendez-vous est manqué, je le contacte par téléphone ou je lui envoie un bref courrier l'invitant à faire contrôler sa pression chez moi ou chez quelqu'un d'autre. J'offre ainsi un choix, parce qu'il peut s'être passé quelque chose entre-temps, qui bloque la situation et que j'ignore totalement. (Le médecin traitant). Si je résume bien, c'est en fait tout le drame d'un jeune homme sportif et en bonne santé, qui va commencer un apprentissage de vigneron, et qu'on précipite du domaine des bien-portants au domaine des malades ? Si on déculpabilise l'hypertension, parce que vous avez l'air de culpabiliser terriblement l'hypertension
(Un confrère). Non, pas l'hypertension, mais le médecin qui considère trop tôt que la personne en face de lui est hypertendue. (Le médecin traitant). D'accord, ce serait mieux de dire : «C'est quelque chose qui touche 10 à 20% de la population, ce n'est de toute manière pas bien grave, mais il ne faut pas le négliger. Cela vaut la peine de contrôler votre pression et de traiter si nécessaire». Faites-vous passer ce message ? (Un confrère). Pas dans un premier temps, j'ai souvent encore trop de doutes. N'oubliez pas que dans l'anamnèse de ce jeune homme, il y a ce facteur fondamental d'un adolescent qui est soumis à une pression familiale et sociale extrêmement lourde. Il est porteur de responsabilités énormes et il a déjà sur lui une pression de l'environnement massive que l'on n'a pas encore abordée. Je me permettrais, déjà au cours de cette première consultation, sans y mettre de relation avec la possible hypertension, de demander au patient : «Comment allez-vous ? Vous sentez-vous malade ?» Cela ouvre ainsi la discussion sur son histoire de vie, non pas sur une valeur de TA. Parce que son histoire de vie, c'est l'élément le plus important. (Un confrère). Si on parle en termes de pronostic vital et de morbidité, quel est l'élément de moins bon pronostic ? S'agit-il de l'hypertension ou de cette histoire personnelle difficile dont bon nombre d'aspects ne sont pas résolus ?A-t-on des études à ce sujet ? Des études bien faites, avec plus ou moins deux écarts-type ? Ou doit-on faire appel à notre intuition et se dire : «Tiens, c'est drôle. Je connais un paysan dans cette situation-là qui est devenu alcoolique
, je connais une autre personne qui a fait ceci
, j'en connais une qui a fait cela
». Peut-être que le pronostic de cette situation-là est moins bon que le pronostic de l'hypertension ? (Le médecin traitant). Le médecin référent a choisi d'investiguer de manière simple ce qu'il considérait comme une hypertension. Puis ce cas a été présenté lors d'une réunion sur le thème de l'hypertension. La réponse unanime des spécialistes a été : il est clair que ce patient est hypertendu et qu'il faut le traiter de manière aussi précoce que possible. (Le médecin traitant). Quel est votre avis à ce propos ? (Un confrère). Il faut bien réaliser que les personnes participant au colloque au cours duquel le cas a été présenté ne pouvaient pas raisonner autrement, à partir du moment où ils sont «entrés dans le tunnel».Or, on les a fait entrer dans le tunnel : si un patient est présenté d'emblée comme un hypertendu, c'est-à-dire que le présentateur est convaincu que les valeurs élevées de la TA ne sont pas secondaires à un problème psychologique, il est clair que la réponse sera qu'il faut traiter l'hypertension, il n'y a pas l'ombre d'un doute. La différence vient du fait que nous ici dans ce groupe ne sommes pas (encore) convaincus que le patient présenté soit vraiment hypertendu.Selon la situation ou selon à qui on s'adresse, il y a des phénomènes qui ne sont même pas des phénomènes émotionnels, ni même des phénomènes de foule, mais des phénomènes de loyauté. Il y a des choses que l'on ne peut pas dire quand on est spécialiste ou que l'on participe à un colloque. On ne peut pas prendre le petit risque qu'il serait logique et indispensable de prendre. Dans un groupe de spécialistes, il y a une distorsion qui est liée au fait que ces gens soient ensemble ; il existe une espèce de consensus qui est en fait un pseudo-consensus. Lorsqu'on travaille individuellement avec chacun de ces spécialistes, on s'aperçoit qu'ils raisonnent autrement.Cela pose d'ailleurs le problème de savoir si nous ne sommes pas parfois toxiques, s'il y a des pathologies ou des traitements dont la justification est purement iatrogénique. En d'autres termes, de savoir s'il existe des situations dans lesquelles c'est le médecin qui se rassure lui-même, ou le médecin qui se conforte dans son rôle.Ce sont des questions que l'on ne peut malheureusement que poser parce les éléments de réponse (qui nécessiteraient une expérimentation humaine éthiquement inacceptable) ne sont pas disponibles. Toutefois, ces questions me paraissent fondamentales, non pas en tant que médecin, mais en tant que philosophe et citoyen. (Un confrère). L'histoire de ce jeune homme présentée devant un groupe de spécialistes qui proposent comme un seul homme de le traiter pendant 60 ans ou plus sur la base de quelques valeurs de TA et une MAPA sur 12 heures, sans information au sujet de la pression nocturne est intéressante. Si on regarde les valeurs diastoliques de l'enregistrement, il y en a bien sûr 49% qui sont supérieures à 90 mmHg, mais la plupart d'entre elles sont situées entre 90 et 100 mmHg. On ne peut donc pas dire que l'enjeu soit vital, ni même qu'il existe un enjeu particulier pendant les dix années à venir.Je ne lui donnerai pas pour autant un rendez-vous dans dix ans, ni même dans six mois, mais je me donnerai encore trois mois.Ce qui me frappe aussi, c'est le fait que si on décide de traiter ce patient pour une soixantaine d'années, cela représente quand même plus de 18 000 comprimés à prendre. Et nous n'avons pas parlé de la manière dont le patient se nourrit, en particulier de sa consommation de sel. Il existe des mesures de base moins coûteuses même qu'un diurétique et sur lesquelles il vaut la peine de préciser l'anamnèse.On ne sait pas non plus comment dort ce jeune homme. On sait la pression sociale qui pèse sur lui, mais on ne sait ni comment il vit, ni quelles sont les substances ou la quantité d'alcool qu'il pourrait consommer ou avoir consommé et qui sont connues pour faire augmenter la pression. Des facteurs exogènes étrangers au milieu familial peuvent également intervenir.Il faut absolument lui laisser du temps et le sensibiliser non pas au fait qu'il a une hypertension, mais qu'il a une pression un peu élevée, que c'est probablement quelque chose de ponctuel aujourd'hui, à réévaluer dans le futur. Il faudrait peut-être aussi lui faire prendre conscience de certains événements de son vécu qui viennent peut-être aggraver la perception et les difficultés liées à la situation familiale.Une échographie rénale a encore été effectuée. Elle était normale. Le patient a été mis sous traitement d'inhibiteur de l'ECA (périndopril 4 mg/j) environ trois mois après la constatation, lors de la visite de pré-apprentissage, des valeurs tensionnelles élevées. Ce médicament a été choisi pour sa longue durée d'action mais il n'a pas normalisé la TA qui est restée élevée à 145-150/90 mmHg.Sachant que les IECA et les antagoniste de l'angiotensine (AIIA) sont souvent peu efficaces lorsqu'il existe une surcharge en sodium, un diurétique (indapamide) a été associé au traitement qui est actuellement bien supporté et n'interfère pas avec les activités habituelles. La pression oscille maintenant autour de 137-135/89-84 mmHg.Ce traitement a apparemment été bien reçu par la mère qui était rassurée, mais on ne sait pas s'il a également été bien perçu par l'adolescent. (Un confrère). C'était donc encore un fois la pression artérielle qui était contrôlée, pas le patient ! (Le médecin traitant). C'est possible, toutefois une interruption de traitement est envisagée d'ici quelque temps (après six mois) pour s'assurer qu'il est justifié. En fait, il est très difficile de «s'embarquer» à la légère dans un traitement pour des dizaines d'années. (Un confrère). Il aurait quand même mieux valu se donner encore un peu de temps avant de l'introduire. Il est fondamental de garder à l'esprit que l'initiation d'un traitement, puis son interruption quelques mois plus tard, peut résulter en une déstabilisation du patient qui risque ensuite de faire du tourisme médical parce qu'il n'a pas du tout accepté l'éventualité d'avoir une hypertension et de considérer que toutes les personnes consultées sont incompétentes. On arrive ainsi parfois à des situations que plus personne ne maîtrise.Voir aussi la deuxième partie pour l'avis des spécialistes