Souvenons-nous un instant. C'était il y a vingt ans ; un siècle. Combien étions-nous, alors, que le hasard avait conduit à s'intéresser à ce qui ne s'appelait pas, encore, le sida ? Virus ou déséquilibre immunitaire ? Des informations commençaient à filtrer en faveur de la première hypothèse puisqu'il semblait que la voie sanguine de transmission pouvait être mise en évidence. L'été 1982 approchait, lui qui donna un si beau millésime. Souvenirs Tous ceux qui travaillaient cette question ignoraient bien évidemment la suite, les turpitudes à venir, les erreurs, les tâtonnements, les fautes, le mélange des genres, la souffrance de ceux à qui l'on apprit que leur contamination transfusionnelle aurait pu être prévenue
Mars 2002. On apprend, de la bouche des autorités sanitaires françaises que le premier cas de contamination post-transfusionnelle par le VIH depuis 1998 venait d'être identifié. Il concerne une femme de 80 ans qui était «gravement malade» et qui a subi une transfusion en janvier dernier. Cette personne est décédée depuis, mais, selon Bernard Kouchner le ministre français délégué à la Santé, aucun lien n'a été établi entre le décès et la contamination. Le donneur a «très probablement» été contaminé dans les 11 jours précédant son don, période pendant laquelle le virus n'est pas détectable, a encore expliqué M. Kouchner. L'Etablissement français du sang (EFG) et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ont décelé ce cas à l'occasion d'un don d'organe de la personne décédée, a précisé Philippe Duneton, directeur général de l'Afssaps.
«Nous avons remonté la chaîne. Un des donneurs était devenu séropositif depuis le don du sang incriminé, lors du premier test de sang donné, a ajouté M. Kouchner. Il n'y a pas de garantie complète lors d'une transfusion, malgré la mise en place depuis juillet 2001 du dépistage génomique viral (DGV), qui a permis de réduire de 22 à 11 jours la période pendant laquelle la présence du VIH ne peut être détectée. En ce qui concerne le VHC, cette période est réduite à 6 jours». On estime aujourd'hui en France que le risque de contamination post-transfusionnelle par le VIH est de 1 pour 3,5 millions de dons et de 1 pour 1,7 million pour l'hépatite C. Les pouvoirs publics n'envisagent pas pour l'heure de revoir le questionnaire soumis aux donneurs de sang potentiels. En l'occurrence, M. Duneton a indiqué que le donneur ne savait pas qu'il était contaminé. En 1998, une personne avait après transfusion été contaminée en France par le VIH et deux par le VHC.
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Vingt ans après, la spectaculaire réduction des contaminations post-transfusionnelles fait suite au renforcement annoncé en octobre 2000, contre l'avis des experts, de la sécurité transfusionnelle via l'introduction du DGV. Les experts français faisaient alors valoir qu'en toute hypothèse l'introduction du DGV pour les agents pathogènes du sida et de l'hépatite C ne parviendrait à prévenir que moins de trois cas annuels d'infections post-transfusionnelles.
Vingt ans après. «Le sida est en train "d'anéantir" l'Afrique sub-saharienne» annonce l'Agence France-Presse, depuis Addis Abeba, qui rappelle que l'Afrique sub-saharienne compte 28,1 millions de malades et séropositifs. Selon Stephen Lewis, envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Ethiopie sont avec l'Inde, les quatre pays où «le nombre de ceux affectés par le sida est absolument accablant». «Le 11 septembre 2001, 3000 personnes sont mortes dans un horrible acte terroriste à New York et en moins de quelques jours, le monde parlait de centaines de milliards de dollars pour combattre le terrorisme. Mais en 2001, 2,3 millions d'Africains sont morts du sida, et vous devez mendier et plaider pour trouver quelques centaines de millions de dollars pour y répondre, a insisté M. Lewis. Il y a quelque chose de complètement moralement faux en termes humains, et c'est ce que le monde est en train de commencer à réaliser. Cela ne veut pas dire qu'il ne doit pas y avoir d'argent pour combattre le terrorisme, mais qu'il faudrait un montant équivalent pour lutter contre le sida». Et combien, en Afrique, de sida post-transfusionnel ?
Le déjà célèbre Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme a reçu à ce jour des engagements de l'ordre de 1,9 milliard de dollars, mais 700 millions de dollars seulement seront effectivement disponibles en 2002. Vingt ans après. «Il est absolument impossible de décrire les millions d'enfants orphelins et la vie désespérée qu'ils mènent, le niveau constant de décès et de mourants, a encore déclaré M. Lewis. La question des orphelins est désespérément importante et nécessite une formidable attention supplémentaire d'urgence». M. Lewis a encore parlé des deux millions d'orphelins en Ouganda, du million d'orphelins au Kenya et en Zambie ainsi qu'un montant du même ordre à prévoir en Afrique du Sud dans les prochaines années.
Triste jeu des parallèles, terribles tropiques. Qui parle encore de solidarité nord-sud, de fossé à combler, de mise en commun des ressources et des compétences face à la mort programmée ?