Jour après jour, dans notre travail clinique, nous constatons que la médecine, malgré ses avancées étonnantes, est toujours incapable de nous expliquer le pourquoi et le comment de nombreuses maladies et de nombreux syndromes.Mais au moment même où nous doutons, alors que nous sommes perplexes, voire découragés, une sorte de promesse se profile qui a pour alliées les neurosciences, les performances de la technologie et la ténacité des chercheurs une promesse qui nous garantit que demain, dans un futur proche, nous posséderons enfin presque toutes les explications dont nous avons besoin pour mener à bien notre travail clinique. Peut-être même pour déjouer la mort.Pour l'heure, il nous faut accepter que certains patients s'orientent plus volontiers vers les médecines alternatives, qu'ils nourrissent de la méfiance à notre égard et, compte tenu aussi de l'augmentation continue des coûts de la médecine officielle, qu'ils ne se montrent pas toujours compliants. D'autant qu'il arrive parfois que des médicaments jugés performants soient précipitamment retirés du marché parce que soudain estimés dangereux, et que nombre d'autres médicaments, non dangereux, produisent des effets secondaires ou engendrent des formes de dépendance.Néanmoins, l'idée de progrès reste souveraine, prête à raviver nos espoirs à tout moment, à nous assurer que demain ne peut être que meilleur encore. Au risque, hélas, de nous faire trop miser sur le futur et, ce faisant, de dévaloriser le présent. Quant au passé, nous lui reconnaissons le rôle d'éternel précurseur et célébrons la manière dont il a défendu l'idée du progrès tout en assurant sa réalisation progressive.Mais que nous resterait-il encore à connaître si nous parvenions à la certitude d'avoir percé enfin tous les mystères, d'avoir résolu toutes les énigmes ? Serions-nous suffisamment curieux pour créer de nouveaux mystères, des énigmes sur mesure ?Si, forts de cette idée de progrès, nous considérons que les découvertes d'aujourd'hui dans le domaine médical ne constituent pas le «dernier cri», le «nec plus ultra», nous nous condamnons à nous contenter toujours d'une sorte «d'avant-dernier cri», prometteur lui aussi, mais fragilisé par la comparaison à ce demain qui, par principe, devrait être encore meilleur, encore plus éclairé.Si les maladies connues ne semblent pas tellement changer dans leur configuration structurale, nous assistons à l'apparition de nouvelles maladies et au retour de maladies que nous pensions avoir presque complètement éradiquées. Diverses et changeantes sont les considérations et les explications à propos de leur étiologie et de leur pathogenèse ; changeantes aussi, bien sûr, les thérapies.Certes, il est plus facile de guérir aujourd'hui qu'hier, bien que l'on ne soit pas si sûr que l'augmentation croissante de l'espérance de vie soit due surtout aux progrès de la médecine. La mortalité infantile a été maîtrisée mais le taux de naissance est en baisse dans le monde occidental.Quoi qu'il en soit, l'être humain que nous sommes tous, patients et médecins, malades et bien-portants, ne semble pas avoir tellement changé : toujours des guerres, de la violence, de l'intolérance, du mépris, de la haine. Autant de comportements qui peuvent blesser ou tuer au même titre que des maladies. Il vaudrait donc peut-être la peine que nous apprenions à ne pas nous occuper et préoccuper uniquement de la souffrance et du malheur, mais aussi du plaisir de vivre et du bonheur ; des ressources virtuelles de ceux qui s'adressent à nous. Non pas pour devenir des gourous, mais pour aider les gens à donner éventuellement un sens à leurs symptômes et, surtout, à mieux gérer leur santé retrouvée.Pour ce faire, il est probable que nous ne devrions pas nous focaliser trop sur les promesses du futur de la science, mais bien plus sur ces précieux instants dont sont faits nos jours et nos nuits.