Vingt-neuf praticiens genevois indépendants, généralistes avec ou sans titre de spécialiste ou internistes FMH ont accepté de relever au sein de leur pratique tous les patients référés à un spécialiste ou envoyés à l'hôpital. Plus de 13 000 consultations ont été analysées. Le taux de patients référés à un spécialiste, le type de spécialiste consulté et le motif de la délégation est analysé. Un patient sur quinze est adressé en consultation ou hospitalisé. Les consultants les plus sollicités sont les cardiologues, les gastro-entérologues, les orthopédistes, les otorhinolaryngologistes ou l'hôpital. Que le praticien soit interniste ou généraliste, quel que soit son âge, qu'il soit homme ou femme, qu'il possède ou non un équipement de radiologie ou qu'il pratique en ville ou en campagne, n'influence que peu les valeurs observées. Cependant de grandes disparités de pratiques sont observées entre confrères.
La pratique de la médecine de premier recours diffère en fonction de nombreux paramètres. On notera entre autres : la densité médicale, l'accès aux spécialistes, la formation du médecin, ses aptitudes personnelles, les conditions économiques et certainement aussi la politique de santé. Les choix et désirs du praticien, son engagement personnel, le type de population qu'il traite, la personnalité du patient, l'emplacement géographique du cabinet médical, le temps à disposition pour chaque patient, tout comme le matériel d'investigation disponible influencent également la pratique médicale.
Pour ces raisons, la pratique de la médecine de premier recours en Suisse est bien différente d'un canton à l'autre, comme elle diffère d'un praticien à l'autre.
Le praticien genevois est à ce titre dans une situation particulière étant donné que même lorsque son cabinet médical est situé en milieu rural, il ne sera jamais à plus de 14 minutes en ambulance de l'hôpital universitaire. De plus, la densité médicale du canton de Genève en l'an 2000, est l'une des plus élevées de Suisse soit d'un médecin en pratique privée pour 311 habitants, pour une moyenne nationale de 1 pour 517 habitants (extrêmes : 1 pour 280 à Bâle-Ville et 1 pour 1006 à Obwald).
Si l'on tient compte de tous les médecins en exercice (médecins en pratique privée et praticiens en milieu hospitalier), les chiffres sont pour Genève d'un médecin pour 167 habitants et en Europe d'un pour 212 habitants.
A Genève, la proportion de femmes médecins est de 29% ce qui correspond exactement à la moyenne suisse et proche de la moyenne européenne (26%).
A l'aube du XXIe siècle il paraît intéressant de connaître les habitudes des médecins de premier recours genevois en matière de déléguer un patient à un spécialiste ou de l'hospitaliser, ainsi que d'en connaître le motif.
Cette étude a aussi pour but de permettre de comparer sa propre pratique à celle de ses confrères et ouvre la porte à d'autres analyses ultérieures.
Le recrutement des praticiens bénévoles s'est fait par contact direct selon les recommandations de l'European Practice Research Workshop.
Vingt-neuf médecins hommes et femmes pratiquant de manière libérale la médecine de premier recours dans le canton de Genève ont accepté de participer à l'étude. Ils ont été contactés personnellement et ont donné par écrit leur accord de participation. Ils possèdent soit un titre de praticien en médecine interne FMH, soit celui de praticien en médecine générale FMH ou pratiquent la médecine générale sans titre FMH.
Leur cabinet médical se situe en milieu urbain, suburbain ou rural ; il est équipé d'une installation de radiologie ou non.
L'étude a débuté au milieu de l'automne 2000 ; elle durait jusqu'à ce que le médecin adresse trente fois un patient à un spécialiste ou à l'hôpital. Un patient donné pouvait également être référé à plusieurs reprises, le cas échéant.
Le médecin notait pour chaque patient référé le motif de la délégation, à savoir : geste technique, prise en charge ou avis (consilium).
En outre le médecin notait le nombre total de consultations effectuées pendant la durée de l'étude.
Une fiche individuelle contenant le nom du praticien, son titre, sa date de naissance, l'adresse de son cabinet, l'année d'obtention du diplôme de médecin, l'année de l'ouverture de son cabinet médical, et s'il possède une installation radiologique ou non était remplie.
Vingt-neuf médecins genevois, sept femmes (24%) et vingt-deux hommes, ont participé à l'étude. Parmi eux on compte seize généralistes (5 femmes et 11 hommes) et treize internistes (2 femmes et 11 hommes).
Vingt-quatre des vingt-neuf praticiens (83%) ont entre cinq et vingt ans d'installation. Quatre sont installés depuis moins de cinq ans et un depuis plus de vingt ans (tableau 1).
La moyenne d'âge des vingt-neuf médecins est de 51 ans, extrêmes : 37 ans et 65 ans. La moyenne d'âge des femmes médecins est de 50 ans.
La distribution géographique des cabinets médicaux est la suivante : dix en milieu urbain, onze en milieu suburbain et huit en milieu rural, sachant qu'à Genève milieu rural signifie un éloignement tout relatif de la ville (tableau 2).
Radiologie : Vingt médecins sur vingt-neuf (69%) ont leur propre installation de rayons X, soit neuf des treize internistes et onze des seize généralistes.
Pendant la durée de l'étude, les vingt-neuf médecins ont effectué 13 233 consultations. A 848 reprises les médecins ont adressé un patient à un spécialiste ou l'ont hospitalisé. Trente-huit différents spécialistes ont été consultés (tableau 3). Cela représente un taux de référence moyen de 6,4% ou un patient référé toutes les 15,6 consultations. Les extrêmes observés ici sont de 1 pour 6,8 consultations pour celui qui réfère le plus, et 1 pour 35,4 consultations pour celui qui réfère le moins.
Les femmes ont un taux de référence moyen de 6,9% et les hommes de 6,3%.
Parmi les trente-huit spécialistes consultés, les cinq «spécialistes» les plus sollicités sont par ordre décroissant :
I le cardiologue : 13% du total des patients référés, soit un patient adressé à un cardiologue toutes les 120 consultations ;
I le gastro-entérologue : 10,5%, soit un pour 148 consultations ;
I l'orthopédiste : 9,1%, soit un pour 171 ;
I l'ORL : 7,31%, soit un pour 213 ;
I l'hôpital : 6,8%, soit un pour 228.
Ont un taux de référence proche de 5% correspondant à un cas référé toutes les 300 consultations les spécialistes suivants : le dermatologue, le psychiatre, le rhumatologue et le chirurgien digestif.
Les autres spécialistes ont été plus rarement consultés.
Généralistes internistes même taux de patients référés ?
Les internistes et les généralistes recourent à la même fréquence au cardiologue respectivement 14% et 12% des cas référés ou au gastro-entérologue : 13% et 10%. Les internistes consultent un peu moins l'orthopédiste : 8% contre 11% mais plus l'ORL : 9% contre 7%. Ils recourent à l'hôpital dans 4,3% des cas alors que les généralistes le font dans 9,2% des cas !
Le dermatologue, le psychiatre, le rhumatologue, l'urologue et le neurologue sont sollicités de manière identique. Les généralistes recourent deux fois plus au chirurgien digestif que l'interniste (7,6% contre 3,3% des cas référés).
Les autres spécialistes consultés ne sont pas suffisamment fréquemment sollicités pour permettre une analyse.
Pour quels motifs les médecins genevois réfèrent-ils un patient ?
(Possibilité de cocher une ou plusieurs possibilités : prise en charge, et/ou consilium ou geste technique, d'où les totaux pouvant dépasser 100%).
Le cardiologue est essentiellement sollicité pour un examen technique (79% des cas) ou pour un consilium (27%) exceptionnellement pour une prise en charge (0,9%).
Le gastro-entérologue pour un geste technique (88%) pour un consilium (16%) et très peu pour une prise en charge (1%).
Par contre on recourt à l'orthopédiste surtout pour une prise en charge (53%), voire un consilium (35% des cas) mais pas souvent pour un geste technique (4%).
L'ORL est consulté dans 47% des cas pour un geste technique, 40% pour un avis et 16% pour une prise en charge.
Logiquement, 93% des cas envoyés à l'hôpital le sont pour une prise en charge, 5% pour un geste technique et 3% pour un avis.
On adresse son patient au dermatologue dans 56% des cas pour une prise en charge, 33% pour un avis et 10% pour un geste technique.
Le psychiatre est essentiellement sollicité pour une prise en charge (91%).
Le rhumatologue surtout pour un consilium (58%), mais aussi une prise en charge (36%).
Dans plus de 50% des cas on demande un avis au neurologue, à l'endocrinologue, au diabétologue, à l'allergologue, à un confrère interniste, au néphrologue ou à un spécialiste sida.
Une prise en charge est demandée dans plus de 50% des cas au chirurgien digestif, au gynécologue, au neurochirurgien, au chirurgien cardiovasculaire ou plasticien de même qu'au chiropracteur, à un généraliste ou à un pédiatre.
On demande un geste technique dans plus de 50% des cas à l'ophtalmologue, à l'angiologue, au gynécologue, au dentiste, au chirurgien maxillo-facial ou au spécialiste en polysomnographie.
Internistes-généralistes, hommes-femmes, ville-campagne, travaillons-nous différemment ?
Il n'y a pas de différence notable entre le mode de référer un patient entre médecins hommes ou femmes, entre médecins internistes ou généralistes ou entre praticiens installés en ville, en milieu suburbain ou en milieu rural.
Posséder une radiologie change-t-il les taux de référence ?
Les médecins installés sans appareil de radiologie réfèrent en moyenne un patient toutes les 14,4 consultations (taux de référence 6,9%) valeur proche de la moyenne (6,4%).
La Suisse avec un médecin installé pour 517 habitants se trouve curieusement située parmi les pays européens relativement peu médicalisés. La Belgique, la Hongrie et l'Espagne ont deux fois plus de médecins par habitant, seuls le Danemark, l'Irlande, le Royaume-Uni et l'ex-Yougoslavie en ont moins.
Les généralistes suisses paraissent bien peu nombreux : 54 pour 100 000 habitants contre 163 en Belgique, 147 en France ou 127 en Allemagne. La statistique helvétique est cependant un peu faussée par le fait que les spécialistes en médecine interne pratiquent la médecine de premier recours comme les généralistes mais ne sont pas comptabilisés.
Notre étude montre que la pratique du généraliste et celle de l'interniste sont globalement similaires.
Les médecins genevois sollicitent l'aide du spécialiste ou adressent leurs patients à l'hôpital en moyenne une fois toutes les seize consultations, mais cette valeur varie entre un pour sept et un pour trente-cinq consultations suivant le praticien ! Enfin le généraliste adresse plus fréquemment des patients à l'hôpital que son collègue interniste.
A quoi peut-on attribuer ces différences ? Est-ce la formation du médecin qui est en compte ou le type de médecine qu'il pratique ? Sélectionne-t-il involontairement ses patients ? Crée-t-il avec ses patients un mode de fonctionnement qui lui est propre et qui lui convient, et qui ne peut être comparé avec celui de ses confrères qui pourtant effectuent le même travail ?
Si l'on compare maintenant nos résultats avec les résultats suisses ou européens en notre possession, on observe qu'en Suisse le taux est de un cas référé pour vingt-six consultations, tout comme en Belgique, mais en France il est de un pour trente-huit consultations ; aux Pays Bas, au Royaume-Uni et en Allemagne il est respectivement de un pour vingt-trois, un pour vingt et un et un pour dix-huit consultations. Les médecins italiens et norvégiens délèguent le plus, respectivement une fois toutes les quatorze consultations et une fois toutes les douze consultations. Les médecins genevois réfèrent donc plus que leurs homologues helvétiques et sensiblement comme leurs confrères italiens. Faut-il voir ici un effet dû à la densité médicale locale, est-ce un indice de qualité ou le contraire ? Le patient genevois est-il plus exigeant qu'un autre, fait-il moins confiance à son médecin de premier recours ? Et qu'en est-il de celui qui consulte le spécialiste sans passer par un médecin de premier recours ? Ces questions restent ouvertes. Nous sommes à Genève probablement loin de devoir attendre plus de trente jours en moyenne pour obtenir un rendez-vous chez le spécialiste comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou en Norvège. Ce sont les Norvégiens qui curieusement réfèrent le plus aux spécialistes !
On apprend que toutes les 228 consultations, un patient est adressé à l'hôpital et que les spécialistes les plus demandés sont les cardiologues, les gastro-entérologues, les orthopédistes et les ORL. Hormis les chirurgiens, les spécialistes sont principalement consultés pour un geste technique ou un avis et plus rarement pour une prise en charge.
La délégation d'un patient au spécialiste est certainement un phénomène complexe où interagissent la formation du médecin, l'angoisse du patient mais aussi celle du médecin, le temps à disposition dans la consultation, les compétences du praticien dans un domaine particulier, la facilité ou la difficulté de l'accès au spécialiste, les contacts privilégiés entre praticien et spécialiste, les exigences du malade, ses connaissances en santé, l'influence des médias, les contraintes du système de santé, le niveau de vie, etc.
D'autres études pourront à Genève, tout comme ailleurs, permettrent de mieux cerner ces facteurs.
A noter enfin qu'elle ne tient compte que de la pratique de la médecine libérale.