Résumé
Papier original, publié par un récent New England Journal of Medicine, sur une nouvelle tendance : le marketing grand public de technologies de dépistage.1 Médecins et directeurs de centres de santé américains se montrent de plus en plus nombreux, expliquent les auteurs du papier, T. Lee et T. Brennan, à essayer de vendre à la population des technologies de dépistage. Leurs procédés publicitaires ressemblent à ceux utilisés dans d'autres domaines : s'adresser aux sentiments plus qu'à l'intelligence, prendre appui sur la pulsion ou la peur (ici la peur), concocter un petit message à caractère «pseudo-éducationnel» qui, sous des dehors bienveillants, déclenche le réflexe de l'achat. Pour le moment, le phénomène reste cantonné aux Etats-Unis. Mais le mouvement s'étend. Vous verrez qu'il va bientôt débarquer dans les pays en voie de développement marketing tel le nôtre. C'est comme la publicité grand public pour médicaments délivrés sur ordonnance. L'Europe n'est pas loin de craquer. Sans sa protection, la Suisse ne pourra tenir longtemps. Porté par la globalisation de l'information, le marketing grand public avance comme un mouvement de fond, inéluctable....Dans un éditorial d'accompagnement J. Drazen, le rédacteur en chef du New England, rappelle la rapidité de la progression de ce marketing dans le domaine médical.2 En cinq ans à peine, il s'est installé au cur du fonctionnement du système de santé. On s'inquiète à raison du colossal investissement de l'industrie pharmaceutique pour toucher directement les patients. Mais l'industrie n'est plus seule : les médecins essaient leurs premières armes. Certains d'entre eux estiment qu'il est temps d'entrer dans ce monde où l'on traite le patient autonome comme un consommateur libre, où toutes les offres sont permises au prétexte que n'importe qui a le droit de mettre son argent là où bon lui semble et que l'individu post-moderne est assez mûr pour faire la part des choses dans le jeu de l'argumentation publicitaire....Pour ses débuts américains, le marketing médical grand public fait avant tout l'article de deux tests : l'IRM de dépistage des coronaropathies et I'IRM spiralée à la recherche de cancers du poumon et d'autres organes. Ni l'un ni l'autre ne sont remboursés en tant que procédure de dépistage. Pourquoi ? Parce que rien ne prouve qu'ils apportent le moindre bénéfice aux patients. Prenez la détection d'un risque élevé de maladie coronarienne (par quantification des calcifications coronariennes). Dans cette indication, l'IRM montre, en gros, une sensibilité de 80% et une spécificité de 40%. Autrement dit, pas mieux que les autres tests non invasifs, en particulier les index qui se basent sur les données cliniques seules. Peut-être, avancent Lee et Brennan, ce piètre résultat est-il lié au fait que «beaucoup d'événements coronariens résultent de la rupture de plaques d'athéromatose molles et instables et qui ne présentent que de petites, voire même aucune, calcifications». Peut-être, oui. En tout cas, il montre que la prédiction résiste à la transparence, et surtout à cette espèce de voyance scientifique que prétend instaurer une technologie.En ce qui concerne le cancer du poumon, les données se présentent un peu différemment. Pas de doute que l'IRM offre une meilleure résolution que la radio classique. Mais la question se niche ailleurs. Elle se résume à ceci : la détection précoce améliore-t-elle les résultats du traitement ? T. Lee et T. Brennan citent une étude portant sur 510 patients présentant des cancers du poumons non à petites cellules : elle ne montre aucune corrélation entre la taille de la tumeur au moment du diagnostic et la survie. Que les masses détectées aient plus de 3 cm ou moins de 1 cm, cela n'avait pas d'influence détectable sur le pronostic. En fait, il est probable qu'au moment où une tumeur devient visible, elle a déjà dépassé le stade précoce de la maladie. Des recherches indiquent que la métastatisation peut débuter avec des tumeurs de 1 à 2 mm, donc à des stades où elles restent invisibles. Voilà pourquoi l'IRM de dépistage systématique n'est pas un bon plan....Résumons. En pratiquant des tests de dépistage non validés, on rassure sans justification des gens. On cautionne des comportements à risque. On engendre quantité de problèmes de faux positifs. On crée des situations de négociations inutiles entre patients qui veulent se faire rembourser malgré tout ce type de dépistage et médecins qui doivent refuser d'inventer des indications....Il y a, derrière ce rêve de screening par l'image, l'espoir d'une technologie qui pourrait, en observant l'intérieur du corps, détecter à l'avance toutes ses déviances. Comme si la maladie relevait d'un simple mécanisme. Or, et c'est toute la limite de la médecine préventive, il ne suffit pas de passer régulièrement une personne de la tête aux pieds dans un IRM pour détecter à temps tous les cancers. La plus humble des prédictions demande d'intégrer d'autres données, de cibler les recherches, d'écouter les signes, de tenir compte des histoires individuelles, des cas particuliers, bref, de réfléchir....Avec l'IRM, cette image computérisée d'une tranche de corps, apparaît comme une traduction, une vulgarisation du savoir médical, qui vient à la rencontre de l'autonomie lentement acquise du patient. Il voit ce qu'il a ou n'a pas. Ou du moins croit-il comprendre ce que la médecine a vu. Voici le problème de l'image IRM : elle ne se montre pas assez ambiguë. Elle cache son indécidable. Le patient ne comprend pas que la décrypter ne revient pas à décoder exhaustivement ce qu'elle représente. Il est rassuré par cet ensemble qui se laisse saisir d'un seul coup d'il. Alors que, par leurs hésitations et leurs obscurités, le discours et l'investigation cliniques rappellent que le corps humain se montre instable, périssable, sans cesse vulnérable, et la prédiction limitée. C'est pour cela que le discours se vend moins bien que l'image....L'époque est à la fascination par le visible. On veut observer le corps dans ses moindres détails. Plus il y aura de finesse dans cette observation, plus on s'approchera de la maladie naissante, du futur caché, pense-t-on. On évite de poser la question : de quoi l'image IRM est-elle le truchement, avec quoi nous met-elle en rapport, qu'elle est le lien entre ce qu'elle nous transmet et nos savoirs et théories sur la maladie ? Il ne suffit pas de voir pour comprendre, pas davantage qu'il ne suffit de détecter pour prévenir. Mais avec un peu de marketing, tout se vend.1 Lee TH, Brennan TA. Direct-to-consumer marketing of high-technology screening tests. N Engl J Med 2002 ; 346 : 529-31.2 Drazen JM. The consumer and the learned intermediary in health care. N Engl J Med 2002 ; 346 : 523-4.