Poursuivons un instant la lecture du document que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) vient d'adresser au gouvernement que dirige, pour quelques semaines encore, Lionel Jospin (Médecine et Hygiène du 20 mars 2002) et qui réclame une meilleure prise en compte de l'éventualité de la contamination des moutons et des chèvres par le prion pathologique de la vache folle. Présidé par le Pr Marc Eloit, le groupe des experts de l'Afssa estime que dans l'hypothèse où l'ESB ne serait actuellement pas présente chez les petits ruminants autochtones ou importés, le dispositif actuel, reposant sur le retrait des matériaux à risque spécifié et la mise en place de mesures spécifiques dans les élevages atteints d'ESST, s'avérerait sans impact pour la santé publique, du moins «au regard des connaissances actuelles sur la tremblante du mouton». A l'inverse, dans l'hypothèse où l'ESB serait présente chez les petits ruminants, le dispositif actuel, s'il était complété par la «non-mise à la consommation des intestins de mouton de tout âge», retirerait de la chaîne alimentaire la plupart des tissus les plus infectieux. En d'autres termes, il serait urgent de retirer ces intestins de la consommation, ce qui, l'angoisse collective s'épuisant, semble aujourd'hui un objectif impossible à atteindre.
Au terme de leur travail, les experts du groupe présidé par le Pr Eloit formulent de manière très concrète, trois stratégies d'action :
Ne pas modifier le dispositif actuellement en vigueur. Ce dernier consiste à exclure de la consommation humaine la plupart des tissus potentiellement infectés chez les petits ruminants, à l'exception notable des intestins de moutons et de chèvres. L'interdiction de l'incorporation de ces tissus dans l'alimentation humaine avait été vivement condamnée, il y a un an, par Jacques Chirac qui avait alors accusé l'Afssa d'être «irresponsable». Pour sa part, le gouvernement Jospin n'a jamais mis en uvre cette mesure préconisée par les experts au titre du principe de précaution. Le comité Eloit détaille les failles inhérentes à un tel scénario.
Diminuer progressivement l'exposition des consommateurs et anticiper un éventuel renforcement ultérieur des mesures de protection. Parmi les mesures recommandées au gouvernement figure ici la mise en place d'un dépistage systématique des maladies à prion chez les petits ruminants, bâti sur le modèle de ce qui existe depuis plus d'un an chez les bovins.
Amoindrir rapidement le niveau d'exposition au risque des consommateurs. Les experts de l'Afssa préconisent notamment une série de mesures sur l'organisation de la collecte de lait en différenciant les cheptels ovins et caprins pouvant être concernés par les maladies à prion. Ils recommandent aussi, dans cette hypothèse, d'adapter des mesures de précaution vis-à-vis du lait et des produits laitiers importés.
Quelques jours après la publication du rapport, le ministère français de l'Agriculture rendait publiques les grandes lignes d'un plan de lutte destiné autant à tenter d'éradiquer la tremblante qu'à se prémunir du risque de franchissement de la barrière d'espèce du prion pathologique de la vache folle aux petits ruminants. François Patriat, nouveau ministre de l'Agriculture (Jean Glavany est aux côtés de Lionel Jospin et dirige sa campagne électorale), vient ainsi d'évoquer devant la presse un plan «d'éradication de la tremblante du mouton». Ce plan prévoit notamment lorsque plusieurs animaux d'un même cheptel sont atteints, de tester la sensibilité génétique à la maladie de l'ensemble du troupeau pour abattre les bêtes tenues pour être les plus exposées. Jusqu'à présent, en France, lorsque des cas non isolés de tremblante étaient identifiés dans un cheptel, on n'écartait de la chaîne alimentaire que les matériaux à risque spécifié des autres bêtes du troupeau.
Le futur plan prévoit aussi un programme de dépistage aléatoire de 100 000 animaux, ces tests étant pratiqués à l'arrivée des bêtes à l'abattoir ou à l'équarrissage. Cette mesure a été imposée par la Commission européenne. Le plan d'éradication passe aussi par un programme, volontaire celui-ci, de sélection génétique visant à renforcer la résistance naturelle des bêtes à la maladie. Selon le ministère de l'Agriculture, la France a officiellement recensé 34 cas de tremblante du mouton en 2001. Ce chiffre devrait augmenter en 2002, en raison notamment de la règle, rarement prise en défaut, qui veut que quand on cherche, on trouve. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments estime quant à elle que la maladie pourrait concerner 2% du cheptel français en 2002.
Et en dépit de la possibilité d'un lien entre la maladie de la vache folle et la tremblante du mouton, le gouvernement refuse toujours de suivre les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui préconise depuis un an d'exclure de la consommation humaine les intestins de moutons et de chèvres, qui servent notamment à la confection des merguez et des chipolatas. Ce qui n'empêche pas nos responsables d'affirmer uvrer au nom du «principe de précaution».
Quant à M. Patriat, il a profité de cette rencontre avec la presse pour affirmer, en pleine campagne électorale présidentielle, que la France ne lèverait pas à court terme son embargo sur les viandes bovines britanniques.