Edito: Les leucémies : du diagnostic au traitement
Philippe Schneider et Urs Nydegger
Rev Med Suisse
2002; volume -2.
22182
Résumé
C'est au XVIIIe siècle que W. Henson a décrit les globules blancs ou leucocytes, en tant que cellules nucléées du sang. Au XIXe siècle, la leucémie a été définie comme la maladie du sang blanc, provoquée par l'augmentation des leucocytes. Au cours de ce siècle, les observations cliniques et anatomiques faites, en particulier, par Donné, Bennett et Virchow ont révélé que certains organes, comme les ganglions et la rate, pouvaient également être touchés par cette maladie. Elles ont conduit à la première classification de Virchow, qui distinguait les leucémies à grosse rate des leucémies à gros ganglions. Puis, Ebstein a séparé les leucémies chroniques des leucémies aiguës, en fonction de leur évolution clinique. Les dernières étaient constamment mortelles en l'espace de quelques semaines.1A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les progrès de la microscopie et des colorations des cellules du sang ont permis de reconnaître différentes formes de leucocytes et de les classer en cellules polynucléaires et mononucléaires. De ces dernières, les lymphocytes constituent le plus grand nombre. Plus tard, les leucémies ont été expliquées par une prolifération anormale et une accumulation de leucocytes plus ou moins matures. Ces phénomènes ont été attribués à une anarchie cellulaire. La cause de cette anarchie n'étant pas élucidée, un traitement des leucémies faisait encore défaut.Ce n'est qu'au milieu du XXe siècle que la gravité de l'évolution des leucémies aiguës a incité les médecins à entreprendre les premiers essais thérapeutiques. Certains malades, présentant une anémie sévère, ont reçu des transfusions. Des rémissions, très partielles et temporaires, furent observées après celles-ci. La relation possible entre les transfusions et ces rémissions a conduit à proposer d'utiliser l'exsanguino-transfusion. La première rémission d'une leucémie aiguë, avec disparition complète des signes de leucémie, a été obtenue par cette technique en 1947 à Paris. Elle préfigurait le rôle de la réaction «greffe contre leucémie», observée ultérieurement lors des greffes de moelle. Cette réaction constitue la base de l'immunothérapie des leucémies, pratiquée depuis une dizaine d'années par infusion de lymphocytes du donneur après transplantation de cellules souches hématopoïétiques.La deuxième rémission complète d'une leucémie aiguë a été obtenue en 1948 à Boston en administrant au malade un antagoniste de l'acide folique. Ce résultat a ouvert la voie à la découverte successive de médicaments, visant à détruire les cellules leucémiques. Ceux-ci ont permis d'obtenir les premières guérisons de leucémies aiguës, celles dont le pronostic était le plus favorable. Pour progresser encore, il a fallu apprendre à mieux utiliser les médicaments existants, en fonction de la nature de chacune des différentes leucémies.Le «chromosome de Philadelphie», l'anomalie chromosomique spécifique de la leucémie myéloïde chronique, a été décrit en 1960. Depuis lors, les progrès de la cytogénétique et de la biologie moléculaire ont permis d'améliorer constamment le diagnostic et la classification des leucémies, ainsi que d'établir des facteurs pronostiques. Ceux-ci ont conduit à traiter les malades selon des schémas adaptés aux risques des différentes leucémies.Les progrès les plus récents de la recherche de base ont permis d'élucider les voies de transduction des signaux au niveau moléculaire. Cette connaissance ouvre la perspective de développer des molécules agissant sur les mécanismes de la prolifération des cellules leucémiques, en particulier sur ceux de l'apoptose.2 La première molécule de ce type, l'imatinib mesylate (Glivec®), a été récemment développée pour bloquer l'activité tyrosine-kinase de la protéine de fusion BCR-ABL, produit de la translocation chromosomique présente dans la leucémie myéloïde chronique. Les essais cliniques réalisés jusqu'à maintenant avec cette molécule sont très prometteurs, les taux de réponses cytogénétiques et hématologiques étant particulièrement élevés. Mais des rechutes ont également été observées. Elles indiquent malheureusement qu'une résistance à l'imatinib mesylate peut également se développer.Le phénomène de résistance aux médicaments est l'un des obstacles majeurs au traitement des leucémies. Il impose de trouver de nouvelles stratégies thérapeutiques, qui devraient associer différents moyens : médicaments cytoréducteurs, molécules agissant au niveau du signal, greffe de cellules souches hématopoïétiques et immunothérapie.Ce numéro de Médecine et Hygiène permet de faire le point sur le diagnostic et la classification des leucémies, l'apport de la cytogénétique, les approches thérapeutiques des différentes leucémies et sur le Registre suisse de donneurs de moelle. Nous remercions chaleureusement les auteurs des articles d'avoir permis de le réaliser.
Contact auteur(s)
Philippe Schneider
Médecin chef du Service régional vaudois de transfusion sanguine de la Croix-Rouge suisse
Lausanne
et
Urs Nydegger
Médecin responsable de la recherche et du développement
Chirurgie
cardio-vasculaire
Université de Berne