Les adolescents qui passent beaucoup de temps à regarder des images violentes à la télévision risquent-ils de devenir eux-mêmes violents ? La représentation de la violence peut-elle induire la violence ? A cette question qui semble presque usée à force d'être posée, une équipe de chercheurs de l'Université de Columbia apporte une réponse chiffrée, grâce à une étude épidémiologique menée auprès d'un échantillon de 707 jeunes de l'état de New York, âgés de 1 à 10 ans en 1975 (Science 2002 ; 29 : 2468-71).Ces travaux se distinguent d'abord par un suivi particulièrement long. Les chercheurs ont rencontré les familles des participants à quatre reprises entre 1975 et 1993, alors que la plupart des études antérieures ne portaient que sur les comportements induits après quelques mois, ou tout au plus quelques années. De plus, ils ont recueilli des informations sur de nombreux facteurs susceptibles d'influencer l'apparition de comportements violents, comme les lacunes de l'éducation parentale, un revenu familial faible, les troubles psychiatriques, un voisinage peu sûr ou la violence à l'école.Ces informations ont permis aux auteurs d'isoler statistiquement l'influence de la seule TV, à l'exclusion des autres facteurs considérés. Ce traitement des données, typique de l'épidémiologie, leur a également permis d'évaluer l'effet de la consommation télévisuelle à différents âges.La conclusion est sans appel : les comportements violents à l'âge adulte augmentent bel et bien avec la dose de TV absorbée durant l'adolescence, surtout à partir d'une heure passée chaque jour devant l'écran. A l'âge de 22 ans, 8,9% des hommes et 2,3% des femmes qui regardaient la TV moins d'une heure par jour à l'âge de 14 ans ont commis un «acte agressif» contre une tierce personne. Ces chiffres grimpent à 45,2% des hommes et 12,7% des femmes parmi ceux qui passaient trois heures ou plus devant le petit écran. Chez les jeunes femmes, le temps passé devant la TV aux alentours de 22 ans semble jouer un rôle plus grand encore qu'à 14 ans, infirmant l'idée selon laquelle les images violentes n'auraient pas d'effet sur les adultes.Les auteurs admettent qu'un strict lien de causalité ne peut pas être établi par l'épidémiologie. Il leur est impossible d'exclure que des facteurs qui n'ont pas été évalués dans l'étude puissent jouer un rôle caché dans le lien statistique observé. Enfin des aspects mériteraient d'être précisés. Le contenu des programmes TV consommés a notamment été considéré comme homogène, alors qu'il pourrait expliquer certaines différences constatées entre les sexes.«Sous réserve des objections que pourront faire les méthodologistes, cette étude donne des arguments relativement solides pour confirmer l'influence de la TV, estime Claude Aubert, pédopsychiatre à Genève. Les enfants de 1 à 3 ans peuvent être littéralement habités par les personnages qu'ils voient à la TV. On peut difficilement penser que ces images n'ont pas d'impact, surtout lorsque aucun adulte n'est présent pour permettre aux enfants de mettre des mots sur les émotions, bref de faire passer les expériences dans l'imaginaire».Que faire de ces résultats ? «Si certains enfants peuvent passer autant de temps devant la télévision, c'est que l'organisation familiale le permet, observe Claude Aubert. Je reçois beaucoup de familles stressées, pour qui TV ou jeux vidéo sont devenus indispensables pour occuper les enfants à certains moments de la journée. Une prévention possible consiste à aider les familles à trouver d'autres façons de faire. Mais il faut reconnaître que ce n'est pas toujours facile. Certains parents sont réellement épuisés».