Souvenons-nous.
Août 2001 : l'Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est chargé d'«étudier la mise en place, dans les meilleurs délais», d'un essai thérapeutique en France de deux molécules susceptibles d'avoir un effet thérapeutique dans le traitement de la forme humaine de la maladie de la vache folle, ont annoncé Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, et Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, dans un communiqué commun. Cet essai sera conduit par le Dr Annick Alperovitch, en concertation avec des équipes européennes.
L'équipe du professeur américain Stanley Prusiner, Prix Nobel de médecine en 1997, avait publié peu auparavant les résultats d'une recherche conduite in vitro sur des molécules, la quinacrine (utilisée contre le paludisme) et un neuroleptique, qui «seraient capables d'éliminer la protéine prion pathologique dans des cultures cellulaires de souris expérimentalement infectées». Dans l'immédiat, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé «prendra les dispositions nécessaires pour que les médecins puissent proposer ce produit aux malades à titre compassionnel».
C'était dans l'édition datée du 14 août 2001 des comptes rendus de l'Académie américaine des sciences, que le Pr Prusiner avait annoncé avoir découvert que deux molécules, depuis longtemps présentes dans la pharmacopée (l'antipaludéen et le neuroleptique), pourraient être efficaces dans le traitement de la forme humaine de la maladie de la vache folle. La publication coïncidait alors avec l'annonce que cette même équipe de chercheurs aurait, en Grande-Bretagne, obtenu un premier résultat thérapeutique spectaculaire chez une jeune femme âgée de vingt ans, souffrant de cette affection neurodégénérative, jusqu'à présent toujours incurable. Usant d'une forme de droit d'ingérence thérapeutique, le Pr Prusiner faisait alors savoir que ces résultats expérimentaux devaient conduire à la mise en uvre, au plus vite, d'essais cliniques chez les personnes souffrant de vMCJ, une maladie qui avait alors fait cent six victimes en Grande-Bretagne et trois en France. Les chercheurs californiens avaient eu recours, dans leur expérimentation, à deux molécules bien connues et depuis longtemps largement utilisées à travers le monde. La première est un antipaludéen et antiparasitaire de large spectre. La seconde est la phénothiazine (ou Largactil®), le premier médicament neuroleptique mis au point en 1952 par deux chercheurs français : Henri Laborit et Pierre Huguenard.
Décembre 2001. Décès de la jeune femme britannique.
Avril 2002. Selon Philippe Duneton, directeur général de l'Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), il n'existe pas actuellement d'indication à utiliser la quinacrine dans le traitement de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cette conclusion résulte de l'analyse des vingt premiers patients traités en France à un stade avancé de la maladie. Au vu de ce travail, la tolérance du produit semble problématique : des effets secondaires hépatiques ont été observés chez cinq patients et ont conduit dans deux cas à l'arrêt du traitement. «Les patients n'ont pas bénéficié d'une amélioration de leur état de santé, même transitoire, a souligné le directeur de l'Afssaps. Compte tenu des effets secondaires possibles du traitement et des résultats non définitifs sur son efficacité, rien ne justifie non plus aujourd'hui son utilisation à titre préventif chez des personnes sans signe clinique de la maladie».
«Cette analyse préliminaire constitue une première source d'information qui ne saurait se substituer à la mise en place d'un essai clinique, seul outil capable d'apporter une réponse plus probante sur l'efficacité et la tolérance de la quinacrine» a toutefois déclaré Bernard Kouchner. Depuis fin août 2001, une cinquantaine d'autorisations temporaires d'utilisation ont été accordées par l'Afssaps pour des formes probables de MCJ, à un stade avancé, voire terminal de la maladie. La plupart des cas de cette étude sont des formes sporadiques. Sept concernaient des MCJ d'origine iatrogène, due à l'administration d'une hormone de croissance contaminée. Un seul cas était d'origine génétique et trois autres étaient des formes humaines de la maladie de la vache folle. Quatorze des patients traités sont aujourd'hui décédés et les six autres sont dans des états très graves.
S'il acceptait de répondre à la presse, nous demanderions volontiers au Pr Prusiner de commenter ces résultats et de nous faire part des siens ; s'il en a.