La télémédecine, ou plus politiquement correct la santé on-line, a pris un essor considérable grâce aux avancées technologiques, notamment au niveau de la téléphonie mobile, des ordinateurs de poche, des caméras digitales et des possibilités de connexion internet presque ubiquitaires. Des recommandations détaillées pour l'utilisation du courrier électronique dans une relation médecin-patient ont été récemment proposées et sont résumées dans le présent article. Par définition les voyages impliquent la distance ; la télémédecine représente ainsi un outil de choix dans ce domaine, même s'il n'y pas encore d'évidence que la procédure soit sûre et rentable. La télémédecine peut être utilisée dans trois types d'activité, à savoir : 1) les conseils aux voyageurs avant le départ ; 2) leur prise en charge lors de séjour à l'étranger et 3) le suivi médical des expéditions. Plus globalement, la télémédecine commence à ouvrir des perspectives intéressantes pour des échanges entre spécialistes dans les pays développés et médecins ou chercheurs pratiquant dans les pays en développement.
Le sacro-saint concept de la relation médecin-malade en a pris un coup à l'annonce de la dernière «avancée» technologique, à savoir l'opération d'un patient à distance (le chirurgien étant stationné à New York et le patient à Londres). La téléchirurgie se développe progressivement après la télémédecine et auparavant la téléradiologie. Au sens large, la télémédecine est définie comme une activité médicale qui englobe un élément de distance. Le terme est généralement compris comme une interaction médecin patient ou encore médecin de premier recours médecin spécialiste, infirmier (ère) médecin réalisée à l'aide d'un moyen de communication. Autant dire que tout médecin en formation a fait de la télémédecine lorsqu'il a utilisé le téléphone pour demander des conseils à son supérieur. Les nombreuses communications par radio entre un médecin et un capitaine de navire à propos d'un patient blessé ou malade représentaient les balbutiements d'un domaine qui a pris un essor très important durant la dernière décennie grâce à des développements technologiques ultra-rapides. Récemment, le terme de télémédecine a été supplanté progressivement par le terme de e-santé ou santé on-line, plus politiquement correct.
Les radiologues ont été les précurseurs dans le domaine avec l'utilisation d'images digitales lues et commentées à distance. Cette utilisation a permis d'économiser le transport de malades en permettant l'appréciation, voire la consultation d'un spécialiste à distance et le choix d'une attitude appropriée, notamment dans le domaine de la traumatologie.
Surveillance de patients chroniques à domicile
Un intérêt considérable, notamment dans les pays anglo-saxons s'est porté sur la télémédecine comme aide dans la surveillance à domicile des malades âgés, notamment ceux porteurs de maladies chroniques. La Kaiser Permanente Organization a rapporté récemment les résultats d'une étude randomisée contrôlée de vidéo-téléphone à domicile. Les patients dans le groupe d'intervention étaient équipés avec des vidéo-téléphones, un stéthoscope électronique et un moniteur digital de la pression artérielle. Les patients qui appartenaient au groupe télémédecine ont reçu moins de visites à domicile par des infirmières que les patients dans le groupe contrôle (17% de réduction). Par contre, ils ont eu davantage de contacts téléphoniques avec le personnel infirmier (en plus des «visites» par vidéo). Tant les patients du groupe intervention que ceux du groupe contrôle ont été satisfaits de leur prise en charge. Le coût moyen des soins par patient dans le groupe télémédecine a été réduit de 27% par rapport au groupe contrôle.1
Une application évidente est la possibilité de «référer» électroniquement un patient à un spécialiste ou un hôpital qui se trouve à distance. Le médecin en charge du patient peut envoyer des messages électroniques au spécialiste, lui exposer la situation et recevoir un conseil en retour. Une télécommunication peut même être arrangée grâce à un lien par vidéo. Cette possibilité est particulièrement intéressante pour les régions rurales ou éloignées des centres spécialisés. Elle s'applique particulièrement bien aux domaines de la radiologie, de la dermatologie et de la traumatologie mineure.2
L'application de la télémédecine la plus récente, et peut-être la plus discutable, est la consultation virtuelle d'un médecin par téléphone ou par l'internet. Le développement de centres médicaux pour une «santé on-line» s'est accéléré ces dernières années. Une distinction importante est à faire entre les centres qui fournissent des informations de prévention et ceux qui dispensent des soins. Dans ces derniers, des «cyperdoc» évaluent une situation clinique et proposent une attitude, que ce soit la prise d'un médicament ou une «vraie» consultation auprès d'un médecin de premier recours ou d'un spécialiste. Ces applications sont certainement utiles pour des patients responsables dont le temps est compté ; elles n'offrent évidemment pas la qualité d'une consultation traditionnelle. Même si ces centres ont proliféré, il n'y a pas encore d'évidence que le procédé est sûr sur le plan clinique et rentable sur le plan des coûts.
Par définition les voyages impliquent la distance ; la télémédecine représente ainsi un outil de choix. Elle peut être utilisée dans trois types d'activité, à savoir : 1) les conseils aux voyageurs avant le départ ; 2) leur prise en charge lors de séjour à l'étranger et 3) le suivi médical des expéditions. Plus globalement, la télémédecine commence à ouvrir des perspectives intéressantes pour des échanges entre spécialistes dans les pays développés et médecins pratiquant dans les pays en développement.
Un exemple de l'équipement nécessaire pour réaliser ces activités est décrit dans le tableau 1.
De plus en plus de voyageurs utilisent l'internet, tant pour se renseigner sur les destinations intéressantes et avantageuses que pour la commande des billets d'avion et la réservation d'un hôtel sur place. La possibilité de sensibiliser les voyageurs aux problèmes de santé à l'étranger lors de leur passage dans les agences de voyage se raréfie. Le développement de liens sur des sites de prévention concernant les voyages (par exemple www.safetravel.ch) à partir des sites utilisés pour la vente des billets devrait être facilité. Le recours aux services de prévention on-line augmente de jour en jour comme le montrent les chiffres de www.safetravel.ch (Bovier et Loutan, communication personnelle). La généralisation de la téléprévention est à souhaiter si l'on sait que moins de la moitié des voyageurs qui se rendent dans les pays tropicaux consultent leur médecin de famille ou des centres spécialisés.
Lorsqu'un voyageur se rend dans un pays inconnu, il est passablement sécurisé par l'idée de pouvoir contacter en tout temps un médecin qu'il connaît et qui le connaît. Il est clair que, suivant les comorbidités du voyageur ou le type de voyage, il sera plus approprié soit de contacter son médecin traitant, soit un médecin spécialiste. Celui-ci connaîtra en effet en détail l'épidémiologie locale des différentes maladies et pourra prendre les dispositions appropriées. Il est intéressant de noter qu'à l'heure actuelle il est nettement plus facile d'établir une connexion internet et d'envoyer un message électronique que d'établir une communication téléphonique. Dans de nombreux coins reculés du monde, et surtout dans les destinations favorites des «backpackers», l'internet est de mise. De nombreux jeunes communiquent quotidiennement avec leur famille dans leur pays d'origine ou avec leurs amis en voyage. Il leur est donc aisé d'envoyer un message à leur médecin. Avec l'avènement des appareils photographiques digitaux, dont certains coûtent moins de CHF 300., la possibilité d'envoyer l'image d'une lésion améliore sensiblement les possibilités diagnostiques et donc thérapeutiques. Ces avancées technologiques permettent certainement de rassurer le voyageur, mais n'ont pas encore fait la preuve de leur efficacité sur le plan clinique. La tendance à penser que les services de santé locaux sont insuffisants doit également être combattue, surtout parmi les voyageurs qui peuvent toujours se rendre dans des cliniques privées où les possibilités diagnostiques et thérapeutiques sont nettement meilleures que dans les hôpitaux gouvernementaux.
Le téléphone
Le téléphone a été pendant longtemps le moyen usuel de communiquer pour l'assistance des voyageurs lors de maladie ou d'accident à l'étranger. S'il peut presque toujours être utilisé, il présente l'inconvénient de reposer sur une cascade réceptionniste infirmier(ère) médecin-assistant médecin spécialiste souvent vouée à l'échec en raison de l'absence de l'interlocuteur désiré.
Le courrier électronique : principes et recommandations
Définitivement, le courrier électronique (e-mail) comporte de nombreux avantages, pour autant que les conditions de son utilisation aient été clairement discutées entre le pourvoyeur de soins et le client. Ceci est une condition nécessaire pour assurer la sécurité du voyageur, la protection du médecin et la confidentialité. Des recommandations pour l'utilisation clinique de la messagerie électronique avec des patients ont été publiées récemment.3 Celles-ci définissent le courrier électronique comme une communication réalisée par ordinateur entre les cliniciens et les patients avec une relation contractuelle dans laquelle le pourvoyeur de soins prend une responsabilité explicite pour la santé de son client. Ces recommandations ne s'adressent pas aux messages reçus sans phase contractuelle préalable. Il est communément admis que ces derniers messages ne devraient pas être ignorés, en tout cas par les centres spécialisés selon la loi du «Bon samaritain». Il est recommandé dans ces cas-là de se borner à donner des conseils de prévention et à proposer une visite à un médecin pour les prescriptions particulières, ou certainement pour la prise en charge d'une maladie durant le voyage ou après le retour.4
La nature du message électronique est un hybride entre une lettre manuscrite et une conversation. Le message électronique est plus spontané qu'une lettre et offre plus de permanence qu'une conversation orale. En théorie, des messages électroniques non cryptés procurent moins de confidentialité que des appels téléphoniques ou des lettres postées. En pratique, le message électronique remplace et est utilisé plutôt comme un téléphone, mais sans le caractère d'urgence. L'avantage du message électronique et qu'il laisse une trace écrite qui empêche le doute. Le courrier électronique est spécialement utile pour donner des adresses ou des numéros de téléphone où le patient peut être référé ; il permet également de donner des résultats de laboratoire avec une interprétation et un conseil ainsi que des instructions sur la manière de prendre des médicaments ou d'appliquer des pansements. Les messages électroniques peuvent être également imprimés et attachés ainsi à un dossier médical.
Les recommandations proposées pour l'utilisation du courrier électronique sont résumées dans le tableau 2 et comprennent des aspects de communication ainsi que des aspects médico-légaux et administratifs. Les recommandations pour l'usage du courrier électronique dans un setting clinique concernent deux aspects, à savoir une interaction efficace entre le clinicien et son patient et l'observance de règles de prudence sur le plan médico-légal.
D'une manière générale, le courrier électronique ne devrait pas être utilisé pour des matières urgentes, car le temps entre la lecture du message et l'action à son sujet ne peut être déterminé avec précision. Les questions sensibles et hautement confidentielles ne devraient pas non plus être discutées par courrier électronique en raison de la possible interception des messages, notamment dans les institutions, et en raison de la possible transmission non intentionnelle à d'autres récipiendaires.
Sur le plan médico-légal, l'usage du courrier électronique devrait être si possible le résultat d'une négociation entre le patient et le pourvoyeur de soins. Le temps maximal imparti pour la lecture réponse et action potentielle devrait être déterminé entre les deux parties. Les personnes autorisées à lire les messages devraient être explicitement mentionnées de même que les sujets à aborder dans les messages. Les données potentiellement confidentielles ne devraient jamais figurer dans la ligne «Subject». Idéalement, le patient devrait signer un consentement éclairé lorsque la «relation électronique» est établie. Ces consentements devraient inclure, en langage non technique, la description des mécanismes de sécurité en place et une clause pour se décharger de potentielles infractions au niveau du réseau en dehors du contrôle des pourvoyeurs de soins.
Sur le plan pratique, il est indiqué de configurer des réponses automatiques à tous les messages entrants des patients. Il est aussi essentiel d'activer les réponses «Out of the office» durant les absences du personnel ou des médecins qui excéderaient le temps maximal prévu pour les réponses. Pour les messages qui contiennent des informations médicales importantes, les patients devraient envoyer un accusé de réception des messages sous la forme d'une brève réponse. Une hiérarchie de communication devrait aussi être mise en place, le patient étant invité à utiliser le téléphone ou à recourir à une visite médicale s'il estime que le courrier électronique est insuffisant.
Qu'en est-il de la rétribution financière pour ces consultations virtuelles ? Dans un centre spécialisé de médecine des voyages, il n'est pas rare de recevoir des messages électroniques contenant des demandes de conseils de prévention voire éventuellement d'assistance médicale lors de situations cliniques vécues à l'étranger. Si aucun «contrat électronique» n'a été souscrit, il est relativement aisé de répondre avec un message standard adapté dont le contenu principal est la proposition de contacter un médecin de premier recours ou spécialiste, voire même un centre spécialisé, sans donner plus de détails. De tels messages n'engagent pas la responsabilité de la personne qui l'envoie et l'on voit mal comment des honoraires peuvent être demandés pour de tels services. Il en va différemment lorsque les patients décident d'établir une relation de «prise en charge électronique» durant leur voyage. Il n'existe évidemment pas de position TarMed (!), mais l'on peut estimer que de tels conseils équivalent à une consultation téléphonique. Si de telles prises en charge se généralisent, il y aura probablement lieu d'établir des barèmes spécifiques.
Auparavant, il était habituel de s'adjuger la compagnie d'un médecin pour le suivi médical des membres d'expéditions, notamment dans les régions reculées, que ce soit en montagne ou en mer. De nos jours, l'avènement de la télémédecine permet de se dispenser de la présence d'une personne médicalement qualifiée dans l'équipe. L'usage d'un terminal téléphonique relié par satellite et d'un ordinateur de poche permettent d'envoyer des messages à partir de n'importe quelle région du monde. De courts segments de vidéo peuvent également être transmis et, suivant les cas, des tracés ECG ou des mesures de pression artérielle si des instruments électroniques ont été embarqués. L'équipement est en général alimenté par un panneau solaire photo-voltaïque. Un tel équipement a été utilisé lors de certaines expéditions en montagne5 et lors de la récente expédition de Mike Horn à pied autour de l'Equateur.
La procédure utilisée lors de l'expédition de Mike Horn autour de l'équateur a été la suivante : après une consultation et des rappels vaccinaux bien réels, un contrat a été signé avec décharge du médecin (BG) pour tout événement majeur expérimenté par l'explorateur. Une liste de symptômes et de signes a été établie et une attitude appropriée déterminée pour chaque situation, notamment la médication indiquée et disponible dans la pharmacie de voyage. Le programme et horaire des communications ainsi que la procédure en cas de non-réponse ont été établis. Mike Horn s'est équipé d'un téléphone satellite, d'un ordinateur de poche avec messagerie électronique, d'accumulateurs solaires ainsi que d'une caméra vidéo digitale (fig. 2). Des communications régulières par messagerie électronique ont permis de se rendre compte de la progression du périple et de répondre à des questions de santé particulières (troubles visuels en rapport avec une déshydratation, morsure de l'annulaire par une araignée avec surinfection, fièvres persistantes malgré la prophylaxie et le traitement antimalarique, etc). Lors de problèmes de santé plus importants, les messages électroniques ont permis de décider d'une heure précise pour un contact téléphonique entre les parties. Ces consultations virtuelles ont permis à Mike Horn de résoudre tous ses problèmes de santé intercurrents. Il est à noter que l'efficience clinique du contact avec le spécialiste n'a pu être formellement prouvée, vu la robustesse de l'explorateur...
Le tableau 3 résume les avantages et difficultés de la télémédecine lors des expéditions.
La possibilité d'un contact régulier entre l'équipe de soutien et l'explorateur est à double tranchant. En effet, lors d'une panne, d'un vol ou possiblement de la séquestration de l'équipement, l'absence totale de contact peut conduire à des inquiétudes importantes, voire à des décisions inopportunes (déclenchement de secours).
Le même type de suivi et d'équipement peut être engagé sur un bateau de course ou de croisière autour du monde. Les désavantages du poids et de la sophistication sont moins importants dans un tel cas et rendent la télémédecine plus avantageuse. Une expérience de consultation virtuelle a été conduite sur plus de trois cents bateaux de la marine américaine. Le principal avantage de la télémédecine a été d'améliorer la qualité dans les deux-tiers des consultations et prévenir 17% des évacuations médicales avec une économie de US$ 4400. par évacuation.6
Paradoxalement, la télémédecine pourrait trouver son champs d'application le plus approprié dans les deux extrêmes du développement, d'un côté lors des expéditions dans l'espace et de l'autre lors de la pratique de la médecine ou de la recherche dans les pays en voie de développement. L'installation de stations satellites en Ouzbékistan, de connexions sans fil au Cambodge et de transmissions par ultrasons au Kosovo ont montré que l'internet peut être accessible dans les régions les plus reculées, et dans des conditions économiques ou politiques instables. Les nouvelles ressources de communication permettent à des médecins exerçant dans des pays défavorisés de profiter de l'expérience de certains spécialistes dans les pays développés. La nécessité de référer des patients dans des hôpitaux de la capitale vont diminuer. De nombreux centres de santé, par exemple dans les montagnes de Papouasie Nouvelle-Guinée, pourraient remplacer leur communication radio établies dans les années 70 par une communication par internet pour un coût relativement modeste. Le recrutement de médecins qui doivent exercer dans des contrées reculées pourrait être facilité si des communications décentes sont établies pour maintenir une formation post-graduée adéquate et un contact soutenu avec d'autres professionnels de la santé.
L'établissement de stations satellites dans des instituts de recherche en Gambie, au Ghana et en Tanzanie notamment, ont permis aux scientifiques travaillant sur le terrain d'accéder aux données de la littérature la plus récente. L'échange avec des chercheurs dans les pays développés, que ce soit au niveau de l'établissement de protocoles de recherche, de la supervision, de l'écriture des rapports et des corrections d'épreuve, se fait à la même vitesse que lorsque les protagonistes se trouvaient dans la même ville.
La télémédecine a peut-être là son champ d'application le plus prometteur, c'est-à-dire dans l'amélioration de l'accès aux soins, spécialement dans les régions reculées où les barrières géographiques ou financières empêchent les patients d'être traités de façon optimale. Ces nouvelles technologies ne sont donc pas forcément des «toys for boys», mais peut-être un instrument qui pourrait rétablir une certaine équité au niveau de la dispensation des soins, de l'acquisition des connaissances et des possibilités de recherche.7