Résumé
La caisse-maladie Supra sombre, ces jours, sous l'il inquiet de la population. Est-ce un coup du sort ? Non. De l'avis autorisé de l'organe faîtier des assureurs maladie, maladiesuisse pardon : santésuisse la direction de Supra n'est pas ce qu'il y a de plus pointu en matière de gestion. Sa façon de travailler relève plutôt du genre «marasme administratif». Qu'importe, selon santésuisse : l'OFAS aurait dû permettre à la Supra et à tous les autres assureurs maladie d'augmenter davantage les primes de cette année.Voilà bien les caisses. On aurait pensé que l'ensemble de la profession ferait profil bas. D'autant que le flou gestionnaire ne concerne pas que la Supra. Or, c'est le contraire qui survient : elles se plaignent que les primes accordées par l'OFAS ne leur permettent pas de compenser les pathologies de leurs administrations. Il leur faudrait davantage d'argent, de compréhension, de pouvoir. Qui osera, avant de céder, exiger un diagnostic des pathologies ?...Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que jamais les caisses n'entrent vraiment en débat avec les gouvernements. Elles masquent leurs chiffres. Aux questions dérangeantes, elles répondent de haut, via des conférences de presse ou des articles moqueurs dans la revue de santésuisse. Le politique n'a pas d'entrée chez elles (sauf à leur service, comme consultant). Il ne dispose que des ridicules statistiques de l'OFAS. De tout cela se dégage la drôle d'impression que les caisses font ce qu'elles veulent, s'occupant comme elles l'entendent de l'argent des assurés de base, brassant leurs milliards à l'abri des regards. Pourquoi se gêner ? Quelle sanction redouter ?...Elle est marrante, Christiane Langenberger, Conseillère aux Etats. Les événements qui touchent la Supra la «soulagent», avoue-t-elle. Elle était, jusqu'à la semaine dernière, vice-présidente de la Supra, donc vice-responsable des errements et cafouillages de la caisse. «Ce n'était pas évident d'être à la fois vice-présidente de la Supra et membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats, déclare-t-elle à Christiane Imsand, de 24 Heures. Je me sens plus soulagée que déçue de n'avoir plus à porter cette double casquette.» Pas «évident» ? Allons : essayons d'autres mots. Intenable. Contre nature. Bon exemple du mélange des genres pratiqués dans la gestion politique du dossier de l'assurance maladie. L'affaire Langenberger marque-t-elle la fin de ce genre de relation politique-privé qui ne relève pas de compétences, mais d'une rencontre d'intérêts que partout ailleurs on appelle conflit ? Mais non. Aucune pression médiatique, encore moins de gestes politiques. On continue. Tout va très bien....Echec, au Grand Conseil genevois, du projet de loi demandant la création d'une caisse-maladie cantonale. Etait-il question, avec ce projet, de diminuer les coûts ? Absolument pas. Tout le monde le reconnaissait : rien de sérieux n'était à espérer de ce côté (de toutes façons, la population vieillit et la médecine progresse
). Il s'agissait uniquement de disposer d'une caisse dont l'observation aurait permis de comprendre ce qui se passe dans les autres.Voilà où l'Etat se trouve, dans le système actuel : il lui faut imaginer des stratagèmes pour simplement savoir. Selon les mots du Dr Claude Aubert (député libéral), il en est réduit à «payer pour voir», ce qui n'est pas loin de représenter le degré zéro de l'action politique....L'incroyable accident politique français a eu l'avantage de faire naître des réactions passionnées de la population et des médias. Sursaut tardif, mal contrôlé, sentimental, certes, mais ayant eu l'immense mérite d'exister. Maintenant que le pire est passé, ce qu'il faut, comme le dit Laurent Joffrin, c'est «résoudre les problèmes qui font prospérer Le Pen». Il importe de ne pas se contenter d'incantations contre l'extrême droite, ce qui reviendrait à lui faire le «cadeau inestimable» de la réalité. Cette réalité, regardons-la en face : pourquoi les gens ont-ils peur ? Pour quelle raison 18% de français sont-ils prêts à livrer leur avenir au fascisme ?Comme principaux facteurs, on évoque l'immigration et l'insécurité. Mais l'insécurité n'est pas que le sac à main arraché. C'est le monde qui devient illisible. Prenez la médecine. Depuis toujours, son rôle était de rassurer. Tout d'un coup, la voici balayée par de nouvelles technologies. Des pans entiers de conceptions anciennes s'écroulent. Plus personne, pas même les politiques, ne semble capable de maîtriser les forces en jeu et la population se sent désécurisée.Dans ce cadre, le discours technocratique et gestionnaire ne suffit plus. Il s'agit de renouveler l'action publique à partir des problèmes : en s'intéressant non seulement au planifiable, mais aussi à l'immaîtrisable.Le danger, en médecine aussi, serait la prise de pouvoir par une force protestataire/populiste, profitant du ralliement massif de la droite et de la gauche à des thèses optimistes, sans considération pour les peurs fantasmées ou réelles, pour les fossés qui se creusent ou l'incompréhension qui progresse....Où se trouve le débat de société regardant la médecine ? Soyons francs : il n'existe pas. Une frustration sans questions s'installe. Communiquant à sens unique, les médias remontent le ressort du ressentiment. Regardez la pauvreté des catégories employées : augmentation des primes, nouvelle prouesse technologique, erreur médicale. Qui, à l'encontre de ces blockbusters médiatiques, ose poser radicalement la question de la qualité de vie ? Celle de la désolidarisation ? Celle des limites ?...Rien de plus traître que la philosophie des droits de l'homme, rappelle Alain Finkielkraut dans son dernier livre.1 ça l'énerve qu'on puisse limiter notre conception du progrès à ces fameux droits. Alors que l'essentiel se glisse dans les fentes qu'ils laissent dans les rapports humains. «Les mêmes qui s'enchantent du triomphe des droits de l'homme se désolent devant le spectacle de l'incivilité triomphante, écrit Finkielkraut. Or, les deux phénomènes sont liés
Etre poli, en effet, ce n'est pas faire valoir ses titres ou ses créances, c'est se reconnaître obligé.»L'autonomie du patient a été placée au centre de la démarche médicale comme un droit : ok. Mais médecins et patients ont des obligations les uns à l'égard des autres qui ne découlent d'aucun droit. Nous ne sommes pas quittes en respectant des droits. Les relations humaines font appel à des responsabilités qui vont bien plus loin. Allez gérer une chose pareille.1 Finkielkraut A. L'imparfait du présent. Paris : Ed. Gallimard, 2002.