La prévalence de l'obésité infantile augmente rapidement dans tous les pays du monde. Une réflexion autour de la prise en charge de l'obésité à l'adolescence s'impose. Nous présentons les résultats du suivi de 93 jeunes obèses âgés de 11 à 18 ans vus en consultation de médecine pour adolescents. La durée des suivis (moyenne huit consultations sur onze mois) ainsi qu'un taux relativement faible de ruptures sont encourageants, même si les résultats obtenus sur la perte de poids peuvent décevoir (diminution du BMI dans moins de la moitié des cas). Pour différents facteurs de stress psychosociaux étudiés, les jeunes obèses ne se différencient pas de leurs pairs également suivis en consultation. Vu la double problématique «être adolescent et obèse», nous proposons que ces jeunes puissent bénéficier d'une prise en charge globale, centrée sur leur vécu d'adolescent.
La prévalence de l'obésité infantile augmente dans tous les pays du monde, fait lié aux modifications du mode de vie et aux changements alimentaires.1 Les dernières données suisses parlent de plus de 20 à 27% d'enfants et d'adolescents souffrant d'un surpoids et de 6% à 16% souffrant d'obésité (pourcentages dépendant de l'âge).2-4 Les risques de développer des complications secondaires (telles que le diabète de type 2) déjà à l'âge pédiatrique sont de plus en plus mis en évidence.2,5 L'obésité à l'adolescence reste un des facteurs prédictifs essentiels, important pour l'obésité à l'âge adulte.6 Ces données soulignent l'importance d'une réflexion autour de la prise en charge de l'obésité de l'enfant et de l'adolescent.
Les valeurs définissant l'obésité à l'âge adulte (surpoids BMI 25-30 kg/m2 et obésité BMI > 30 kg/m2) ne sont pas valables pour l'enfant. Elles doivent être adaptées aux changements dynamiques des courbes de BMI pendant la croissance (fig. 1), fixant les limites pour l'obésité supérieure au 97e percentile de BMI et la surcharge pondérale à partir du 90e percentile.3
A l'Hôpital des Enfants de Genève, la consultation de médecine pour adolescents accueille des adolescents obèses qui sont adressés par les services scolaires, les médecins traitants et les consultations de spécialités pédiatriques, ainsi que par les services prenant en charge des parents obèses.
Parmi les 735 nouveaux patients vus en consultation de juillet 1997 à décembre 2001, 75 jeunes (soit 8%) consultaient d'emblée pour un surpoids (fig. 2). S'ajoutent à ce chiffre 18 jeunes ayant été suivis initialement pour une autre raison (le plus fréquemment dépression ou plaintes fonctionnelles) et pour lesquels une prise en charge pour obésité a pu se mettre en place dans un deuxième temps. Cela porte à 93 le nombre d'adolescents suivis pour une problématique de surpoids. Parmi eux, il y avait 72 filles (77%) et 21 garçons (23%) avec un âge moyen de 13,5 ans (DS 1,9 an).
Un grand nombre de ces adolescents (n = 40, soit 44%) nous ont été adressés par des consultations de spécialités, le plus souvent par la consultation d'endocrinologie pédiatrique, où ils ont été vus pour un bilan hormonal. Pour 38 adolescents (41%), la consultation a eu lieu sur demande du médecin traitant ou des parents, et 14 jeunes (15%) nous ont été référés par les services scolaires.
Dans un cas sur cinq, il y avait une comorbidité associée : diabètes, maladies neurologiques, problèmes néphrologiques ou psychiatriques. Ce pourcentage élevé de comorbidités associées est dû à un biais de sélection s'expliquant par l'intégration de notre consultation dans une clinique universitaire, où sont suivis beaucoup de jeunes malades chroniques.
La prise en charge des adolescents obèses s'est faite individuellement, à raison d'une consultation toutes les deux semaines jusqu'à stabilisation du poids, puis espacement progressif des consultations d'une fois par mois à une fois tous les trois mois. Une courte présence des parents est toujours souhaitée lors de la première consultation. Certains patients ont suivi une prise en charge en groupe à raison d'une consultation par mois et un suivi par la diététicienne a également été mis à disposition.
Afin de standardiser la prise en charge (en raison des changements fréquents des médecins internes en formation), nous nous sommes fixés des objectifs simples, en nous laissant guider par des données de la littérature (tableau 1).7-9
La durée médiane de la prise en charge était de huit consultations sur onze mois, avec une grande variabilité dans la durée du suivi, allant d'un mois à plus de quatre ans et d'une à 62 consultations.
Trente quatre pour cent des suivis sont toujours en cours, 47% ont été arrêtés avec notre accord (suivi chez un médecin traitant, âge pédiatrique dépassé, perte pondérale satisfaisante) et dans 19% des situations, il y a eu rupture du suivi.
L'évolution du poids a été observée en parallèle aux changements de BMI (fig. 1 et 3). Alors qu'uniquement 17% ont réussi à perdre du poids, 45% ont pu stabiliser (± 2 kg) leur poids. Vu une croissance staturale en cours chez beaucoup de nos patients, cela correspond à une diminution du BMI dans 47% des situations (fig. 3). Le BMI moyen était de 29,4 kg/m2 (DS 5,4 kg/m2) en début de suivi et de 30,7 kg/m2 (DS 6,5 kg/m2) en fin de suivi (fig. 1).
Nous n'avons trouvé aucune différence significative (pour la durée du suivi, le BMI au début et à la fin du traitement) entre les adolescents en début de puberté (
Pour les patients obèses comme pour leurs pairs vus en consultation de médecine pour adolescents, nous avons évalué différents facteurs de stress dans leur histoire personnelle (parents malades, famille éclatée, situation de déracinement, violences subies, origines) et n'avons trouvé aucune différence significative entre les deux groupes (tableaux 2 et 3).
La durée des suivis ainsi que le taux relativement faible de ruptures sont encourageants, même si les résultats obtenus sur la perte de poids peuvent décevoir. De nombreux jeunes ont réussi tout de même à stabiliser leur poids. Nous pensons que la prise en charge en consultations spécifiques pour adolescents a permis d'aborder les soucis propres à cette tranche d'âge, permettant ainsi un meilleur investissement du propre corps. N'oublions pas que la prise en charge de l'obésité peut être vécue par le jeune comme un traitement très contraignant.
Parler d'adolescents obèses, c'est aussi parler d'une double problématique : être adolescent et être atteint d'une maladie chronique, l'obésité. Comment aborder ces jeunes ? Faut-il placer le problème d'obésité ou l'adolescent lui-même au centre de nos préoccupations ?
Pour tout adolescent, la puberté entraîne une métamorphose, le jeune doit pouvoir investir un corps en changement et le reconnaître comme sien. L'adolescent obèse sera confronté aux limites que ce corps lui impose, ce qui peut entraîner une perte du monde «idéal» si souvent rêvé. Il peut se sentir abandonné et trahi par ce corps, qui n'est pas le corps infaillible, tel que nous l'exhibent les médias c'est un corps en quelque sorte défectueux, qu'il faut apprivoiser tout en le ménageant. Au cours de ce processus d'investissement souvent long et douloureux, épisodiquement des phases apparaîtront, pendant lesquelles l'adolescent rejettera son corps. L'évidente apparence de l'obésité forcera l'adolescent à agir en vue d'une intégration de son corps imparfait. La confrontation perpétuelle à l'image que son entourage lui renvoie ne l'autorisera pas à se cacher à lui-même.
Le désir de vouloir occulter tout ce qui sort de la normalité est très présent à l'adolescence, car chaque jeune souhaite «être comme les autres», c'est-à-dire «normal». Ce désir devient parfois si intense que l'adolescent va essayer de le renier dans son for intérieur. En conséquence, il négligera la prise en charge ou même arrêtera tout traitement.
Le reniement d'une réalité inéluctable plus ou moins intensément vécu reste néanmoins un passage souvent nécessaire et inévitable pour les jeunes patients. Cette phase de déni paraît parfois indispensable pour l'autoriser à se rapprocher du groupe des pairs. C'est lorsqu'il ne se sentira plus trop différent qu'il osera se confronter à eux.
Il est intéressant de constater que parmi les jeunes que nous avons suivis, nous retrouvons fréquemment des événements stressants et douloureux dans leurs histoires personnelles, dont l'incidence ne diffère pas par contre des autres jeunes suivis. Cela réconforte notre hypothèse de départ, que les adolescents obèses doivent pouvoir bénéficier d'une prise en charge globale, centrée sur leur vécu d'adolescent. Lors de celle-ci, il est essentiel que nous réussissions à intégrer des phases de fluctuation de l'adhérence au traitement, et permettre au jeune de revenir nous voir après des périodes d'absence. Il n'est pas rare que nous devions être très actifs en les reconvoquant, leur faisant comprendre que nous croyons au suivi, qu'il s'agit d'un travail en commun et qu'il peut y avoir un plaisir partagé.