Malgré l'amélioration spectaculaire des mesures diagnostiques et thérapeutiques disponibles, le cancer reste l'une des causes principales de décès prématurés et surtout une source indéniable de grandes souffrances à la fois physiques et psychiques. Les patients atteints d'une maladie cancéreuse avancée métastatique souhaitent essentiellement l'obtention ou le maintien d'une qualité de vie acceptable. Les symptômes directement ou indirectement liés à leur maladie doivent par conséquent être correctement identifiés et évalués avec précision pour pouvoir être ensuite soulagés. Pourtant, la plupart des instruments d'évaluation utilisés de routine en oncologie ne sont pas adaptés à la pratique clinique palliative quotidienne. L'Edmonton Symptom Assessment System est un outil d'auto-évaluation des symptômes les plus fréquemment rencontrés en médecine palliative. Il est simple et rapide et permet également une communication aisée entre les différents partenaires. Trois situations cliniques illustrent le concept du soin en faveur de la personne plutôt que contre la maladie.
Le XXe siècle a sans nul doute consacré l'avancée fantastique de la technologie au service de l'Homme. Des progrès considérables ont eu lieu aussi bien en médecine que dans d'autres disciplines. Des outils diagnostiques sophistiqués ont succédé à la meilleure compréhension des phénomènes biologiques et ont permis la mise au point de méthodes thérapeutiques de plus en plus précises et efficaces. Malgré cela, les maladies cancéreuses restent l'une des principales causes de décès en Suisse et dans le monde. Or, pour une personne souffrant d'une telle affection, en phase déjà avancée, métastatique ou inopérable et par conséquent inguérissable, c'est probablement le maintien de la meilleure qualité de vie possible qui est primordial et non pas l'augmentation de la survie à tout prix. La médecine et les soins palliatifs offrent alors une prise en charge thérapeutique active et globale, non seulement aux patients mais aussi à leur entourage, afin de permettre la réalisation d'un tel objectif (tableau 1).1 L'un des composants majeurs de la qualité de vie, hormis le soutien des besoins psycho-sociaux et des préoccupations spirituelles, est le soulagement efficace des symptômes liés directement ou indirectement à la maladie cancéreuse. Leur mode de présentation est toutefois variable d'un individu à l'autre et leur identification est parfois rendue extrêmement difficile par la complexité de la situation. De plus, ces symptômes sont souvent présents tout au long du décours de la maladie alors que la thérapeutique s'efforce encore d'en modifier significativement l'évolution. C'est donc bien avant cette phase dite terminale de la maladie, trop souvent assimilée aux soins palliatifs, qu'il est véritablement indiqué de répondre avec empathie et efficacité aux besoins que le patient aura défini lui-même comme essentiels.
Par définition, un symptôme est un phénomène subjectif qui révèle un trouble fonctionnel ou une lésion, alors que le signe est un phénomène plus objectif facilement mesurable. Le symptôme est constitué par un phénomène de perception du trouble qui est le plus souvent traduit en langage verbal. L'évaluation des symptômes doit donc essayer de quantifier cette perception d'une manière valide et reproductible. Etant donné la subjectivité même des symptômes, l'évaluation par le patient est la source première d'information. Plusieurs études ont en effet montré, tant en ce qui concerne la douleur que les autres symptômes, que la concordance entre l'évaluation par le patient et par les soignants demeurait insatisfaisante.2,3 A ce stade de l'évolution de sa maladie, les symptômes présentés par le patient peuvent bien sûr encore être dus à la maladie de base, mais ils peuvent aussi être secondaires aux traitements reçus ou à une autre affection. Si la douleur est maintenant bien reconnue par l'ensemble des personnels de soins et qu'il en existe même depuis plusieurs années une définition internationale consensuelle,4 les autres symptômes sont souvent moins bien qualifiés et leur prévalence est extrêmement variable d'une étude à l'autre. Cette variabilité est aussi expliquée par les critères de sélection des patients (ambulatoires, hospitalisés), les différents stades de leur maladie, les instruments de dépistage et d'évaluation utilisés et le type de cancer (tableau 2).5,6 En fait, les symptômes sont souvent multiples et non spécifiques de la maladie de base.
Afin de mesurer adéquatement les symptômes des patients, un outil d'évaluation doit être utilisé de façon systématique. Les patients atteints d'une maladie cancéreuse sont généralement évalués par l'échelle de fonctionnalité de Karnovsky ou celle de l'OMS qui reflètent toutes deux le fonctionnement physique du patient et qui sont remplies par le personnel soignant.7 Elles possèdent une valeur pronostique en termes de probabilité de survie mais leur utilité réelle dans le suivi de la santé et de la qualité de vie des patients est faible. Il existe de nombreuses échelles d'évaluation de la qualité de vie validées pour les patients avec ou sans maladie oncologique (SF-36, FACT, EORTC-QLQC30). D'autres échelles complexes d'évaluation souvent multidimensionnelles des symptômes, comme le Memorial Symptom Assessment Scale ou le Rotterdam Symptom Assessment Scale sont également disponibles.8 Ces échelles ont toute leur importance dans des protocoles de recherche, mais elles sont néanmoins difficiles à utiliser en pratique clinique quotidienne chez des patients atteints d'une maladie oncologique avancée. Sur le modèle des échelles d'évaluation de la douleur, l'équipe de soins palliatifs d'Edmonton au Canada a développé une échelle systématique nommée Edmonton Symptom Assessment System (ESAS) comprenant neuf échelles visuelles analogiques de 10 cm de longueur, présentées l'une sous l'autre sur une feuille blanche de format A4.9 Les neuf symptômes évalués sont ceux dont la prévalence est la plus importante dans cette phase de la vie des patients cancéreux : la douleur, l'asthénie (la fatigue), les nausées, la dépression, l'anxiété (l'angoisse), l'appétit, la somnolence, la dyspnée et le bien-être du patient. Celui-ci peut cocher le niveau qui correspond le mieux à sa propre perception de l'état dans lequel se trouve chacun des symptômes examinés. Si nécessaire, il peut être aidé pour la rédaction par le personnel soignant ou la famille et les résultats des mesures sont alors transcrits sur une feuille graphique offrant une vision globale à l'ensemble des soignants. L'ESAS est un test rapide qui ne nécessite que quelques secondes, voire une ou deux minutes pour être rempli et qui est facile à expliquer et d'utilisation aisée. En période aiguë de modification thérapeutique ou de déséquilibre clinique, il peut être rempli une ou plusieurs fois par jour puis espacé en fonction de l'évolution globale et de la stabilité de la situation. Il a été validé une première fois dans une population de patients cancéreux hospitalisés et, plus récemment, chez des patients ambulatoires atteints d'une maladie oncologique.10
L'ESAS peut être facilement utilisé dans la pratique ambulatoire en demandant au patient de le remplir lors de chaque consultation ou même avant dans la salle d'attente. L'évolution des différents symptômes et l'effet des traitements médicamenteux peuvent alors être mesurés en comparant l'évolution d'une fois à l'autre. Une nette aggravation d'un ou de plusieurs symptômes peut être le signe qu'une hospitalisation est indiquée (fig. 1). L'ESAS devient alors un instrument de transmission de données entre le domicile et l'hôpital. L'ESAS sert aussi d'outil de communication entre les différents intervenants médicaux au domicile ou ailleurs : le médecin traitant, l'oncologue, le médecin consultant, mais aussi les infirmières, le psychologue ou le physiothérapeute. Dans tous les cas, la principale utilité de l'ESAS est d'améliorer la communication avec le patient et de mettre en évidence quels sont les symptômes qui le gênent le plus tout en lui faisant préciser la signification d'une phrase telle que «je ne me sens pas bien». Par ailleurs, cela permet aussi de démontrer que ses plaintes symptomatiques sont prises au sérieux (fig. 2). L'ESAS permet en quelque sorte d'entrer en matière avec le patient et de rediscuter avec lui, symptôme par symptôme, de ses perceptions, de son vécu, de ses craintes et de ses émotions. Dans un deuxième temps, l'introduction éventuelle d'un traitement permettra de mesurer son adéquation et d'évaluer son efficacité. L'ESAS peut exister en une multitude de langues différentes aidant donc les équipes de soins à mieux communiquer. Finalement, pour une équipe mobile consultante, l'ESAS permet souvent d'élargir la demande de soulagement de la douleur à d'autres symptômes qui sont aussi présents mais peut-être sous-estimés et potentiellement moins bien considérés (fig. 3).
L'introduction d'un instrument d'évaluation comme l'ESAS n'est pas allée de soi, même dans un lieu de soins tel que le CESCO pourtant rompu aux soins palliatifs. En effet, si l'outil a rapidement été apprivoisé puis admis dans la routine de l'unité de soins ambulatoires, son utilisation régulière pour les patients hospitalisés s'est avérée délicate. Dans ce contexte, il faut savoir que la plupart de ces instruments d'évaluation proviennent d'une culture plutôt anglophone et nos malades ne sont pas vraiment habitués à remplir des questionnaires stéréotypés. Il en va d'ailleurs de même pour le personnel des unités de soins. A titre d'exemple et pendant les premiers mois de l'introduction de l'ESAS, seuls 32 parmi 128 patients consécutifs admis pour une maladie cancéreuse ont bénéficié d'une évaluation systématique de leurs symptômes avec ce moyen. Or, une première étude avait pourtant mis en évidence que ces symptômes n'étaient pas recensés avec régularité dans les dossiers de soins infirmiers et médicaux.11,12 D'autres difficultés, comme celles d'évaluer l'asthénie et l'anorexie, confrontent le patient et les soignants à des échecs constants puisque ces symptômes sont particulièrement difficiles à soulager efficacement. Finalement, l'ESAS n'est pas un instrument adapté aux patients dans leurs derniers jours de vie.13 En effet, le score total d'évaluation des symptômes est trop souvent influencé par l'augmentation du score d'un seul des symptômes et le patient présente pendant cette phase une asthénie trop importante ou des troubles cognitifs significatifs qui l'empêchent de remplir avec exactitude l'échelle d'évaluation.
Bien entendu, cette évaluation des symptômes par l'ESAS est également complétée par une anamnèse détaillée, un examen clinique et des examens complémentaires adéquats. D'autres instruments d'évaluation peuvent aussi être utilisés pour mieux caractériser la douleur, ou un état dépressif ou anxieux. Hormis ceux figurant dans l'ESAS, d'autres symptômes tels que la constipation, la sécheresse des muqueuses, les troubles du sommeil, la toux, la déshydratation et les troubles du comportement sont à prendre en considération. Parmi les autres symptômes fréquemment présents en fin de vie et qui perturbent fortement les patients ainsi que leur entourage, figure le delirium ou état confusionnel. Celui-ci entrave la communication ce qui empêche une évaluation précise rendant donc impossible le soulagement adéquat de l'ensemble des autres symptômes. Il est donc indispensable de dépister précocement un delirium au moyen du Mini Mental Status Examination qui sera pratiqué à intervalles réguliers de manière à s'alarmer lors de toute modification du score.14 Ce test est d'ailleurs inclus en annexe de l'ESAS.
Afin d'assurer la meilleure qualité de vie possible aux patients atteints d'une maladie cancéreuse avancée, les symptômes physiques et psychiques doivent être convenablement soulagés. Ceux-ci ne peuvent être raisonnablement améliorés que lorsqu'ils ont été évalués par le patient lui-même. L'ESAS représente alors un outil d'évaluation efficace et validé en soins palliatifs, car il dépiste la grande majorité des symptômes présents chez ces patients au prix d'un faible investissement. Par ailleurs, l'ESAS améliore grandement la communication entre le patient et les soignants et il sert d'outil de transmission entre les différents intervenants du processus de soins. Toutefois, ce test peut aussi confronter le malade et les soignants à la difficulté de soulager certains symptômes comme l'asthénie ou l'anorexie et son utilisation dans les tous derniers jours de vie reste problématique.