Continuons à nous intéresser de près à l'avis que vient de rendre public, en France, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) qui vient d'entrouvrir la porte des blocs opératoires à ces nouveaux chirurgiens qui se passionnent pour certains désordres de la psyché humaine (Médecine et Hygiène du 19 juin 2002). Relatif à «la neurochirurgie fonctionnelle d'affections psychiatriques sévères», l'avis du CCNE ne fait pas l'économie des différentes techniques connues et de leurs effets, à commencer par les lobotomies qu'il qualifie de «classiques». «Les techniques initialement proposées (leucotomie préfrontale ou lobotomie préfrontale "standard" et la leucotomie transorbitaire) visaient à détruire une partie des lobes frontaux ou de leurs connexions avec le système limbique étant donné le rôle joué par ces structures dans les fonctions cognitives et émotionnelles, peut-on lire dans l'avis. Les modifications de personnalité induites par ces anciennes techniques délabrantes étaient fréquentes et souvent déplorables avec apparition de "syndromes frontaux" marqués, faits d'une apathie permanente ou de tendances euphoriques, avec inconsistance, puérilité, manque de tact, troubles du jugement et troubles dans la planification du comportement.»A ces effets liés à la mutilation du tissu cérébral, pouvaient également se surajouter des effets secondaires potentiels comme des crises d'épilepsie ou des comportements agressifs. «La violence de ce "traitement", entre autres, explique sa condamnation maintenant unanime qui a pu être résumée ainsi : la leçon, enfin, d'un passé proche qui a vu la psychochirurgie recourir à trois subterfuges : le premier entreprenait des expérimentations sous camouflage thérapeutique ; le deuxième procédait, en des pays où la vigilance est relâchée, c'est-à-dire le tiers-monde, en l'occurrence asiatique, à des essais ensuite utiles aux seules populations privilégiées ; le troisième prenait prétexte de la sécurité publique pour effectuer des exérèses sur des sujets violents» écrivent les auteurs de cet avis.Il faut aussi, depuis les années 1960, compter avec la neurochirurgie fonctionnelle, les anciennes techniques délabrantes ayant, à partir de cette époque, été abandonnées au profit de techniques chirurgicales beaucoup plus limitées que la lobotomie classique. Regroupées sous le terme de «psychochirurgie», elles désignent des gestes s'inscrivant dans une approche neurochirurgicale «fonctionnelle». Et il n'est pas sans intérêt de citer les techniques aujourd'hui encore utilisées parmi lesquelles la «capsulotomie antérieure» (interrompant les connexions entre cortex préfrontal et thalamus au niveau de la capsule interne) et la «cingulotomie» (destruction partielle du gyrus cingulaire qui vise à «réduire le vécu affectif des symptômes en altérant certaines connexions au sein du système limbique»).Le temps passant et les progrès de l'imagerie aidant, des techniques de chirurgie stéréotaxique guidée par IRM ont été développées. «Plus que d'une chirurgie classique à visée "spatiale", il s'agit en fait d'une nouvelle thérapeutique chirurgicale de symptômes, qui corrige les manifestations fonctionnelles et non la structure de l'individu, soulignent les auteurs de l'avis. Comme pour toute chirurgie fonctionnelle, les praticiens qui en sont responsables sont encore plus prudents dans leurs (rares) indications qu'en chirurgie organique "classique" en insistant sur l'absolue nécessité d'une stricte évaluation des patients, réalisée avec une exigence de multidisciplinarité.» Plus récemment encore, l'administration (guidée par des techniques d'imageries cérébrales modernes) très focalisée d'un rayonnement gamma (technique dite du gamma-knife) a permis d'obtenir des résultats cliniques similaires à ces nouvelles techniques neurochirurgicales, mais cette fois de manière quasiment non invasive. Et quels sont les résultats de ces chirurgiens de l'âme ? Les sages du CCNE nous disent que ces interventions (évaluées à partir de petites séries compte tenu de la rareté des indications retenues) sont «habituellement jugées efficaces» et ce «malgré l'extrême gravité des symptômes des patients acceptant d'y recourir.» Et ces interventions dont on sait à quel point elles ont «mauvaise presse» font que les modifications cognitives sérieuses du comportement avec apathie marquée et indifférence des premières lobotomies «ne sont plus observées». Enfin, il faut désormais compter avec les techniques non destructives de stimulation cérébrale par stéréotaxie qui autorisent «de nouveaux espoirs». Leurs résultats sont encore en cours d'évaluation, mais ces techniques déjà utilisées dans d'autres indications comme la maladie de Parkinson sévère sont pratiquement dépourvues de complications et n'entraînent pas de destructions cérébrales définitives. Les efforts de recherche clinique sont encore poursuivis afin d'espérer obtenir, grâce aux progrès de l'imagerie cérébrale, une meilleure identification des zones pathologiques et donc des «cibles intracérébrales» de plus en plus limitées.Ajoutons que ces techniques de psycho-électro-physiologie se proposent de réaliser une psychomodulation par l'implantation, dans le parenchyme cérébral, d'électrodes de stimulation dans des localisations précises comme le bras antérieur de la capsule interne. L'équivalent d'une capsulotomie antérieure peut ainsi être effectué, de manière a priori réversible, par l'induction d'un courant de radiofréquence. Ces voies de recherche sont similaires aux techniques de stimulation ayant démontré leur efficacité dans le traitement des maladies de Parkinson sévères grâce notamment aux travaux du Pr Alim-Louis Benabid, neurochirurgien au CHU de Grenoble. Dans cette indication particulière, le caractère strictement symptomatique de ce traitement est attesté par la réapparition des symptômes cliniques de la maladie à l'arrêt de la stimulation. Le suivi scientifique de cette population de patients a également permis d'apprendre que certaines manifestations émotionnelles pouvaient être accessibles à une telle stimulation cérébrale.Il nous fallait toutes ces données avant d'aborder la semaine prochaine, les questions éthiques soulevées par ces perspectives de chirurgie de l'âme ou de l'humeur ; un sujet qui ne peut pas ne pas renvoyer à celui, vertigineux, de l'identification des bases matérielles de la conscience humaine.