S i l'on réfléchit bien, on constate que l'on peut guérir de différentes manières. Ou, mieux, l'on arrive à concevoir la guérison sur la base de notions assez contrastées. On peut par exemple se référer à cette notion, chère déjà aux Romains de l'Antiquité, de restitutio ad integrum, c'est-à-dire d'un retour pur et simple à l'état précédant l'affection que l'on a soignée. Néanmoins, la flèche du temps étant orientée comme elle l'est, il est évidemment impossible, en pratique, de retrouver l'état précédant la maladie dont on a souffert. En d'autres termes, la maladie laissera inévitablement des traces qui s'inscriront dans la mémoire corporelle. Par ailleurs et ce d'autant plus que l'affection se sera prolongée le sujet ne sera plus exactement semblable à celui qu'il était avant de tomber malade.
Autre notion associée à la guérison, celle de «silence des organes» ; une situation où il ne serait pas tant question de retrouver un état antérieur que de retrouver un organisme «silencieux», privé de symptômes. Ce silence des organes serait comme la garantie d'une santé retrouvée, la maladie étant quant à elle assimilée aux «bruits gênants» représentés par les symptômes. Reste à savoir si le patient désire véritablement rentrer en possession d'un corps «silencieux» ou s'il ne préfère pas plutôt, inconsciemment, rester malade pour bien percevoir son corps.
Une autre notion encore est celle qui se fonde sur la réinsertion dans la norme. A noter que cette notion-ci semble dépendre davantage de critères de vérification objectifs que d'une perception subjective. A force d'être rattachée toujours plus à des facteurs fondés sur la statistique, la norme pourrait bien s'éloigner de la véritable satisfaction individuelle du patient guéri. D'autant que le normal est aujourd'hui mis en cause par l'optimal. Bref, le retour à la normale ne garantit pas la durée effective de la santé retrouvée.
Enfin, au nombre des notions relatives à la guérison, il faut mentionner celles d'hérédité et de constitution liées au patrimoine génétique. Vues sous cet angle, la santé et la guérison dépendraient de la virtualité d'une expression génique présumée favorable ou défavorable, laquelle dépendrait à son tour des événements successifs de l'histoire du sujet. Pour amener au bout du compte à une confrontation imprévisible entre génétique et épigénétique. Cette dynamique pourrait, entre autres, avoir pour effet de produire des phénomènes paradoxaux. Notamment la longévité atteinte par des sujets ne répondant pas aux critères de normalité et des guérisons survenues contre toute prévision statistique.
Il n'est pas exclu qu'à considérer les choses autrement, patient et médecin ne s'ouvrent une perspective intéressante : celle d'appréhender la guérison comme une étape évolutive de l'histoire propre à chaque individu. Ce qui impliquerait en premier lieu de considérer la santé elle-même comme un état à remettre sans cesse en question, dont l'équilibre ne serait pas statique, mais dynamique. Cet équilibre ne serait d'ailleurs plus restreint au seul fonctionnement physiologique, et pourrait alors faire l'objet d'un compromis permanent entre physiologie et pathologie. Nous aurions à faire ici à un véritable équilibre physio-pathologique.
Un équilibre qui ne serait donc pas tant l'expression d'un anonymat statistique mais bien davantage vu comme une conquête personnelle de chacun, impliquant une disponibilité croissante au changement, à la nouveauté, au plaisir.
Plutôt que d'être répudiée d'emblée, l'expérience liée à la maladie pourrait être élaborée, et même valorisée, puisqu'elle pourrait servir de «préparation» pour une meilleure utilisation de la santé retrouvée.
La guérison, enfin, ne serait pas uniquement le résultat de bons soins ; elle impliquerait une participation active du patient puisqu'elle devrait s'insérer dans son épanouissement personnel.