Résumé
Le 23 mai dernier, un symposium consacré à la radiologie d'urgence a marqué la récente mise en fonction d'un CT multi-barrette dans la Division des urgences médico-chirurgicales (DUMC) des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Depuis le début de cette année, une équipe de radiologues et de technicien(ne)s en radiologie médicale assure 24 heures sur 24 le fonctionnement de cette antenne de radiologie des urgences, qui réalise également les prestations radiographiques et ultrasonographiques pour tous les patients pris en charge par la DUMC.Le développement de structures de radiologie d'urgence, équipées des techniques d'imagerie les plus modernes, s'observe dans la plupart des grands hôpitaux en Suisse et à l'étranger. L'installation d'appareils CT dans ces structures se généralise depuis quelques années. On considère actuellement qu'un tel équipement se justifie dans les services d'urgence connaissant un nombre élevé de passages (40 000 passages et plus annuellement à titre de comparaison, le nombre de passages à la DUMC a été de plus de 56 000 en 2001). Les chiffres suivants, provenant également de la DUMC, illustrent l'importance croissante du CT : en 1995, 1617 examens CT ont été réalisés en urgence, alors qu'en 2002, nous effectuerons environ 4000 examens, selon une projection calculée à partir des premiers mois de cette année.Certains centres hospitaliers vont plus loin. Ainsi, le Centre hospitalier régional universitaire de Lille, avec lequel les HUG ont établi une convention de collaboration, favorisant les échanges d'idées et d'expériences, entre autres dans le domaine de la radiologie, projette d'installer prochainement un appareil d'imagerie par résonance magnétique (IRM) dédié exclusivement aux urgences.Le Burgerspital de Bâle est même en train d'ouvrir, dans son service des urgences, une salle dotée d'un équipement intégrant un CT, un appareil d'angiographie et une table d'opération, permettant une prise en charge diagnostique et thérapeutique pluridisciplinaire optimale des patients polytraumatisés, en offrant notamment la possibilité d'interventions combinées chirurgicales et de radiologie interventionnelle (embolisations).Cet essor de la radiologie d'urgence est suscité par plusieurs facteurs :I L'accroissement continuel, depuis plusieurs années, du nombre de patients pris en charge par les services d'urgence (ainsi, le nombre de passages à la DUMC a plus que doublé en cinq ans) : les contraintes auxquelles sont soumis les services d'urgence en termes de délais et de flux de patients se comprennent aisément quand on sait que 5 à 7% des urgences sont de degré 1, c'est-à-dire vitales et nécessitant une action immédiate, et 40%, de degré 2, c'est-à-dire nécessitant une décision dans les 20 minutes (les urgences de degré 3, nécessitant une décision dans les 120 minutes, et celles de degré 4, ne nécessitant pas une décision en urgence, constituent le reste du collectif). I Le rôle central de la radiologie dans le triage initial des patients, duquel dépend directement l'efficacité du service d'urgence en termes de flux de patients et de qualité des soins : les trois piliers de l'imagerie en urgence sont les clichés radiographiques, principalement du thorax et du squelette, l'ultrasonographie abdominale (voir l'article de Pierre-Alexandre Poletti dans ce numéro) et surtout le CT, véritable pierre angulaire du diagnostic en urgence depuis l'avènement du mode hélicoïdal et de la récente technologie multi-barrettes, permettant un examen complet cérébral, cervical, thoracique, abdominal et pelvien chez un patient polytraumatisé en moins de quarante minutes, y compris son positionnement dans l'appareil (voir les articles d'Alban Denys et de Stuart Mirvis dans ce numéro).I La reconnaissance qu'une interprétation immédiate des examens radiologiques par un radiologue expérimenté diminue de manière significative les risques d'erreur dans la prise en charge des patients par les équipes des services d'urgence (voir l'article de Bernard Vermeulen dans ce numéro). Dans le contexte de la médecine d'urgence, les traumatismes occupent une place centrale. En effet, ils représentent la troisième cause de décès dans les pays industrialisés, derrière les affections cardiovasculaires et les cancers. Ils concernent principalement des patients jeunes, puisque presque 50% des victimes sont âgés entre 25 et 44 ans. Globalement, leur mortalité s'élève jusqu'à 20%. Cinquante pour cent des décès sont dus à des lésions cérébrales et 20%, à des hémorragies ou à des complications respiratoires durant les trois premières heures après le traumatisme.1 C'est pendant cette période cruciale, où «time is life», qu'une structure de radiologie d'urgence, disposant des techniques d'imagerie les plus modernes et d'une équipe médicale et technique hautement qualifiée, contribue de manière décisive à diminuer la mortalité et la morbidité des traumatismes.2 Dans d'autres affections également, dont l'impact sur la santé publique est majeur et pour lesquelles une amélioration du pronostic passe aussi par une prise en charge adéquate la plus rapide possible, on pense notamment aux accidents cérébro-vasculaires, une structure de radiologie d'urgence performante est un élément clé.Cependant, la mise en place de telles équipes, permettant des percées significatives dans le diagnostic, le traitement et le pronostic d'affections graves, a un coût en termes d'infrastructure et de personnel. Ainsi, par exemple, pour faire fonctionner le nouveau CT à la DUMC, nous avons besoin de huit postes et demi de technicien(ne)s et de sept postes de médecins. En outre, une réorganisation de l'ensemble du service de radiologie a été nécessaire.Au cours de la dernière décennie, les grands services de radiologie se sont articulés autour des spécialités par organes. Comment donc faire pour avoir à disposition 24 heures sur 24 le neuroradiologue, le radiologue thoracique, le radiologue cardiovasculaire, le radiologue abdominal, le radiologue ostéo-articulaire, sans parler du radiopédiatre ou du spécialiste de l'imagerie de la femme ? La seule solution est de revaloriser la radiologie polyvalente, en favorisant l'émergence d'une spécialité transverse, la radiologie d'urgence. Néanmoins, ceci ne va pas sans créer des problèmes organisationnels et relationnels, liés à une nouvelle définition des rôles et des compétences des médecins cadres au sein d'un service. Entre le radiologue des urgences et les radiologues spécialisés par systèmes d'organes, la discussion et l'échange sont indispensables, le premier devant accorder son attention en priorité à mettre en place des procédures et à gérer de manière efficace le flux des patients, tout en s'appuyant, pour améliorer continuellement ses connaissances dans l'imagerie de tel ou tel système d'organes, sur les compétences des seconds.On peut comparer la radiologie organisée par spécialité d'organes à un vestiaire où chaque radiologue spécialisé possède son casier personnel, annoté à son nom et fermé à clé. A l'inverse, avec la radiologie d'urgence, on redécouvre les mérites d'une dame de vestiaire, qui suspend les manteaux selon la disponibilité des cintres. Il lui faut être finaude, avoir de la gouaille et de l'autorité naturelle pour repérer les resquilleurs et les remettre à leur place dans la file d'attente. Néanmoins, pour conserver sa place, elle doit aussi montrer de l'entregent et avoir des bonnes manières. Sa tâche est difficile, lorsqu'à la fin du spectacle, la foule des spectateurs fatigués se presse. Elle contribuera à la bonne humeur et à la réussite de la soirée, si grâce à sa promptitude et à son efficacité, chacun pourra regagner rapidement son logis, sans être affublé d'un manteau qui n'est pas le sien !
Contact auteur(s)
Professeur François Terrier
Chef du Département de radiologie
Hôpitaux universitaires de Genève et docteur Pierre-Alexandre Poletti
Médecin associé
Division de radiodiagnostic et radiologie interventionnelle Hôpitaux universitaires de Genève