Achevons ici de prendre la pleine mesure de l'avis que vient de rendre public, en France, le Comité consultatif national français d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) consacré à «la neurochirurgie fonctionnelle d'affections psychiatriques sévères». On a vu les tâtonnements et les errements auxquels ce sujet a donné lieu ces dernières décennies ; on a saisi également le type de questions éthiques soulevées par l'apparition des techniques nouvelles de neurostimulation. «Les progrès de l'imagerie, l'expérience acquise depuis quelques années par la neurostimulation dans les maladies neurologiques doivent encourager à une pratique réclamée par le malade et assumée par une équipe ayant une expérience importante» résument les sages du CCNE. Ils ajoutent que la prudence avec laquelle ces stimulations doivent être pratiquées justifie, «dans ce domaine plus que dans n'importe quel autre», la publication des échecs, des effets secondaires, des effets parallèles, mais aussi des avantages et des succès obtenus.Elargir le champ d'application des techniques prometteuses de neurostimulation cérébrale au cours de certaines maladies comme la maladie de Parkinson à d'autres affections, en particulier de nature psychiatrique ? «Les progrès de l'imagerie, le caractère a priori réversible de ces techniques justifient que soit de nouveau reposée la question technique de l'abord chirurgical "du cerveau" pour maladie psychiatrique, rappellent les sages. Cet abord a en effet été totalement bloqué depuis l'histoire tragique de la chirurgie destructrice en particulier frontale des années 50». Or aujourd'hui, on ne peut pas ne pas compter avec un «certain nombre d'observations cliniques» qui témoignent de l'efficacité de ces méthodes nouvelles en particulier dans les troubles obsessionnels compulsifs, ces psychoses obsessionnelles invalidantes, sources de véritables douleurs morales pour les patients, une part importante de leur vie devenant dévolue à leurs rituels. «Il convient donc de ré-envisager sous un jour nouveau cette modalité thérapeutique en se posant un certain nombre de questions» conclut le CCNE.Attention, le chemin sera sans aucun doute malaisé qui serpente entre les deux continents que sont ceux de la recherche et du soin ? Chemin difficile aussi qui veut qu'il n'existe pas, en matière de chirurgie, de phase I permettant de tester la tolérance d'une thérapeutique avant son efficacité. Chemin aventureux où il faut postuler la réversibilité des résultats de la technique sans en avoir la preuve décisive ; chemin en partance vers l'inconnu enfin puisqu'on ne peut disposer de modèle animal satisfaisant pour ces types de pathologies psychiatriques. «On pourrait arguer que ce type de distinction entre recherche et soin est une question applicable à une large part des activités chirurgicales, peut-on lire dans l'avis. Le CCNE se félicite de voir les professionnels responsables de ces nouvelles techniques de neurostimulation s'interroger et mener une réflexion prospective sur leurs actes eux-mêmes.»Reste le chapitre essentiel, le dilemme central de cette affaire : le problème du consentement qui prend une dimension sacrément nouvelle puisque le médecin devra à la fois éclairer son patient des conséquences des effets thérapeutiques attendus, mais également de l'intérêt de l'activité de recherche. C'est, porté à un nouveau degré, la problématique des failles du consentement chez des patients atteints de pathologies psychiatriques. Pour les sages français, «tout doit être fait pour tenter de le recueillir ; l'existence d'une "plage de clarté", serait-elle très réduite chez le patient, doit être recherchée de manière répétée afin de s'assurer que le patient ait pu, même sommairement dans les cas extrêmes, comprendre la demande médicale et les conséquences attendues de celle-ci.»Etrange situation qui veut qu'avec les neurostimulations appliquées aux troubles obsessionnels compulsifs, le consentement sera d'autant plus facilement obtenu que la souffrance de certains malades peut conduire à une certaine audace non seulement acceptée mais requise. Et comment ne pas pressentir que c'est précisément cette facilité paradoxale d'obtention du consentement qui pourrait, demain, se révéler hautement dangereuse d'un point de vue éthique ? Création de comités ad hoc, encadrement strict des activités, expérience requise des équipes neurochirurgicales, préservation de l'intégrité de la personne qui souffre tout en veillant aux conditions du respect de son autonomie et de l'aide objective qui peut lui être apportée, refus de la prise en compte de données économiques, etc., le CCNE formule une série de critères impératifs lui permettant de donner une sorte de feu vert sous hautes conditions en excluant, pour l'heure, les affections psychiatriques gravissimes centrées sur l'auto- et l'hétéro-agressivité.Reste pourtant l'essentiel : est-il possible, et si oui dans quelles conditions, de modifier l'identité psychique d'une personne atteinte de troubles mentaux ? Comment savoir jusqu'où aller, puisque la notion de souffrance psychiatrique demeure difficilement accessible à la connaissance et qu'elle ne pourra jamais faire l'objet d'une évaluation scientifique comparable à celle d'un désordre neurologique organique comme la maladie de Parkinson ? Saura-t-on un jour si le scalpel du chirurgien agissant en confiance peut soulager ou non la conscience humaine ?