Le temps passe-t-il ? L'été 2002 s'installe dans la canicule ; la torpeur gagne ; les mêmes questions taraudent. Nous rentrons de Toulon où vient de se tenir le symposium international consacré au VIH et aux maladies émergentes, organisé par le Dr Alain Lafeuillade. Nous avons retrouvé là le Pr Robert Will, directeur de l'Unité d'épidémiologie de l'université d'Edimbourg et responsable du réseau britannique de surveillance de la vMCJ. M. Will a précisé que l'on compte aujourd'hui en Grande-Bretagne cent vingt-deux cas confirmés de vMCJ et que le réseau international de surveillance de cette affection neurodégénérative incurable recense d'autre part six cas en France, un en Italie, un en Irlande et un aux Etats-Unis. Ces deux derniers cas tout comme trois des six cas français concernent des personnes qui avaient séjourné en Grande-Bretagne et qui ont pu être contaminées dans ce pays en consommant des aliments d'origine bovine infectés par le prion pathologique.«Nous continuons d'enregistrer des cas de vMCJ dans notre pays mais rien dans l'analyse de la dynamique ancienne ou récente de l'évolution épidémiologique ne nous permet encore de pouvoir prédire, avec une relative précision, le nombre des victimes dans les prochaines décennies, a souligné M. Will. Différents modèles mathématiques ont été mis au point ces dernières années, fondés sur un très grand nombre de paramètres. Pour autant, aucun ne permet encore de fournir une véritable réponse aux questions auxquelles nous sommes soumis.» Et entre autres questions, celle qui voit les autorités sanitaires devoir tenir compte du risque potentiel de contamination interhumaine par le biais de transfusions sanguines et d'interventions diagnostiques ou thérapeutiques à partir de matériels médicaux contaminés. «La Grande-Bretagne est à l'évidence le pays le plus directement confronté à ce risque et diverses mesures préventives ont d'ores et déjà été prises, a précisé le Pr Will. Nous n'utilisons plus, pour notre part, le plasma de nos donneurs et nous ne fabriquons des produits plasmatiques qu'à partir de plasma importé des Etats-Unis. Aujourd'hui, la prise en compte du risque potentiel de transmission du prion pathologique par le sang et les produits sanguins soulève de nouvelles et difficiles questions éthiques pour lesquelles nous n'avons pas toujours de réponses.» Le réseau britannique de surveillance a identifié vingt-deux personnes qui avaient reçu du sang provenant de personnes qui, plusieurs années après leur don, avaient été victimes de vMCJ. «Pour l'heure, la décision a été prise de ne pas les informer du fait qu'elles étaient exposées à un risque qui, en l'état actuel des données scientifiques, demeure hypothétique. Il est fort possible qu'un nouveau groupe d'experts formulera, prochainement, des recommandations contraires.»A Toulon, on a aussi parlé des recherches en cours concernant la mise au point d'un test de dépistage, un thème qui est au centre de très gros enjeux industriels. «Rien, du moins en l'état des données disponibles, ne permet de penser qu'un tel test pourrait, à court terme, être disponible, nous a expliqué le Pr Dominique Dormont (Commissariat à l'énergie atomique), président du Comité français des experts des maladies à prions. Un test ne pourra être développé que si le sang d'une personne contaminée contient un nombre suffisant de particules infectieuses ou si l'on parvient à amplifier l'information moléculaire infectieuse sanguine, ce qui n'est peut-être pas impossible.» Sur ce dernier point, l'exposé fait par l'équipe genevoise de Claudio Soto (Serono Pharmaceutical Research Institute) a été particulièrement suivi.Puis, quittant Toulon et sa rade pour les douces lignes de la Loire tourangelle, on a brutalement retrouvé la vache folle sous les traits de Nipponne, laitière Pie Noire de cinq ans de la ferme du Grand-Barré, propriété du lycée agricole de Fondettes (Indre-et-Loire). Nippone qui, vêlant, vit son train arrière paralysé. Nippone, pour qui le vétérinaire a décidé l'abattage. Nippone qui était porteuse du prion pathologique. Il s'agissait là du 131e cas officiellement recensé en France depuis le début de l'année et du 647e depuis 1991. Mais aussi et surtout il s'agissait d'un cas de «super NAIF», ces animaux nés après les mesures, drastiques, prises durant l'été 1996 par le gouvernement Juppé et visant à tout faire pour que des farines animales de viandes et d'os ne soient définitivement plus consommées par les bovins français.Or, on a déjà recensé une vingtaine de cas super NAIF en France. Comment comprendre dans le cas de Nippone puisque Jean-Maurice Gueit, proviseur du lycée et directeur de l'établissement, assure que ses bêtes n'ont jamais consommé de farines animales. Faudra-t-il se résoudre à imaginer que la dissémination du prion pathologique dans les cheptels bovins emprunte désormais des chemins environnementaux inconnus ? A Fondettes, on a autorisé la survie de cinq ou six veaux nés depuis le début de l'année. Le reste du cheptel de 80 têtes sera abattu et détruit dans les départements de Vendée ou d'Ille-et-Vilaine dans les prochains jours. Quelques jours plus tard près de 200 gendarmes, officiers de police judiciaire de plusieurs unités de recherche de la gendarmerie, procédaient à de multiples perquisitions dans plusieurs entreprises d'équarrissage basées notamment en région parisienne et en Bretagne : des investigations conduites dans le cadre de l'enquête sur les origines des cas de contamination humaine par le prion pathologique, responsable de la forme humaine de la maladie de la vache folle et menées sur commission rogatoire de la juge d'instruction parisienne, Marie-Odile Bertella-Geffroy, en charge de cette affaire depuis décembre 2000. La torpeur gagne ; les mêmes questions taraudent.