Avouons-le sans fard. Tenir la chronique hebdomadaire de la vache folle n'est pas toujours affaire aisée. Une actualité fadasse ; des problématiques salement récurrentes ; plusieurs questions scientifiques de la plus haute importance toujours et sans doute pour longtemps insondables ; une hésitation grandissante quant aux scénarios des décennies à venir. Comment avancer dans un tel paysage ? Comment écrire sans s'interroger sur la possible lassitude de celui qui nous lit ? Maintenir le même rythme ? Ne plus écrire que lorsque l'actualité, ce tyran, le commandera ? Ecrire en marge, faire le pari de l'étrange, de la poétique, du bizarre ?Dans l'attente, une recette et quelques sombres perspectives. Promise de longue date, la recette est signée de Jean Bardet (cuisinier tourangeau qui n'a plus à être présenté) et de Laurent Godano son ombrageux et prometteur second. Elle fait suite à la réintroduction, on s'en souvient, de certains ris de veau ceux provenant des jeunes bovins élevés sous la mère sur les tables de France. Intitulée «Pommes de ris de veau aux citrons confits», elle a été spécialement confectionnée et codifiée pour les lecteurs de Médecine et Hygiène. Quatre personnes, quatre belles pommes de ris de veau de lait de 180 grammes chacune «dégorgées la veille au gros sel», deux citrons jaunes, un petit bouquet de persil plat, cent vingt grammes de beurre suisse d'altitude, deux centilitres d'huile d'arachide, deux jaunes d'uf, un décilitre de crème liquide et helvète, du sel, un peu de poivre blanc, cent grammes de sucre semoule et cinq cents grammes de petites feuilles d'épinard et le tour est joué.Faut-il préciser que l'on zestera les citrons (à l'exception de la peau blanche) ? Que l'on les émincera en lanières très fines, qu'on les blanchira trois fois de suite en les mettant dans l'eau froide puis qu'on les fera confire avec le sucre et deux cuillères à soupe d'eau pendant deux heures à feu très doux afin d'obtenir leur cristallisation. Côté ris de veau, on les débarrasse des grosses peaux et des parties noires, on les blanchit à l'eau froide avec un peu d'huile. L'eau se met à bouillir ? On les égoutte et on les nettoie à nouveau. Puis c'est la cuisson avec beurre et huile. Dorent-ils que l'on sale et poivre et qu'on enfourne la poêle dans un four, thermostat moyen. Un quart d'heure de ce purgatoire.«Débarrassez-les et ajoutez dans la poêle de cuisson le persil effeuillé, faites le fondre, ajoutez la crème, portez à ébullition, ajoutez cent grammes de beurre. Cessez de faire bouillir, assaisonnez. Versez le contenu de la poêle dans le bol de votre mixer, ajoutez les jaunes d'uf et, finement, mixez, soulignent, depuis leurs terres ligériennes, Bardet et Godano. Pendant ce temps, on aura cuit les feuilles d'épinard dans une poêle posée sur un feu vif avec une noix de beurre. On aura salé, poivré, remué avec une fourchette. Attention : cette opération doit être extrêmement rapide. Il est de la plus haute importance que les épinards soient juste brisés. Les répartir dans vos assiettes chaudes. Posez dessus les pommes de ris de veau. Nappez de la sauce agrémentée des zestes de citron confit. Servez sans plus tarder.» Le vin ? Un cépage chenin. Au choix une appellation «Côteau de Saumur» avec le Château du Hureau ou un Vouvray miraculé, du type de ceux que font vivre François Pinon et sa famille à La Vallée-de-Cousse, commune de Vernou-sur-Brenne.On en était là de la rédaction de ce texte apéritif de complexion bovine et thymique quand nous tombâmes sur un formidable papier signé de Pierre-Henri Allain dans les colonnes du quotidien français Libération. Allain, envoyé spécial à Lorient, a interrogé Adolf Le Dref, marin-pêcheur depuis l'âge de 17 ans. Aujourd'hui, à 52 ans, il est patron du Pors Piron, chalutier de trente-huit mètres comptant neuf membres d'équipage et effectue des campagnes de quinze jours en mer d'Irlande. Ses prises ? Du lieu noir, du merlu (le colin du poissonnier) ou de la lotte. Quand Allain l'interroge, il vient de prendre connaissance du projet de réforme de la politique communautaire européenne de la pêche qui prévoit la suppression de 28 000 emplois et de 8600 navires pour «protéger la ressource», Bruxelles postulant que les poissons de mer sont sur le point de disparaître.Faute de bien connaître le sujet, on se gardera de prendre position. Mais on ne manquera pas de citer ici des passages qui ont une étrange résonance pour ceux qui se sont intéressés à la vache folle. «Globalement, la ressource a diminué. Mais il est difficile de dire si telle ou telle espèce est menacée. Pour la lotte, depuis l'arrivée il y a quatre ans de palangriers et de fileyeurs qui «mouillent» des filets de 100 kilomètres de long en mer d'Irlande, c'est flagrant, nous dit Le Dref. On devrait, comme nous le demandons depuis longtemps, faire des études sur les gros navires pélagiques qui ramassent tout et n'importe quoi, et sont la cause principale des problèmes de ressource. Mais on attend toujours, car les enjeux financiers sont trop importants. Avec ces navires, on est pourtant en train de détruire la mer au profit de l'élevage.»Et encore : «Je pense que l'Europe veut favoriser le poisson d'élevage en ne gardant que cette pêche industrielle qui produit essentiellement des farines de poisson pour les nourrir. Dernièrement, un bateau de pêche, immatriculé au départ comme navire de commerce, est sorti des chantiers irlandais avec une capacité de pêche de 300 tonnes par jour, alors que nous en ramenons seulement 40 en moyenne en deux semaines ! Ces bateaux sont en train de rompre la chaîne alimentaire en ramassant les petits poissons, comme le merlan bleu, qui servent de nourriture aux plus gros. Si la ressource diminue, c'est d'abord parce que le poisson ne trouve plus sa nourriture. Il y a vingt ans, on voyait sur nos sondeurs de grosses concentrations de petits poissons qui nous guidaient pour la pêche et qui ont complètement disparu.»Le patron du Pors Piron ajoute qu'il y a dix ans, un matelot pouvait gagner 1830 euros par mois, alors qu'il n'en gagne plus que 1200 aujourd'hui. Industrialisation, farines, élevages... Le Journal de la vache folle est sans doute loin d'être clos.