L'extension des indications des pancréatectomies à des lésions bénignes et une meilleure connaissance de l'histoire naturelle de la pancréatite chronique (PC) ont rendu nécessaire l'appréciation des résultats fonctionnels de la chirurgie pancréatique. Même lorsque le parenchyme pancréatique est sain, la duodéno-pancréatectomie céphalique (DPC) entraîne dans la majorité des cas une insuffisance pancréatique exocrine nécessitant la prise d'extraits pancréatiques. Le risque de diabète lié à la DPC est inférieur à 10% ; en cas de PC, le «sur-risque» induit par l'intervention est également inférieur à 10%.La pancréatectomie gauche (PG) n'entraîne pas d'insuffisance pancréatique exocrine. A l'inverse, la PG peut entraîner sur pancréas sain l'apparition d'un diabète si elle a intéressé 75% ou plus du parenchyme pancréatique. Sur PC, la PG majore nettement le risque de diabète lié à la maladie. Parmi les interventions de dérivation, la dérivation wirsungo-digestive pourrait différer le risque d'apparition du diabète lié à la PC.
Pendant plusieurs années, la chirurgie pancréatique était surtout indiquée pour le cancer du pancréas exocrine et la pancréatite chronique (PC). La faible survie observée après résection pour cancer ne permettait pas d'étudier les conséquences fonctionnelles des pancréatectomies. Après résection pour PC, les résultats de la chirurgie étaient surtout appréciés sur la douleur ou la reprise pondérale, et les conséquences fonctionnelles de la chirurgie s'intriquaient avec celles de la PC.
Actuellement, la chirurgie est souvent indiquée pour des tumeurs bénignes ou de malignité réduite. Pour ces tumeurs, des exérèses pancréatiques permettent une survie prolongée. La chirurgie de la PC est désormais concurrencée par les techniques endoscopiques. Ces points justifient désormais une appréciation précise des résultats fonctionnels de la chirurgie pancréatique.
La DPC comporte l'exérèse de la tête du pancréas avec section de l'isthme, du duodénum, et de la partie basse de la voie biliaire principale, avec éventuellement la résection de la partie distale de l'estomac et du pylore. Le rétablissement de la continuité le plus utilisé consiste à anastomoser le jéjunum avec le pancréas, la voie biliaire, et l'estomac (fig. 1) ou le duodénum en cas de conservation du pylore (fig. 2).1 Il est également possible de rétablir la continuité pancréatico-digestive par une anastomose pancréatico-gastrique.1
Globalement, la DPC pour cancer est associée dans 65% à 80% des cas à un amaigrissement de cinq à dix kilos transitoire.2,3 Cet amaigrissement se corrige partiellement au-delà d'un an, et se stabilise environ dans 5% des cas sous le poids de forme sauf en cas de récidive tumorale.4 En revanche, après DPC pour PC, l'évolution pondérale est le plus souvent ascendante.5 Cette différence est liée au contexte (tumeur peu évoluée chez un malade ayant peu maigri en cas de cancer, et douleurs pancréatiques invalidantes ayant restreint les ingesta en cas de PC) et à la qualité du parenchyme corporéocaudal (pancréas sain ou pancréatite d'amont en cas de tumeur, pancréatite avec atrophie du parenchyme exocrine, voire endocrine en cas de PC).
La résection pancréatique d'une DPC représente 30% à 40% du volume parenchymateux et un pourcentage plus faible d'îlots de Langherans qui sont préférentiellement localisés à gauche.6 En l'absence de diabète préopératoire, le diabète ne complique que 0% à 7% des DPC pour cancer.2,7,8 Un diabète préexistant au cancer est souvent aggravé8 et certains diabètes récents, liés au cancer, peuvent disparaître après DPC.9
Après DPC pour PC, la détérioration de la fonction endocrine ne semble pas différente de celle liée à l'évolution spontanée de la maladie.10 Le plus souvent, le diabète apparaît plus d'un an après la DPC et, globalement, 20% à 30% des malades sont diabétiques trois à cinq ans après la DPC.11,12,13 Chez les malades ayant une PC alcoolique, un diabète semble associé à une moins bonne survie à distance imputable aux complications du diabète et aux difficultés de son équilibration sur ce terrain.13
L'insuffisance pancréatique exocrine est fréquente après DPC, même en cas de parenchyme sain. Après DPC pour cancer, 30% à 60% des malades doivent prendre des enzymes pancréatiques pour corriger une stéatorrhée clinique.2,4,7,8 Les mécanismes pouvant expliquer une insuffisance exocrine sur pancréas sain sont : a) une sténose de l'anastomose pancréatico-digestive ; b) des anomalies fonctionnelles de la sécrétion (absence de stimulation par les repas en raison de la suppression du cadre duodénal7 ; c) en cas d'anastomose pancréatico-gastrique, une inactivation des enzymes par pH gastrique ; et d) une diminution des capacités sécrétoires du pancréas s'il a été irradié.14 Le type d'anastomose pancréatico-digestive ne semble pas clairement influencer la fonction exocrine après DPC pour cancer.15 De plus, le pourcentage de malades devant prendre des extraits pancréatiques plus d'un an après l'intervention semble équivalent quel que soit le type d'anastomose.2,4,7,8 Après DPC pour PC, environ 75% des malades doivent prendre des extraits pancréatiques contre 40% à 50% en préopératoire.11,16
Les séquelles de la résection gastro-duodénale sont : le syndrome du petit estomac, l'ulcère anastomotique gastrojéjunal, le dumping syndrome et le retard de la vidange gastrique. L'incidence du syndrome du petit estomac est mal connue, probablement du fait de la variabilité de l'étendue de la résection gastrique (antrectomie, gastrectomie distale de 50% ou de 66%). L'incidence de l'ulcère anastomotique varie de 5% à 20%.8,17 L'ulcère peut se manifester par une hémorragie ou une perforation. La prescription systématique d'un traitement antisécrétoire dans les mois suivant la DPC diminue le risque d'ulcère et évite les inconvénients d'une vagotomie. L'incidence du dumping syndrome après DPC avec gastrectomie distale est compris entre 3% et 10%.3,18,19 Un retard de vidange gastrique survient de façon transitoire chez environ 15% des malades ayant eu une DPC avec gastrectomie distale.19,20 Ce trouble fonctionnel, de physiopathologie mal connue, justifie un traitement symptomatique (incluant des prokinétiques) qui peut se prolonger plusieurs semaines.19,20
La conservation du pylore dans la DPC a été proposée pour éviter les conséquences de la résection gastrique. La continuité digestive est rétablie par une anastomose duodéno-jéjunale. L'intérêt de la conservation du pylore sur le résultat fonctionnel de la DPC est controversé.19,20,21,22 Certains centres utilisent exclusivement cette technique quelle que soit l'indication (maladie bénigne ou maligne).23 Pour d'autres, il n'existait pas de différence entre les deux techniques en termes d'évolution pondérale postopératoire.19,20 Cette variante se caractérise par la persistance du risque d'ulcère anastomotique duodéno-jéjunal et l'augmentation du risque précoce de trouble de la vidange gastrique. L'incidence d'un ulcère anastomotique varie entre 4% à 19%, ce qui justifie une prophylaxie par antisécrétoires.19,20,24 Un trouble de la vidange gastrique survient chez environ un tiers des malades.8,19,20,22,24 Par rapport à la DPC avec gastrectomie distale, la conservation du pylore augmente la durée de l'aspiration gastrique postopératoire20,21 ou la fréquence des symptômes digestifs postopératoires.19
Une angiocholite postopératoire complique environ 5% des DPC.23,25 A distance, la survenue d'une angiocholite témoigne en général d'une récidive néoplasique sur l'anastomose ou sur l'anse jéjunale en aval, ou d'une sténose anastomotique bénigne.
La PG comporte une résection parenchymateuse d'environ 75%.6 Si le parenchyme pancréatique est sain, le risque de diabète à distance, évalué chez des malades ayant une PG pour cancer, traumatisme ou don intrafamilial pour transplantation, est compris entre 2% et 10% et augmente avec l'étendue de la pancréatectomie.26,27,28 Le risque de diabète est augmenté après PG pour PC.10,11,16 Dans une série récente, la probabilité à cinq ans d'observer un diabète était de 57% après PG contre 36% chez les malades non opérés.10 Le risque de diabète doit donc être pris en compte lors de l'indication d'une PG pour PC. Le risque d'insuffisance exocrine après PG sur pancréas sain semble négligeable.28,29,30 Dans la PC, la PG majore modérément le risque d'insuffisance pancréatique exocrine.11,16
Cette intervention est indiquée en cas de tumeur pan-pancréatique ou très exceptionnellement chez des malades souffrant d'une PC avec des douleurs résistant à l'ensemble des traitements disponibles.31,32,33
La PT entraîne une insuffisance pancréatique endocrine et exocrine constante et totale. L'insuffisance pancréatique exocrine après PT nécessite la prise permanente d'extraits pancréatiques, au besoin à des doses élevées. Le diabète après PT se caractérise par sa difficulté d'équilibration avec des accidents hypoglycémiques parfois mortels y compris à distance de l'intervention.31,32,33 L'absence de sécrétion endogène de glucagon explique ce risque élevé d'hypoglycémies.
Les pancréatectomies céphaliques avec conservation duodénale sont indiquées dans la PC associée à des douleurs et des lésions céphaliques prédominantes (hypertrophie de la tête, calcifications localisées). La résection céphalique est subtotale et le pancréas gauche est drainé dans une anse jéjunale en Y.34 Ces interventions, proches de la DPC pour ses indications, ont un résultat fonctionnel qui paraît meilleur en particulier sur le plan de l'évolution pondérale.5 La conservation du circuit duodénal semble associée à une meilleure vidange gastrique qu'après DPC et la fonction endocrine est peu modifiée, probablement du fait de la faible quantité de parenchyme réséqué.
L'énucléation, qui consiste en l'exérèse à son contact d'une tumeur bien limitée, est essentiellement indiquée pour les tumeurs bénignes. Cette intervention n'emporte pas de parenchyme et n'entraîne pas de modification de la fonction pancréatique.
La pancréatectomie médiane emporte l'isthme et éventuellement la partie médiane du corps. La tranche pancréatique céphalique est suturée du côté céphalique et la tranche corporéale est anastomosée à une anse jéjunale ou à l'estomac. Cette intervention, indiquée pour des tumeurs bénignes non accessibles à une énucléation en raison de leur rapport étroit avec le Wirsung, entraîne un risque de diabète et d'insuffisance exocrine nécessitant des extraits pancréatiques inférieurs à 5%.35
La dérivation wirsungo-digestive est indiquée en cas de PC compliquée de douleurs et associée à une dilatation du canal de Wirsung. Elle consiste à réaliser une anastomose latérolatérale entre le canal de Wirsung et une anse jéjunale en Y.36,37,38 La résection parenchymateuse associée est nulle. Cette intervention n'entraîne ni amélioration ni détérioration de la fonction exocrine.16 La décompression du Wirsung éviterait la destruction progressive du parenchyme pancréatique liée aux phénomènes obstructifs et limiterait ainsi (ou du moins retarderait) le risque de diabète.10,38
Les dérivations kysto-digestives (dérivation kysto-gastrique, kysto-duodénale, et kysto-jéjunale) sont indiquées en cas de pseudokyste de plus de six centimètres, douloureux, ou compressif.39 Le viscère utilisé en règle générale est choisi du fait de sa proximité immédiate avec le pseudokyste. L'influence de ces dérivations sur la fonction endocrine et exocrine est probablement nulle.
Une dérivation gastro-jéjunale est indiquée en cas de sténose duodénale liée à un cancer inextirpable ou à une PC. Cette dérivation peut être indiquée à titre préventif dans les cancers de la tête du pancréas traités par dérivation bilio-digestive chirurgicale. Le montage le plus souvent utilisé est une gastro-jéjunostomie latérolatérale. Dans 2% à 20% des cas, la réalimentation postopératoire est différée au-delà de la reprise du transit intestinal en raison d'une gastroplégie se traduisant par des douleurs épigastriques postprandiales et des vomissements. Ce trouble, de physiopathologie mal connue, doit être traité par aspiration nasogastrique et prokinétiques, et disparaît en une à cinq semaines.40
Il s'agit de la résection des nerfs splanchniques qui, pour des raisons anatomiques, est le plus souvent faite au niveau du médiastin inférieur plutôt que dans l'abdomen. L'abord le plus utilisé est la thoracoscopie.41 La splanchnicectomie n'est pratiquement plus indiquée dans les cancers inextirpables du pancréas pour lesquels les douleurs sont le plus souvent bien contrôlées par les antalgiques majeurs, la radiothérapie et/ou la chimiothérapie. Dans la pancréatite chronique, elle peut être indiquée quand une dérivation est impossible (absence de pseudokyste ou de dilatation du canal de Wirsung) et une exérèse est non indiquée (lésions diffuses) ou risquée (mauvais terrain) ; la splanchnicectomie permet alors une suppression des opiacés chez environ deux tiers des malades. Toutefois, l'effet antalgique est transitoire et environ la moitié des malades ont des douleurs deux ans après l'intervention.41
La splanchnicectomie, ainsi que les pancréatectomies avec lymphadénectomie étendue entraînant des lésions des branches du plexus clique, entraînent une diarrhée motrice dont le traitement peut nécessiter la prise de morphiniques.42