ça ne vous est jamais arrivé à vous : vous entendre dire des choses au lit du malade ou à la consultation médicale qui vous paraissent par trop «convenues» ? Des propos qui, alors même qu'ils sont parfaitement appropriés, qu'ils sont même placés là comme le fruit d'expériences antérieures fécondes, apparaissent néanmoins soudainement comme des monstres de «généralités», des choses «téléphonées», «surfaites» ?Pour ma part, je dois bien avouer que c'est un sentiment assez fréquent. Dans ces moments, une sorte de dérangement intime indéfinissable me parcourt alors le corps entier. Ces locutions peuvent évidemment survenir durant la phase sociale du début de l'entretien clinique, mais d'autres variantes, plus intéressantes, existent encore. A l'examen, leur nombre semble même d'ailleurs presque infini : «je vois combien c'est dur pour vous», «chacun, à votre place, pourrait éprouver ceci». En y réfléchissant et sans douter de leur sincérité, ces phrases sont évidemment là pour faciliter la mise en relation intersubjective, pour remplir des silences, ou encore pour encourager la poursuite du discours. Mais pourquoi ce malaise et comment se situer par rapport à ces usages ?Pas tellement de réponses dans la littérature médicale «evidenced based», si l'on excepte les travaux démontrant l'efficacité des techniques relationnelles basées sur la structuration de l'entretien clinique, sur l'empathie ou sur la légitimation. Et de toute façon, sorti de ces études, qu'est- ce que ça veut dire pour MOI de ressentir une chose pareille en les disant ? Qu'est-ce que ça veut dire pour MOI de ressentir si brutalement ces répétitions ? Qu'est-ce que ça veut dire pour MOI de vivre comme un mode d'allégeance tellement dérangeant un énoncé si directement emprunté à l'appartenance médicale à laquelle je me sens pourtant solidement attaché ? Que dois-je penser de ces impressions parfois tellement «paralysantes» qu'elles en entravent la relation ? Souvent interpellé sur ces thèmes par des collègues au lit du patient ou par des stagiaires à l'occasion de divers séminaires, un «je ne sais quoi» m'a souvent empêché de détailler plus complètement les raisons pour lesquelles il me semble à la fois utile mais si malaisé de faire appel à des modes d'expression aussi peu originaux.Perturbé par ce questionnement depuis quelques années, c'est pourtant la première fois que je me risque à écrire sur ces modes d'échange : redoutant sans doute d'avoir trop recours à d'autres généralités pour commenter quelque chose de si fréquent ! Aujourd'hui cependant, il me semble que je suis à bout touchant de me faire une opinion. Aujourd'hui, je crois avoir trouvé une réponse, MA réponse. Peut-être aussi une réponse possible à celles et ceux qui s'interrogent sur ce sujet : et s'il n'y avait justement pas de réponse à ce malaise ? Et si ce dernier était justement là pour que le soignant s'entende dire et se souvienne qu'il est lui aussi, comme son patient, porteur d'énigmes irrésolues et empêtré dans d'innombrables contradictions internes ?A mon avis, cette question peut être abordée comme un autre aspect d'un paradoxe de notre profession : s'occuper quotidiennement de situations si singulières d'une part, et, d'autre part, avoir recours si fréquemment à des concepts généraux, à des diagnostics généralisants,
ou à des trucs «tout faits». Aborder le problème de cette manière, c'est s'autoriser à déchiffrer en soi des positions nouvelles. Comme interniste-généraliste (et qu'est-ce vraiment d'autre que la médecine dite «générale» ?), se sentir gêné par des «phrases toutes cuites», c'est ressentir la difficulté à accommoder l'unicité de chacune de nos rencontres avec les principes généraux dans lesquels on souhaite malgré tout toujours les faire entrer. Mais pour un soignant ou un stagiaire médecin, être gêné de s'écouter dire ce qui lui a été maintes fois répété lors de séminaires de «techniques d'entretien», c'est aussi devoir reconnaître que l'on ne devrait jamais accepter d'en rester là que ce ne sont là que des techniques de communication provisoires, forcément imparfaites, qu'il faudra encore en faire davantage par la suite, innover sans cesse, bref, oser s'extraire du général pour se coltiner le particulier et ça, c'est souvent le plus épuisant !