Résumé
Au moment de rédiger cet éditorial devenu traditionnel et devant la diversité des articles présentés dans ce numéro annuel comme de l'immensité du champ de la psychiatrie, nous ne pouvons que nous interroger encore une fois sur la finalité de la formation en psychiatrie.Faut-il valoriser une formation «généraliste» ou, au contraire, sur une base «généraliste», encourager une ou plusieurs spécialisations ? André Gide n'a-t-il pas écrit : «C'est en étant le plus particulier qu'on sert le mieux l'intérêt le plus général» (Incidences, 1924) ?Bien d'autres ont tenté de répondre à cette question et il nous a paru utile de présenter aux lecteurs de Médecine et Hygiène la manière dont l'illustre Evolution Psychiatrique, une revue fondée en 1925, a présenté récemment ce qu'elle qualifie d'«avancées scientifiques en psychiatrie», lesquelles devraient donc logiquement être répercutées dans les programmes de formation.Tour à tour sont abordés les thèmes suivants : sciences cognitives et psychiatrie, schizophrénie et génétique, développement cérébral en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, approches par l'imagerie, stimulation magnétique transcrânienne, efficacité et efficience des psychotropes et enfin, utilisation des antipsychotiques à dose élevée. La dimension psychothérapie est notoirement absente mais rappelons que les thèmes de ce numéro concernent la psychiatrie.Ces différents articles, remarquablement documentés, sont précédés par la traduction française de deux travaux, désormais incontournables, d'Erik R. Kandel.1,2 Kandel a, certes, un parcours assez extraordinaire. Psychiatre formé également à la psychanalyse, il s'est tourné par la suite vers l'étude neurobiologique de la mémoire, considérant cette dernière comme l'élément central d'une compréhension «plus profonde de l'esprit». Ces deux travaux, «A new intellectual framework for psychiatry»1 et «Biology and the future of psychoanalysis : a new intellectual framework for psychiatry revisited»2 ont été publiés dans l'American Journal of Psychiatry (la traduction française est de Jean-Michel Thurin qui en propose une utile présentation).3Kandel, qui, depuis, a reçu le prix Nobel de médecine, plaide pour un rapprochement entre biologie et psychiatrie, incluant la psychanalyse et propose une réflexion sur «le comment», sur les rapports entre cerveau, esprit, pensée, mémoire, comportement, soulignant les liens réciproques dynamiques qu'entretiennent l'environnement et les structures cérébrales. Il défend avant tout la recherche et un renouvellement de la formation des psychiatres et des psychanalystes en insistant sur la place que devraient y tenir les neurosciences. Ce n'est toutefois pas seulement la formation des psychiatres, des psychologues et des psychanalystes qui devrait être repensée, mais tout autant celle des biologistes.Ces réflexions aident à mieux comprendre où va la psychiatrie contemporaine. Kandel propose un modèle d'intégration qui permet, de façon stimulante et parfois dérangeante, de dépasser les oppositions traditionnelles et les anciens clivages qui ont mené à des visions réductrices et simplistes de la réalité de la psychiatrie.«Quand un thérapeute parle à un patient et que le patient écoute, le thérapeute n'est pas seulement en train d'avoir un contact avec ses yeux et sa voix, mais l'action de la machinerie neuronale dans le cerveau du thérapeute a un effet indirect, et, on l'espère, un effet à long terme sur la machinerie neuronale du cerveau du patient ; et, très probablement, cette action est réciproque.»Cette affirmation n'est pas seulement théorique : elle s'appuie sur les résultats de nombreuses recherches. Mentionnons les travaux de Henn,4 parmi d'autres, qui ont mis en évidence qu'au niveau neurobiologique, les approches psychothérapeutiques et les approches biologiques pourraient être associées à des effets similaires, par exemple sur le système cortico-striato-thalamique impliqué dans les symptômes des troubles obsessionnels compulsifs. En effet, suite à un traitement réussi aussi bien avec un antidépresseur de type inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine qu'avec une approche psychothérapique, on observe une réduction substantielle de l'activité dans la tête du noyau caudé droit, mesurée par le taux de métabolisme du glucose.In fine, une rémission symptomatique produite par psychothérapie ou pharmacothérapie induirait des modifications semblables dans l'expression des gènes, eux-mêmes responsables de changements structuraux dans le cerveau.Dans le deuxième travail, consacré au rapport entre la biologie et la psychanalyse, Kandel se fait l'avocat d'une nouvelle collaboration de recherche entre la psychanalyse, considérée comme la référence majeure de la psychiatrie, et les neurosciences. Il écrit par exemple :«Il est intriguant de penser que, dans la mesure où la psychanalyse produit avec succès des changements persistants dans les attitudes, les habitudes et les comportements conscients et inconscients, elle le fait en produisant des modifications dans l'expression génétique qui produisent des changements structuraux dans le cerveau. Nous sommes confrontés à l'intéressante possibilité que l'amélioration des techniques d'imagerie cérébrale puisse être utile non seulement pour le diagnostic des différentes maladies névrotiques, mais aussi pour suivre visuellement le progrès de la psychothérapie.»Certains psychanalystes, engagés dans la recherche tel Peter Fonagy5 en Angleterre, contribuent utilement au rapprochement entre psychanalyse et sciences médicale et sociale et reprennent les propositions énoncées par Kandel. Au travers de questions essentielles telles que le rôle des processus biologiques sur la vie mentale, l'influence de l'environnement et des facteurs sociaux sur les structures biologiques du cerveau, l'action des interventions psychologiques, y compris la psychanalyse, sur le fonctionnement et la structure des circuits neuronaux, ils contribuent à la construction d'une véritable science de l'esprit. L'importance théorique et pratique de ces données nouvelles concerne à notre avis le quotidien de tout clinicien.
Contact auteur(s)
François Ferrero
Chef du département de psychiatrie
Hôpitaux universitaires de Genève
et François Borgeat
Chef du service de psychiatrie générale et spécialisée
Clinique psychiatrique de Prilly-Lausanne