Edito: Les sciences humaines sont aussi des sciences médicales de base !
Hans Stalder
Rev Med Suisse
2002; volume -2.
22442
Résumé
Le bon médecin d'aujourd'hui se doit de prendre ses décisions en appliquant l'Evidence-based medicine. La médecine basée sur les preuves se compose de deux éléments scientifiques. Le premier est biologique : les maladies sont expliquées par une approche rationnelle, déductive et analytique. Grâce à une recherche poussée, cette approche va de plus en plus dans les détails et vise à expliquer les maladies par un dysfonctionnement moléculaire et donc à les réparer soit en remplaçant la molécule en défaut, soit en manipulant sa synthèse par le génie génétique, ou encore simplement en donnant une autre molécule comme antidote. L'autre élément de l'Evidence-based medicine est l'épidémiologie. L'approche dite «populationnelle» permet d'observer et de suivre des sujets présentant le même défaut biologique, et de comparer différents traitements. Cette double approche biologique et épidémiologique a permis à la médecine d'énormes progrès de compréhension, de diagnostic et de thérapeutique et d'écarter de multiples traitements inutiles qui étaient basés uniquement sur des croyances.Cependant, il est connu depuis longtemps que des facteurs sociaux, psychologiques et culturels influencent autant si ce n'est davantage l'apparition et l'évolution des maladies. Et pourtant, les sciences sociales et culturelles ne sont guère enseignées dans les facultés de médecine et la recherche dans ces domaines a été largement ignorée. Une des causes en est peut-être la pression économique des sciences biologiques par l'intermédiaire de l'industrie pharmaceutique. Toujours est-il qu'encore aujourd'hui, nous manquons toujours cruellement d'instruments pour analyser l'influence des facteurs non biologiques afin de les appliquer en clinique.Cependant, même l'adjonction et l'acquisition des sciences sociales à la biologie et l'épidémiologie ne permettra pas, même au plus érudit, de devenir un bon médecin. Celui-ci sera toujours face à un patient qui, en tant qu'individu, donc par définition indivisible, ne pourra jamais se comprendre uniquement par l'addition de multiples cheminements biologiques et psychosociaux, mais qui doit être compris comme un être unique, complexe, avec sa propre vie et son propre vécu. Cette rencontre est doublement unique parce que le médecin, en tant qu'individu, est lui aussi un être indivisible et complexe, sortant souvent d'un autre milieu socioculturel que son patient. Pour comprendre à la fois son vis-à-vis se présentant avec sa plainte et son contexte social et pour ne pas succomber soit au désespoir de ne pas pouvoir aller dans tous les détails, soit à une compassion exagérée face à des issues souvent incontournables comme l'ignorance, la pauvreté ou encore la souffrance et la mort, le médecin doit avoir des ressources personnelles autres que celles apportées par les sciences mentionnées. A notre époque de changements rapides, nous n'avons peut-être pas assez réfléchi au développement personnel du médecin et c'est peut-être là que les Medical humanities pourraient compléter les autres disciplines : la philosophie, pour réfléchir différemment l'art, pour s'exprimer différemment l'histoire, pour voir différemment pourraient être des atouts pour le médecin afin qu'il soit et reste tel que la population le souhaite : un humaniste.Ce numéro est consacré aux sciences humaines en médecine : le droit médical, l'anthropologie, l'éthique, la pédagogie médicales et, enfin, les Medical humanities sont indispensables et complémentaires aux sciences biologiques, et doivent aussi être considérées comme sciences médicales de base.
Contact auteur(s)
Hans Stalder
Chef du Département de médecine communautaire
Hôpital cantonal universitaire
Genève