Dans les pays industrialisés, le cancer de la prostate est le cancer masculin le plus fréquent ainsi qu'une cause majeure de mortalité par cancer. Aux Etats-Unis, ce cancer devrait faire plus de 30 000 décès et 189 000 nouveaux cas devraient être diagnostiqués dans le pays en 2002, si l'on en croit la Société américaine d'oncologie clinique. Deux récentes publications du New England Journal of Medicine relancent la controverse sur la meilleure attitude à adopter face à un cancer localisé de la prostate. On sait que le traitement de référence de ce cancer localisé est la prostatectomie radicale et que celle-ci consiste à réaliser l'ablation de la prostate et des vésicules séminales avec rétablissement de la continuité urinaire par anastomose de la vessie à l'urètre. Son objectif principal est clair : obtenir un contrôle carcinologique de la maladie sans que l'on néglige, pour autant, le retentissement fonctionnel (incontinence urinaire, impuissance sexuelle) du geste chirurgical.La première étude, menée en Suède, sur un groupe de 695 hommes touchés par ce cancer dont 347 ont subi une prostatectomie radicale tandis que les 348 autres étaient suivis médicalement sans opération chirurgicale. Les participants ont été suivis pendant une durée moyenne de 6,2 années ; on a enregistré un taux de décès de 8,9% (31 personnes) au sein du groupe qui n'avait pas subi d'intervention chirurgicale, et de seulement 4,6% (16 personnes) au sein du groupe où l'ablation avait été pratiquée. Que conclure de tels chiffres ? Faut-il juger la différence comme étant de nature à plaider en faveur de l'intervention dont on connaît le caractère mutilant ou, au contraire, comme un élément de nature à envisager l'abstention thérapeutique ? Pour leur part, les auteurs reconnaissent que le bénéfice de la chirurgie prostatique n'est pas totalement clair.«Il y a eu 37 morts d'autres causes dans le groupe de prostatectomie radicale et 31 morts dans le groupe surveillé passivement, écrit le groupe de chercheurs dirigé par le Dr Lars Holmberg. Cette différence pourrait être due au hasard ou à des effets néfastes à long terme de la prostatectomie.» Ils évoquent également la perte de qualité de vie potentielle de ceux qui optent pour la chirurgie. Ajoutons que cette étude ne compare pas l'effet de la chirurgie avec les résultats de la radiothérapie, largement utilisée contre ce type de cancer. Une deuxième publication, suédoise elle aussi, a cherché à comparer les symptômes et la qualité de vie (mesurée par auto-évaluation) chez les hommes atteints de cancer prostatique localisé et traités par prostatectomie radicale et ceux du groupe abstention thérapeutique.«La dysfonction érectile (80% contre 21%) et les fuites urinaires (49% contre 21%) étaient plus fréquemment observées après prostatectomie radicale, alors qu'un syndrome obstructif (28% contre 44% de jet urinaire faible) était moins fréquent, peut-on lire en conclusion de cette étude. La fonction intestinale, la prévalence de la dépression, le bien-être et la qualité de vie subjective étaient similaires dans les deux groupes.» En d'autres termes, si l'on peut mettre en évidence de manière objective les conséquences de l'acte chirurgical, le choix de l'une ou l'autre option semble ne pas avoir de réelle influence sur le bien-être ou la qualité de vie subjective après un suivi moyen de quatre ans.Peut-être faut-il rappeler qu'aujourd'hui le développement de l'utilisation du PSA (malgré l'absence de dépistage systématique) permet de découvrir des tumeurs à un stade plus précoce, permettant une amélioration des taux de guérison. Pour les spécialistes, on peut tabler en moyenne sur une survie sans progression biologique dans 85% des cas à cinq ans et 75% des cas à dix ans. D'autre part, en présence d'une réélévation du taux de PSA, un traitement complémentaire peut être envisagé, le plus souvent sous forme de radiothérapie ainsi que, plus rarement, sous forme d'hormonothérapie. Pour que l'on puisse conclure de manière plus fiable, le recul des études suédoises n'apparaît pas encore assez important. Attendre donc !«Le traitement du cancer de la prostate localisé a profondément changé. Outre la chirurgie conventionnelle ouverte, le développement en France depuis cinq ans de la chirurgie laparoscopique a minimisé la morbidité de l'acte, favorisant une récupération précoce des malades en réduisant les risques fonctionnels d'incontinence et d'impuissance. Sur le plan carcinologique, la chirurgie clioscopique peut être considérée comme sûre : aucune greffe sur site de trocart ou métastase n'a été relevée après prostatectomie radicale, résume pour sa part le Pr Guy Vallancien (Institut mutualiste Montsouris, Paris). Les spécialistes d'urologie possèdent aujourd'hui des outils diagnostiques et un arsenal thérapeutique de qualité qui permettent de proposer aux malades, une fois bien informés des avantages et inconvénients de la démarche diagnostique et des traitements, de faire leur choix, la meilleure tactique, en sachant que la décision oscille en permanence entre privilégier la durée de vie ou sa qualité, ce qui reste une affaire personnelle propre à chaque homme».