La vasoplégie est caractéristique du choc septique mais peut se rencontrer dans de nombreuses situations de crise énergétique tissulaire, comme les chocs prolongés d'origine cardiogène ou hypovolémique, et les pathologies où il y a hypoxie tissulaire sévère. Elle se caractérise par une vasodilatation artériolaire importante et une résistance artérielle aux catécholamines vasopressives. La vasodilatation artériolaire s'explique par : 1) une production locale importante d'oxyde nitrique ; 2) un déficit en vasopressine circulante secondaire à un épuisement des stocks hypophysaires et 3) une dysfonction du système nerveux autonome. La résistance artérielle aux catécholamines lors de choc vasoplégique a pour origine une hyperpolarisation des cellules vasculaires musculaires lisses, due à l'activation de canaux potassiques sensibles à la baisse d'ATP ainsi qu'un déficit relatif en cortisol plasmatique et une résistance tissulaire à cette hormone.
Un déficit de constriction de la musculature vasculaire des artérioles entraîne une hypotension artérielle qui peut être sévère, une condition connue sous le terme de choc vasoplégique. Il peut être stigmatisé par une «augmentation du contenant par rapport au contenu». La tension artérielle étant essentiellement générée par le tonus artériolaire, une faillite de ce dernier entraîne classiquement une hypotension artérielle systolo-diastolique. Le choc vasoplégique est invariablement accompagné par une résistance des vaisseaux à l'effet vasoconstricteur des catécholamines et de l'angiotensine II. La conséquence évidente du choc vasoplégique est l'hypoperfusion des tissus et la dysfonction d'organe multiple. Il s'ensuit, dans les formes les plus graves, une insuffisance rénale, hépatique, pancréatique, une ischémie du tube digestif, des troubles de l'état de conscience pouvant aller jusqu'au coma et une coagulopathie de consommation. Une réanimation hémodynamique rapide et protocolée qui vise à rétablir une perfusion adéquate des tissus permet de réduire la mortalité de patients en choc septique.1
Le choc septique est fréquemment cité comme le prototype de choc vasoplégique et représente de loin la cause la plus fréquente de ce type de choc. Bien que la défaillance du tonus artériolaire y soit pour beaucoup dans la genèse d'un choc d'origine infectieux, un certain degré d'hypovolémie (fuite plasmatique extravasculaire) et de défaillance cardiaque («cardioplégie septique») y participent également. Il n'est d'ailleurs pas rare d'observer un choc septique «hypodynamique» à l'admission, qui ne révélera son caractère vasoplégique qu'après réanimation volémique.2 Dans les autres causes de choc vasoplégique, il faut noter les situations dans lesquelles il y a un défaut d'oxygénation des tissus, comme les situations d'ischémie ou d'ischémie/reperfusion systémiques prolongées. Il n'est en effet pas rare d'observer une vasoplégie importante après un choc hémorragique ou un choc cardiogène malgré une réanimation bien conduite, un arrêt cardio-respiratoire, ou dans les suites d'une intervention chirurgicale avec circulation extra-corporelle. A noter finalement des causes toxiques plus rares entraînant une hypoxie tissulaire sévère et une vasoplégie, comme les intoxications au monoxyde de carbone ou au cyanure.3 Le traitement «symptomatique» du choc vasoplégique associe le remplissage vasculaire à la perfusion de catécholamines vasoconstrictrices (stimulant les récepteurs vasculaires alpha-adrénergiques) comme la noradrénaline, la néosynéphrine, l'adrénaline ou la dopamine.
L'hypotension artérielle systémique, générée par une brusque chute du tonus artériolaire ainsi que la diminution de la perfusion des organes, est ressentie par l'organisme comme l'une des situations de stress des plus intenses. Des mécanismes contre-régulateurs sont mis en route très rapidement et l'on observe dans toutes les formes de choc vasoplégique une importante sécrétion de catécholamines endogènes, de cortisol, de vasopressine, ainsi qu'une activation du système rénine-angiotensine. Toutefois ces mécanismes s'avèrent insuffisants pour restaurer une situation hémodynamique adéquate, en grande partie à cause de la résistance vasculaire aux amines observée dans ces conditions. Les médiateurs proximaux de la vasoplégie, notamment d'origine septique, restent à découvrir. Il a toutefois été démontré in vitro que le plasma de malades en choc septique avait un pouvoir vasodilatateur lorsqu'il était mis en contact avec des rondelles d'aortes animales.4 Les mêmes expérimentateurs ont aussi pu observer une vasodilatation des aortes en présence de cytokines inflammatoires comme le tumor necrosis factor-alpha.5 Bien qu'il soit tentant d'incriminer la réponse inflammatoire comme le «générateur» de la vasodilatation artériolaire et donc du choc vasoplégique, la démonstration formelle de son implication n'a toujours pas été faite. Les mécanismes physiopathologiques à la base des phénomènes de vasoplégie et de résistance aux catécholamines ont par contre connu des développements récents.3 La découverte de l'oxyde nitrique (nitric oxide, NO) et de son rôle dans le tonus vasculaire en a fait très rapidement le candidat-médiateur numéro 1 du choc vasoplégique. L'épuisement rapide des stocks hypophysaires de vasopressine6 ainsi que la dysfonction du système nerveux autonome7 et notamment parasympathique,8 joueraient également un rôle dans la genèse et l'entretien de l'état de choc. Le phénomène de résistance aux catécholamines serait explicable par l'activation de canaux potassiques sensibles à l'acidose ou à la baisse de l'ATP intracellulaire, présents à la surface des cellules musculaires lisses vasculaires,3 ainsi que par le déficit relatif ou fonctionnel en corticoïdes circulants.9 Ces différents points vont être repris un à un ci-dessous.
L'identification du facteur relaxant dérivé de l'endothélium vasculaire (endothelial-derived relaxing factor, EDRF) comme étant la petite molécule d'oxyde nitrique (NO) a permis au chercheur Robert F. Furchgott d'obtenir le Prix Nobel en 1998, un prix qu'il a partagé avec L. J. Ignarro et L. Murad pour leurs travaux sur la cible moléculaire du NO, l'enzyme guanylate cyclase et les nitrates comme source thérapeutique de NO (http://www.nobel.se/medicine/ laureates/1998/illpres/). Des travaux importants des groupes de Palmer et Moncada ont également permis d'identifier l'arginine comme la source moléculaire du NO et la nitric oxide synthase comme l'enzyme catalysant la réaction produisant le NO.10,11 Le tonus vasculaire artériolaire dépend d'un équilibre délicat entre vasoconstricteurs (catécholamines, angiotensine, thromboxane, etc.) et vasodilatateurs (prostacycline, peptides atriaux natriurétiques, adénosine, NO, etc.). La modification du tonus vasculaire résulte donc d'un déséquilibre entre ces deux forces. En situation physiologique, de petites quantités de NO sont produites par les cellules endothéliales de façon constitutive et participe au maintien du vaisseau en position «moyenne». En cas de choc vasoplégique, notamment d'origine septique, les cellules endothéliales et musculaires lisses de la paroi artériolaire, ainsi que certaines cellules périvasculaires produisent du NO en grande quantité à l'aide d'un système enzymatique inductible. Cette production de NO en excès est à la base de l'importante diminution du tonus artériolaire observée dans le choc vasoplégique. Ce système est typiquement induit par des stimuli pro-inflammatoires comme ceux rencontrés au cours du choc septique ou lors de phénomènes d'ischémie/reperfusion. Le mécanisme par lequel le NO exerce son pouvoir vasodilatateur passe par une cascade d'activation enzymatique au sein de la cellule vasculaire musculaire lisse. La cible première du NO est l'enzyme guanylate cyclase qui va catalyser la génération de GMP cyclique et induire l'activation de la phosphatase de la chaîne légère de la myosine. Cette enzyme va déphosphoryler la myosine, permettre le relâchement de l'appareil contractile de la cellule musculaire lisse et, par là, entraîner la vasodilatation. Des preuves de l'implication centrale de la NO synthase inductible nous ont été apportées par les études sur des animaux transgéniques. En effet, les souris déficientes dans ce gène résistent particulièrement bien au choc toxi-infectieux et ne présentent notamment que très peu d'hypotension artérielle.12 L'administration d'inhibiteurs des enzymes nitric oxide synthase en expérimentation animale, mais aussi chez les patients en choc septique, permet de restaurer des valeurs normales de pression artérielle en cas de choc septique. Malheureusement, la non-spécificité de ces agents pour la forme enzymatique inductible est grevée d'une hypoperfusion délétère des organes cibles par excès de vasoconstriction et est associée à une surmortalité.
Longtemps resté non reconnu en raison de son absence d'activité en situation physiologique, le canal potassique sensible à l'ATP (canal KATP) semble jouer un rôle important dans le phénomène de réponse vasoconstrictrice aux catécholamines et à l'angiotensine II.3 La stimulation de la cellule vasculaire musculaire lisse par un agoniste alpha-adrénergique, par exemple, entraîne une entrée massive de calcium à l'intérieur de la cellule, qui a pour effet de stimuler des enzymes phosphorylant la myosine et donc déclenche la contraction de la cellule. En situation de crise énergétique comme dans le choc septique ou l'ischémie tissulaire, on observe une déplétion des stocks intracellulaires d'ATP et une acidose lactique en raison de la mise en place de voies métaboliques anaérobiques. Ces deux stimuli activent l'ouverture des canaux KATP, habituellement fermés, qui ont pour effet de laisser échapper du potassium dans l'espace péricellulaire. Ceci entraîne une hyperpolarisation de la cellule, une fermeture des canaux calciques et bloque l'effet vasoconstricteur des amines. C'est ainsi que l'on explique actuellement le rôle du canal KATP dans le phénomène de résistance aux catécholamines observé au cours du choc vasoplégique.3 L'administration expérimentale d'agents pharmacologiques inhibant l'ouverture des KATP, comme les sulfonylurées par exemple, a pour effet d'abolir ce phénomène de résistance aux catécholamines.
La vasopressine en conditions et à doses physiologiques est une hormone hypophysaire impliquée dans la régulation fine de la réabsorption rénale d'eau. Sa sécrétion est régulée par des afférences provenant d'osmo- et de baro-récepteurs. En cas de choc hémodynamique avec baisse importante de la pression artérielle, la stimulation baro-réflexe est maximale et les taux plasmatiques de vasopressine assez élevés pour que la vasopressine exerce un rôle vasoconstricteur contre-régulateur, bénéfique dans la phase initiale du choc. Il a d'ailleurs été démontré que les animaux supportaient très mal le choc lorsqu'on bloquait la vasopressine. La prolongation du choc est associée à une baisse des taux plasmatiques de vasopressine, probablement par épuisement des stocks hypophysaires.13,14 comme il a pu être démontré expérimentalement dans des modèles de choc hémorragique chez le chien.3 L'administration exogène de vasopressine dans cette phase du choc est associée à une réponse vasoconstrictrice importante, soulignant certainement le déficit de cette hormone.15 Un point intéressant est que, contrairement aux amines, il ne semble pas y avoir une perte de sensibilité vasculaire à la vasopressine,3 bien que ceci soit contesté par certains auteurs.16 De plus, la vasopressine semble inactiver les canaux KATP et donc restaure en quelque sorte la sensibilité vasculaire aux catécholamines. L'utilité de la vasopressine et de ses dérivés pharmacologiques dans le traitement de patients avec choc vasoplégique est actuellement en cours d'investigation.17,18
Comme indiqué ci-dessus, le choc hémodynamique, notamment vasoplégique, et la dysfonction d'organe qu'il entraîne sont à l'origine d'une des réponses systémique de stress les plus importantes. L'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) est sollicité de façon majeure dans les états de choc. Il en résulte une sécrétion surrénalienne importante de cortisol et la règle est plutôt de mesurer des taux élevés de cortisol plasmatiques dans ces situations. Toutefois, deux phénomènes font évoquer une insuffisance surrénalienne fonctionnelle chez ces malades : 1) un épuisement surrénalien avec une impossibilité de répondre (suffisamment) à une stimulation exogène par l'ACTH et 2) une résistance périphérique au cortisol.9 Ces troubles endocriniens fonctionnels sont d'autant plus importants que le choc est prolongé et sévère. Un petit pourcentage de malades en choc septique a même des taux indosables de cortisol circulant (insuffisance surrénalienne absolue). Il a été démontré dans quelques études cliniques récentes que l'administration intraveineuse de relativement petites doses d'hydrocortisone par voie intraveineuse (200 à 300 mg/j) à des malades profondément choqués permettait une amélioration de leur état hémodynamique, avec une augmentation des résistances artérielles systémiques et une restauration de la sensibilité artérielle aux catécholamines.19 Dans une étude multicentrique française portant sur 300 malades en choc septique sévère, plus des trois quarts de la population étudiée présentaient une insuffisance surrénalienne fonctionnelle (non-réponse ou réponse insuffisante au test à l'ACTH) voire dans quelques cas, une insuffisance absolue.20 La substitution cortisonique (200 mg/j d'hydrocortisone) associée à des minéralocorticoïdes (50 mg de fludrocortisone) a permis dans cette étude de diminuer significativement la mortalité des patients non-répondeurs à un test à l'ACTH (53% dans le groupe traité contre 63% dans le groupe placebo, p = 0,023). L'effet principal des stéroïdes dans cette étude, comme dans d'autres, était un «déchoquage» et un sevrage des amines vasopressives plus rapide dans le groupe traité.20 Les mécanismes moléculaires à la base de la restauration d'une sensibilité de la musculature lisse artériolaire aux catécholamines restent encore obscurs. Il semble toutefois que cette cortico-déficience, relative ou absolue, joue un rôle important dans le phénomène de résistance aux amines vasopressives tel que rencontré dans le choc septique.
Les états de chocs et les traitements de réanimation ont une influence majeure sur le fonctionnement du système nerveux central et autonome. Il est bien connu que la fonction du système sympathique peut être déficiente dans ces conditions.7 La participation du système parasympathique est moins connue. Ce dernier joue un rôle toutefois prépondérant dans les phénomènes de vasoréactivité lors du choc septique, lors d'une sédation profonde induite par le thérapeute ou dans les comas. Si le rôle de la voie vagale afférente dans la stimulation de l'axe HHS et des réponses systémiques anti-inflammatoires a été relativement bien étudié,21 le rôle des efférences vagues dans la genèse du choc septique vient d'être récemment révélé. Il a pu être démontré que la dénervation expérimentale du nerf vague entraînait une nette péjoration d'un choc toxi-infectieux.8 A l'opposé, la stimulation vagale électrophysique ou chimique permet de prévenir en grande partie la vasoplégie et le choc induit par l'endotoxine.8,22 L'acétylcholine, en plus de ses effets sur la vasoréactivité, semble également avoir un rôle anti-inflammatoire important.23 Ces découvertes récentes ouvrent de nouvelles voies d'investigation dans la physiopathologie du choc vasoplégique et de nouveaux espoirs thérapeutiques.