Résumé
C'est quoi, un bon médecin ? Sacrée question. Un numéro entier du BMJ vient de l'empoigner. Il faut bien avouer qu'à le lire de bout en bout, on en sait à peine plus qu'avant. Quantité de critères sont avancés. Toutes sortes de pistes explorées. Un bon médecin doit être compétent et humain. Fin clinicien et excellent communicateur, aussi. Il doit maîtriser la science et ses sentiments. Et, à la fois, se montrer ouvert et empathique. Voilà pour le discours qui sert d'os à ronger dans les articles des professionnels du sujet. Mais finalement, ce sont les artistes ou philosophes qui, dans ce numéro du BMJ, disent les choses les plus censées. Un bon médecin, on ne sait pas ce que c'est. Allez, déjà, définir un bon humain : vous verrez vite le genre de problème. Et puis, il y a la vie, qui, comme on le sait, a tendance à cacher l'essentiel dans les plis les plus obscurs....Type même de l'organisation experte en bon médecin, le General Medical Council britannique publie une longue liste des qualités que chaque nouveau médecin devrait montrer. Pourquoi pas ? Pareille liste a sa place. «Il appartient à la nature de chaque profession de se donner un type idéal et d'essayer de l'imposer le mieux possible aux nouveaux membres» écrit à raison Polly Toynbee. Mais définir l'idéal ne suffit pas : il faut prendre en compte l'échec. Car «il est aussi dans la nature de l'humanité de faillir la plupart du temps à cet idéal». Voilà pourquoi, rappelle l'editor's choice du BMJ, la liste des qualités du médecin importe au fond moins que leur recherche et leur discussion....Si on peine à le définir, sait-on seulement comment fabriquer un bon médecin ? Voilà la bonne question, rappelle le même editor's choice. Le problème actuel est que, plutôt que d'aider les étudiants en médecine à améliorer leurs qualités, le cursus médical tend à les leur enlever. Restons modestes dans nos buts, résume A. Tonks : «la seule chose que nous ayons à faire est de sélectionner les étudiants avec les bonnes qualités (non les bons résultats d'examens) et ensuite essayer de les empêcher de pourrir à cause de la surcharge, du cynisme et de la négligence durant leur formation et leur début de carrière». Joli programme....Pourquoi tant de médecins deviennent-ils cyniques ? La raison n'est pas qu'ils soient insensibles ou inhumains. Selon J. Berger, un écrivain, lorsque leur idéalisme abstrait s'efface (usé par le temps), ils se retrouvent isolés au front des doutes de l'époque. Eux se battent pour chaque vie, mais de son côté, la société se montre «incapable de savoir ce que vaut une vie humaine». On voudrait qu'ils soient bons ? Mais la vie est dramatique et se coltiner le dramatique ne rend pas bon au sens habituel, sucré et gentillet du terme....Même si cela était possible (et ça ne l'est pas), être un médecin idéalement bon ne rendrait pas service. J. Holmes compare la situation du médecin à celle décrite par Winnicott, qui rassurait les mères en leur disant qu'être «suffisamment bonnes» vaut mieux que s'évertuer à être «idéales». «Les mères qui sont suffisamment bonnes donnent la chance aux enfants d'apprendre à faire face au désappointement et à l'échec dans un contexte d'amour». En étant simplement bon, sans plus, le médecin fait au patient le cadeau inestimable de l'autonomie....Drôle de monde, autour de la médecine. Dans son dernier bouquin d'analyse des mutations post-modernes, Maffesoli le décortique avec finesse.1 «La dissidence se répand» dit-il. Dans tous les domaines se fait jour un désir de «consumation» : celui de «gaspiller ou de brûler les choses et les affects». Les gens refusent de plus en plus les systèmes, les autorités, les corps constitués, les vérités et se passionnent pour les aspects obscurs de l'existence, les parts d'ombre. Aux responsables, on répond par l'abstention. «Le savoir/pouvoir officiel, celui qui se contente de délivrer des certificats de conformité, celui qui s'emploie à l'asepsie de la société et du savoir, est devenu par trop abstrait». Dans ce monde là, être un bon médecin a-t-il un sens ?...Le vrai problème, ces jours, n'est en réalité pas de savoir ce qu'est un bon médecin, mais comment faire pour que des jeunes veuillent encore devenir médecins. C'est la pénurie qui s'annonce, et sérieusement. Lisez l'éditorial du doyen de la faculté de médecine de Genève au début de ce numéro : demain s'annonce de crise.Les disciplines «héroïques" de la médecine celles où le stress domine sont les premières à souffrir. Mais toute la médecine semble atteinte du «syndrome du désengagement», écrit Cyrulnik dans La Recherche du mois d'octobre. «Ce désengagement contraste avec le succès des métiers "à plaisir" associés à l'étonnant développement de la passion du risque sportif et des engagements dans les ONG». Le message des jeunes est clair. Si la médecine ne sait plus cultiver le plaisir, il n'y aura plus ni bon médecin ni médecin tout court....Dans leur genre, qui ne fait pas dans la dentelle, elles sont superbes, les «règles pour docteurs» d'A. Smith (un écrivain auquel le BMJ a demandé son avis). Elles ont l'air bêtes, elles sont méchamment pertinentes. En voici un florilège. «1) Assure-toi que personne ne meure et que tout le monde aille mieux. 2) Ne soit pas embarrassé de dire : je ne sais pas. 3) Tombe malade une fois par an et tâche de passer une bonne semaine hospitalisé. 4) Reste curieux de tout. 5) Connais tes oignons et si ce n'est pas le cas, admets-le et adresse-toi à un spécialiste. 6) Si tu es un homme, mets-toi en connexion avec ta face féminine. Si tu es une femme, fais la même chose. 7) Soigne, ne juge pas. 8) Sache que je me considère comme la personne la plus importante au monde et que ma souffrance est pire que celle de n'importe qui. 9) Rappelle-toi que Ron a un cur en or (Ron est un type qui pose des questions sur tout, conteste chaque diagnostic, se moque des conseils, et se demande, quand il rencontre son médecin : «pourquoi ce salaud me ment-il ?»)».Un bon médecin aime ce qui se cache dans les plis. 1 Maffesoli M. La part du diable. Précis de subversion post-moderne. Paris : Flammarion, 2002.