L'homme se nomme Jean-Marc Sylvestre. Omniprésent sur les ondes télévisuelles privées françaises, il chante haut et fort les vertus de l'économie libérale, de la mondialisation et du boursicotage réunis. Dans l'embranchement du journalisme, il se range dans la classe des chroniqueurs économiques d'espèce docile et, corollaire, se situe hiérarchiquement au niveau fort envié de rédacteur en chef dans la célèbre maison TF1. On ne s'intéresserait guère à Monsieur Sylvestre si ce dernier n'avait, ces derniers jours, commis un bien curieux texte dans le quotidien économique français Les Echos. Loin de traiter de sa discipline habituelle, le rédacteur en chef télévisuel nous livre un témoignage personnel où la sincérité ne fait guère question.Sous le titre «Le prix d'un été à l'hôpital...» (les points de suspension ont leur importance...), l'auteur nous confie qu'au début du mois de juillet il tomba gravement malade. Banale douleur à l'épaule suivie d'une «attaque septicémique» avant la découverte «d'une poubelle explosive à l'entrée de l'aorte»..., on en restera là pour le diagnostic. Les conséquences psychologiques ne brillent certes pas par leur originalité. «Tout ce qui vous a passionné jour et nuit pendant des années devient totalement dérisoire... Le 14 juillet, la télé de Chirac, les querelles budgétaires, les crises de nerf de Bercy, la chute de la Bourse, les grands départs et la saison pourrie sur le bassin d'Arcachon, tout ce qui devait faire l'ouverture des journaux télévisés m'indifférait alors totalement. La morphine n'amortit pas seulement la douleur» écrit Monsieur Sylvestre.Les soins dureront une bonne partie de l'été et parviendront à vaincre le mal. Reconnaissant le patient remercie publiquement les médecins parisiens du XXe arrondissement qui surent faire le diagnostic et entreprendre la bonne thérapeutique. Il y a là notamment un spécialiste de médecine interne «une discipline trop rare, une conjugaison d'expériences de connaissances et d'intuition», un rhumatologue et un chirurgien cardiovasculaire hospitalo-universitaire. Il n'y aurait là que la relation au premier degré et bien peu pudique d'une expérience douloureuse. Certains professionnels de la presse sont ainsi. Surpris de découvrir qu'ils peuvent, eux aussi, souffrir dans leur chair, ils ne peuvent faire l'économie d'un épanchement public. Rien de bien grave, de bien nouveau, de bien passionnant.Mais ici, l'homme se piquant d'économie, la surprise et la réflexion vont plus loin. Deux mois d'hospitalisation dans trois hôpitaux différents, des traitements antibiotiques très lourds, les scanners, les IRM.... «Sans la Sécurité sociale couplée à des systèmes complémentaires d'assurance financés en partie par l'employeur, je n'aurais jamais eu les moyens de payer cette chance de survivre» écrit-il. «Sans blague ?» aimerait-on répondre à ce promoteur de l'économie qui nous gouverne... Et encore, cette savoureuse confidence : «Jusqu'à cet été, je ne connaissais du système de santé français que l'ampleur du déficit de l'assurance maladie. Depuis, je sais que ce déficit, que j'ai tellement critiqué, m'a sans doute sauvé la vie.» Face à ces aveux, devant cette prise de conscience tardive mais bien réelle de l'évidence et cet engagement tacite à modifier ses futures analyses télévisées consacrées au coût des soins, on eut envie d'applaudir.Puis vint le reste. «Dans une logique purement financière, aucun contrôleur de gestion n'aurait pu accepter de telles dépenses. Le «return» était trop improbable.» Le «return» ?«Quand on sait les salaires que demandent les stars du football, on se dit que les hôpitaux pourraient dépenser un peu plus d'argent sans qu'on les traite d'inciviques et les médecins, les bons, pourraient gagner plus. Encore, bien sûr, faudrait-il pouvoir reconnaître les bons médecins et les mauvais.» Les «mauvais» ? Justement l'ancien patient en connaît un. C'est pourquoi il préconise d'«éliminer» ce «rhumatologue qui voulait vous faire une infiltration pour calmer la douleur alors même qu'un staphylocoque avait décidé de faire du camping dans l'épaule». On aimerait en savoir plus sur la notion d'«élimination»... Et on aimerait savoir ce que recouvre cette menace : «faut-il parler de ce dentiste qui opère dans le Triangle d'or à Paris et qui s'est mis aux abonnés absents dès qu'on a émis l'hypothèse qu'un soin dentaire pouvait être à l'origine d'une infection». On sait à quel point la qualité de la dentition est importante pour qui est quotidiennement vu à la télé et on imagine le coût des honoraires demandés aux grandes stars du petit écran par les dentistes du Triangle d'or de la Ville Lumière. Mais on aurait préféré continuer à ignorer que la délation par voie de presse pouvait aujourd'hui encore chez certains, être si tentante.Car dans le système dont rêve désormais Monsieur Sylvestre on donnera à la télévision si possible les noms de ces «mauvais médecins» qui «sont légion» et qui sont «protégés par le système et finalement absous par leurs confrères». «Officiellement, les médecins ne font jamais de fautes ou alors très rarement... Généralement le «client» ne réclame rien, ni comptes, ni responsabilités, ni dommages et intérêts...». Une suggestion, Monsieur Sylvestre : pourquoi ne pas demander, précisément, des dommages et intérêts, à ce chirurgien-dentiste et à ce rhumatologue et verser les sommes correspondantes à la collectivité, maintenant que le «return» est, comme on le voit, assuré ?