Le fait qu'un médecin hospitalier ait frappé une patiente a vivement retenu l'attention. Il ne s'agit pas ici de traiter cette affaire, en voie d'être instruite objectivement, mais d'affirmer qu'on doit rendre aussi congrue que possible la place de la violence dans les soins. Le propos surprendra... Comment admettre que la contrainte ou la brutalité y trouve place ? Mais, dans n'importe quel aspect de la vie, n'est-il pas illusoire d'imaginer l'éradiquer totalement ? Tout en étant un avocat constant de la compréhension tolérante et du dialogue, je ne peux que reconnaître que nous vivons dans un monde imparfait : les soignants comme les patients sont des êtres humains à qui il arrive
d'être inadéquats.
Qu'on ne se méprenne pas : il est inadmissible qu'un soignant, quelle que soit la situation (sous réserve de légitime défense), brutalise un soigné. Si cela survient, la première chose est de présenter des excuses ; comme d'ailleurs le soignant exprimera ses regrets quand un élément autre n'a pas été satisfaisant dans le soin information mal comprise, échec ou complication imprévue d'un traitement. En général, la qualité de la vie sociale dépend fondamentalement du respect mutuel. On a le droit d'avoir des opinions divergentes, d'être insatisfait ou nerveux (et je dis souvent qu'on a le droit de poser n'importe quelle question, même critique, à n'importe qui). Se souvenir cependant que l'autre lui aussi a ses soucis et frustrations. On pourrait dire que chacun, professionnel et malade, doit «se donner de la peine».
Parce que c'est son métier, il est clair que c'est au soignant d'abord de faire preuve d'empathie. Dans le passé, la relation était déséquilibrée : les malades et leurs familles n'osaient guère ou pas du tout poser de questions au médecin, encore moins mettre en doute son avis. Les choses ont changé : sans que cela mette en cause les compétences scientifiques du soignant, le dialogue doit aujourd'hui être beaucoup plus à égalité, entre partenaires. Je profite de rappeler que c'est le patient qui, après explications du praticien, décide s'il entend recevoir un soin et quel soin, ou pas. Cela étant, on attend aussi de lui qu'il montre de la compréhension pour la situation et la charge de travail des soignants.
Il convient d'aborder aussi la question de la contrainte, par exemple en psychiatrie ou en EMS. En mars 2002, le Grand Conseil vaudois a ajouté à la loi sur la santé publique un article 23d qui dit «Par principe, toute mesure de contrainte à l'égard des patients est interdite», en précisant «A titre exceptionnel, le médecin peut, après consultation de l'équipe soignante, imposer pour une durée limitée des mesures de contrainte strictement nécessaires...». Ce thème a fait l'objet de discussions répétées entre l'autorité sanitaire, les professionnels et des associations de patients. Tous partagent l'objectif d'éviter au maximum la contention. Cela étant, à notre sens, il n'est pas réaliste d'espérer la supprimer totalement (qu'on pense même à l'opéré qui s'agite en salle de réveil et pourrait se faire du mal). En EMS, on cherche à maximiser l'autonomie des résidents mais des mesures sont parfois nécessaires pour éviter qu'ils ne se blessent. S'agissant de personnes démentes qui n'ont plus leur bon sens mais restent capables de déambuler, il est difficile d'imaginer qu'on ne ferme pas certaines portes à clé afin qu'elles ne se perdent pas. «Jamais» et «toujours» n'existent pas en médecine, disait le regretté Pr Jequier-Doge. Sur les points discutés ici, les positions absolues sont susceptibles d'augmenter les tensions, parce qu'elles négligent des contraintes de la réalité quotidienne ; réalité qui inclut le fait qu'on est humain donc imparfait et qu'il arrive qu'on soit tendu et qu'on s'énerve (même si c'est toujours une défaite de s'énerver). L'important est d'assumer ses tâches professionnelles, d'un côté, de solliciter les soins dont on a besoin, de l'autre, en respectant celui ou celle qui est en face de soi.