La dénutrition influence défavorablement l'évolution clinique, les coûts globaux et la qualité de vie des patients. La prévalence de la dénutrition à l'admission à l'hôpital varie entre 20 et 50% dans les pays européens. Ce constat a poussé le Conseil de l'Europe à initier une vaste enquête sur l'organisation et les modalités de la nutrition hospitalière. Cet article résume le rapport de l'enquête et les recommandations du Conseil de l'Europe en matière de nutrition hospitalière. Il rappelle les principaux facteurs associés à une prise en charge nutritionnelle insuffisante en milieu hospitalier et les recommandations pour l'optimiser.
La dénutrition influence défavorablement l'évolution clinique,1-3 les coûts globaux4 et la qualité de vie des patients.5,6 De nombreuses actions isolées ont été entreprises ces dernières années afin de minimiser ces effets secondaires prévisibles. Pourtant, les études les plus récentes confirment que la prévalence de la dénutrition à l'admission à l'hôpital n'a pas diminué, variant entre 20 et 50% dans les pays européens,1,7,8-12 y compris la Suisse.13
Ce constat a stimulé huit pays participant au Conseil de l'Europe à initier une vaste enquête sur l'organisation et les modalités de la nutrition hospitalière. Un questionnaire évaluant cet aspect a été envoyé à plusieurs centaines d'hôpitaux dont la taille variait entre 100 et 2500 lits. Un groupe d'experts en nutrition a colligé ces informations (tableau 1). Le Conseil de l'Europe en a extrait un rapport et a édicté des recommandations en matière de nutrition hospitalière.14
Cet article résume les principaux facteurs associés à une prise en charge nutritionnelle insuffisante en milieu hospitalier et les recommandations pour l'optimiser.
Cinq facteurs principaux ont été identifiés comme étant responsables de la dénutrition en milieu hospitalier. Ils sont liés à des problèmes de compétences, de logistique, d'organisation et d'administration (tableau 2). Ils touchent la majeure partie des structures hospitalières et des personnels.
Dans la plupart des hôpitaux européens participant à l'enquête, la description insuffisante des responsabilités respectives des rôles des différents professionnels de santé hospitaliers dans la prescription et le suivi du soin nutritionnel a été relevé. Une des conséquences est l'absence fréquente de mesures des paramètres nutritionnels de base, tels le poids et la taille corporels, même chez les patients déjà dénutris ou à haut risque de le devenir. Cette observation est généralement corrélée à un manque de sensibilité du personnel soignant à la relation entre l'état de dénutrition et l'évolution globale défavorable. De plus, la réduction de la durée du séjour hospitalier laisse souvent croire qu'une prise en charge nutritionnelle optimale n'est plus indispensable, et empêche la réalisation de cette prise en charge.
Les responsabilités et les rôles des acteurs de soins dans l'évaluation et le support nutritionnels doivent être écrits et largement publiés au sein des institutions. Les paramètres de dépistage de la dénutrition et du suivi nutritionnel doivent être clairement spécifiés. La sensibilisation au rôle de l'hôpital, qui ne devrait pas se terminer avec le séjour hospitalier devrait être renforcée. Le médecin traitant du patient doit être averti de la situation nutritionnelle de son patient lorsque celui-ci regagne son domicile afin de pouvoir, si nécessaire, maintenir ou corriger la prise en charge nutritionnelle.
L'enseignement de la nutrition aux médecins durant leur formation prégraduée est généralement insuffisant, voire inexistant. Cette situation n'est pas corrigée durant la formation postgraduée. De plus, la recherche fondamentale et clinique en nutrition reçoit souvent la priorité en termes d'allocation de moyens aux dépens de la formation clinique. Les informations en nutrition, sous forme de publications scientifiques, sont souvent complexes et difficiles à traduire en actions concrètes sur le terrain. Confronté à cette difficulté, le médecin renonce à initier un traitement nutritionnel ou se contente de pratiques anciennes et dépassées et dont l'inefficacité est démontrée.
Les mêmes observations ont été faites pour le personnel infirmier. Bien que généralement suffisante, la formation des diététicien(ne)s est sous-exploitée par manque de visibilité, de reconnaissance et d'autorité de cette profession. Les collaborateurs des services de restauration hospitalière sont généralement peu sensibilisés à l'importance de l'alimentation chez le malade en général, et en particulier durant l'hospitalisation. Le budget de la restauration est souvent réduit pour des raisons économiques alors qu'il ne représente habituellement qu'un à trois pour cent de la charge financière globale de l'institution. Le budget est d'autant plus vulnérable qu'il n'est pas défendu par le corps médical.
Un effort d'enseignement à tous les groupes professionnels impliqués directement et indirectement dans le support nutritionnel des patients doit être entrepris aux niveaux pré et postgradué. Le but est la sensibilisation des personnels aux conséquences négatives de la dénutrition sur l'évolution de la pathologie et la tolérance au traitement.
La plupart des hôpitaux européens ont un problème d'image de marque en matière de nutrition hospitalière. En effet, dès l'admission, de nombreux patients anticipent une alimentation de qualité médiocre avant même de l'avoir goûtée. Des mets différents de ceux du domicile, un environnement peu propice aux repas, des soins ou des pathologies défavorables à l'appétit et parfois des repas de qualité médiocre confirment leur préavis défavorable. De plus, beaucoup de patients pensent que les quelques kilos perdus à la faveur d'une maladie ou d'une opération chirurgicale les aideront à retrouver une ligne corporelle souhaitée. Ils ignorent généralement qu'une perte de poids involontaire, simultanée à un état de stress corporel, va entraîner préférentiellement la déplétion du compartiment protéique de leur organisme, avec des conséquences négatives sur la cicatrisation, la performance immunitaire, la force physique et la durée de convalescence, etc. Les nombreux régimes prescrits par le corps médical (par exemple : sans sel, pauvres en graisses) et les collations intermédiaires trop rares favorisent une prise alimentaire insuffisante. Beaucoup d'hôpitaux européens proposent un choix de menus, mais il n'y a pas (ou pas assez) de structures pour assister le patient dans la détermination des aliments les plus appropriés à sa condition. Bien que le choix de menu soit une option favorable à la quantité et la qualité des prises alimentaires, il est parfois trop prédéterminé et lorsque la situation médico-thérapeutique évolue, le choix initial devient parfois très inadéquat ce qui réduit encore les apports nutritionnels. Le comportement des soignants est régulièrement rapporté comme étant peu incitatif lorsque le patient souffre d'inappétence. Le niveau d'aide aux patients présentant un handicap physique critique pour la préhension et la déglutition des aliments est également une cause régulière de sous-alimentation. L'horaire de service des repas trop rapproché et la disponibilité des mets au chevet du malade pour une durée trop courte aggravent cette situation.
Les mets proposés doivent être individualisés et adaptés aux désirs et possibilités du malade, servis avec le maximum de flexibilité possible. Des collations entre les repas doivent être proposées alors que les trois mets principaux devraient le plus souvent être quantitativement réduits pour s'adapter au niveau d'appétence. L'implication des patients dans le choix des repas doit être optimisée. Le jugement favorable ou défavorable du patient concernant l'alimentation proposée doit permettre de corriger ce qui lui est proposé, mais également permettre de définir des menus particulièrement adaptés à des groupes de patients ou des types de pathologies et traitements.
Le manque d'appétit reste l'une des causes significatives de la sous-nutrition hospitalière. Le concept de «chaîne alimentaire» a été proposé pour favoriser les prises alimentaires. Elle comporte une information au patient sur la relation entre son état nutritionnel et l'évolution de sa maladie ou sa tolérance au traitement, une adaptation des horaires des repas au programme des soins, une assistance nutritionnelle lors de défaillance des prises orales spontanées. Dans ce processus, la collaboration interdisciplinaire entre le patient, son entourage direct, les médecins, les infirmiers, les diététicien(ne)s et les collaborateurs des services de restauration est critique. L'enquête a relevé que cette coopération était rarement fonctionnelle.
La collaboration interdisciplinaire entre les médecins, les infirmier(ère)s, les diététicien(ne)s, les collaborateurs des services de restauration et la direction hospitalière doit être renforcée. La situation prévalant dans l'institution doit être analysée, puis les mesures de correction appropriées décidées. A la sortie du patient, le médecin extrahospitalier du patient doit être informé des diagnostics nutritionnels, des traitements et des objectifs nutritionnels hospitaliers. Lors d'hospitalisations successives, une coordination des informations et des actions nutritionnelles intra et extrahospitalières est nécessaire.
La direction hospitalière considère rarement le service de restauration comme un facteur important pour la réussite de la prise en charge thérapeutique globale. En conséquence, les services de restauration sont souvent éloignés du «client-patient», ce qui les rend moins sensibles à la problématique des difficultés alimentaires du patient hospitalisé. De plus, les services de restauration sont perçus avant tout au niveau logistique, pouvant dès lors fonctionner selon des priorités dissociées des contraintes directement liées à la pathologie, aux traitements et aux soins. Une tendance relevée dans de nombreux hôpitaux européens est de sous-traiter la production et le service alimentaires à des prestataires extrahospitaliers. Dès lors, des négociations à caractère essentiellement financier prédominent sur des paramètres telle l'adéquation de l'alimentation au désir et aux capacités alimentaires du malade. Il a aussi été montré que la qualité supérieure d'un service de restauration n'est pas seulement une question de compétence du service de production mais également une conséquence des performances des services d'achat des matières premières, de leur transformation et de leur livraison optimale jusqu'au patient. Un contrôle de qualité, basé sur le suivi d'indicateurs objectifs, est rarement disponible. En leur absence, l'évaluation de la qualité du service de restauration est souvent subjective et exclut habituellement les patients présentant les plus importantes difficultés à s'alimenter. Pourtant, la qualité de l'alimentation influence très significativement l'appréciation globale du patient quant à son séjour à l'hôpital. En effet, c'est souvent un des rares paramètres pour lequel il puisse juger en connaissance de cause. Dans ce contexte, l'apport d'analyses effectuées par des services d'audit externes à l'institution s'est révélé particulièrement utile.
Le service de restauration doit être considéré comme partie prenante du soin global offert aux patients hospitalisés, et non pas comme une prestation hôtelière séparée. La direction hospitalière doit définir les responsabilités et les rôles du service de restauration, le profil des soins nutritionnels sous forme de recommandations institutionnelles intégrées aux soins. Les analyses budgétaires des prestations nutritionnelles doivent s'étendre au coût lié aux complications et à la prolongation du temps du séjour dues à la sous-alimentation et à la dénutrition.
Les patients ont droit à des apports nutritionnels optimaux durant leur séjour hospitalier. De bons apports nutritionnels sont requis pour optimiser les effets des thérapeutiques engagées durant le séjour et pour la phase de convalescence, alors que la dénutrition augmente les coûts hospitaliers en favorisant la survenue de complications. Le patient et les personnels soignants doivent être sensibilisés à l'impact négatif de la dénutrition sur le processus global des soins. Des outils d'évaluation de l'état nutritionnel initial puis de son évolution, et des indicateurs de prise alimentaire et de la satisfaction des patients doivent être disponibles. Le nombre croissant de patients âgés, ceux présentant de multiples pathologies chroniques ou des durées de séjour prolongé justifient une attention soutenue de la problématique nutritionnelle en milieu hospitalier. Le rôle de l'institution hospitalière ne s'arrête pas à la fin du séjour, mais doit se poursuivre jusqu'à ce que le médecin de premier recours ait pris le relais pour prévenir ou traiter la malnutrition. Au cours des dernières années un nombre croissant d'initiatives ont été prises pour améliorer les pratiques nutritionnelles en Europe. Il est temps de coordonner ces efforts pour assurer aux patients une nutrition optimale, et prévenir une aggravation de la dénutrition en milieu hospitalier.