Depuis Londres : Des instruments de chirurgie, mis en contact avec l'agent pathogène du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été ultérieurement utilisés pour des interventions sur 29 malades, vient d'annoncer le gouvernement britannique. Ces instruments, qui auraient dû être mis de côté en sécurité, ont été employés dans des actes chirurgicaux au Middlesbrough General Hospital, dans le nord-est de l'Angleterre. L'équipement a été utilisé sur un malade opéré du cerveau en juillet et la présence de l'agent responsable de la forme humaine de la maladie de la vache folle, après biopsie et analyses des tissus cérébraux, a été confirmée le mois suivant. Les 29 malades et leurs familles ont été prévenus de ce problème, qui, selon le département britannique de la santé, comporte «un risque théorique» de contracter la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Un porte-parole gouvernemental a souligné que les instruments auraient dû être «mis en quarantaine» dès lors que l'on savait qu'il y avait un risque d'une transmission interhumaine du vMCJ et non pas quand la présence de l'agent avait été définitivement confirmée.On imagine l'embarras des experts saisis de la question de savoir s'il convenait d'informer ou non les personnes concernées et potentiellement contaminées. Pourquoi les inquiéter alors que l'on ne sait pas si elles sont infectées, que l'on ne connaît rien des périodes d'incubation, qu'aucun dépistage ne peut être proposé et qu'aucune thérapeutique préventive ou curative n'est disponible ? A l'inverse, de quel droit les priverait-on d'une information les concernant au tout premier chef ? L'affaire n'est pas sans nous rappeler la question posée en France aux sages du comité national consultatif pour les sciences de la vie et de la santé. Nous étions durant le sale été 1985 et le gouvernement de Laurent Fabius souhaitait savoir ce qu'il fallait dire ou ne pas dire aux personnes porteuses d'anticorps contre ce qui ne s'appelait pas alors le VIH. Ne rien dire au motif que la présence de ces anticorps n'était pas encore bien claire (témoins de la contamination certes mais peut-être aussi protecteurs) et qu'on n'avait rien à proposer ? Dire au nom de l'éthique fortement aidée par la possibilité d'une transmission interhumaine par voie sanguine et sexuelle ? On connaît la suite de la bien triste histoire.C'est donc la deuxième branche de l'alternative qui a été retenue par les autorités sanitaires britanniques. Une ligne téléphonique spéciale a été mise en place pour informer les personnes ayant été hospitalisées dans l'établissement, des soutiens psychologiques ont été organisés et les personnes à risque bénéficieront des soins les plus attentionnés. Les responsables de l'affaire ont présenté leurs sincères excuses aux victimes potentielles et à leurs familles. Reste, désormais, l'attente et l'angoisse.Reste aussi la question fondamentale de la transmission interhumaine du prion pathogène. Il est bel et bien établi que le prion responsable des formes traditionnelles de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a pu être transmis au décours d'interventions neurochirurgicales. Et tout laisse craindre qu'il en aille de même dans le cas du nouveau variant pour lequel on peut redouter une virulence plus grande encore et une distribution organique nettement plus périphérique. Pourquoi les responsables du Middlesbrough General Hospital n'ont-ils pas mis en uvre les procédures édictées en 1999 de mise en quarantaine du matériel dès lors qu'une intervention est pratiquée chez une personne pouvant être raisonnablement suspectée de souffrir d'une affection neurodégénérative ? Peut-être tout bonnement parce que ce matériel était indispensable au bon fonctionnement de l'établissement. On apprend aujourd'hui que sa destruction a coûté 90 000 livres. Combien y a-t-il, quotidiennement, d'interventions chirurgicales pratiquées sur des personnes pouvant être de ce point de vue considérées comme potentiellement à risque ? Et a-t-on chiffré le coût d'une politique drastique de prévention face à ce nouveau risque ? Les questions valent pour le Royaume-Uni bien évidemment mais elles doivent être soulevées dans tous les pays d'Europe puisque l'on sait que tous les cheptels bovins ont, peu ou prou, été infectés par l'agent pathogène et que partout des animaux contaminés sont entrés dans les chaînes alimentaires humaines.Pour l'heure, la tragédie du Middlesbrough General Hospital fait dire à ceux qui défendent les intérêts des victimes britanniques que cette affaire n'est que la trop malheureuse démonstration que les procédures réglementaires édictées en haut lieu par les meilleurs experts et avec les meilleures intentions du monde ne valent rien dès lors que, sur le terrain, on les adapte en fonction des contingences du moment. Même quand il s'agit de souffrances et de morts, certaines leçons, décidément, sont difficiles à apprendre.