L'épanchement pleural lymphocytaire est fréquemment rencontré dans la pratique clinique. Il est défini par la présence de plus de 50% de lymphocytes à la numération cellulaire. La grande majorité des épanchements pleuraux lymphocytaires sont d'origine tuberculeuse ou néoplasique. Les autres origines possibles, bien que nettement moins fréquentes, sont la polyarthrite rhumatoïde, le lupus, l'épanchement parapneumonique tardif ou le syndrome de Dressler par exemple. Pour distinguer l'épanchement tuberculeux des épanchements d'autres origines, de nouveaux moyens diagnostiques comme le dosage de l'adénosine désaminase, de l'interféron gamma ou la PCR sont à notre disposition. La sensibilité, la spécificité de même que les valeurs prédictives positives et négatives de ces techniques sont attrayantes. Leur utilisation judicieuse pourrait utilement compléter la biopsie pleurale, lorsque celle-ci ne permet pas de parvenir au diagnostic.
Dans la pratique quotidienne nous sommes fréquemment confrontés aux épanchements lymphocytaires, définis par la présence d'au moins 50% de lymphocytes à la numération cellulaire. Dans deux séries historiques qui comprennent 178 et 182 patients,1,2 on trouve une prévalence importante d'épanchements lymphocytaires (exsudat et transsudats confondus). Si la prédominance de polymorphonucléaires évoque un phénomène aigu comme un épanchement parapneumonique, une embolie pulmonaire ou une pancréatite, une prédominance de lymphocytes évoque plutôt un phénomène chronique comme un épanchement néoplasique ou tuberculeux. Ces deux diagnostics représentent à eux seuls l'étiologie d'environ 90% des épanchements pleuraux lymphocytaires. Les autres diagnostics à évoquer sont l'épanchement parapneumonique tardif, le lupus, la polyarthrite rhumatoïde ou le Dressler.
Un diagnostic étiologique est tout à fait aisé lorsqu'une maladie sous-jacente comme une néoplasie, une tuberculose déclarée, ou une maladie auto-immune est connue. Il reste toutefois un bon nombre d'épanchements lymphocytaires dont l'étiologie ne peut être d'emblée déterminée. Nous allons évoquer ici les éléments qui permettent de différencier les diverses étiologies en mettant l'accent sur les nouvelles techniques permettant de diagnostiquer l'épanchement pleural tuberculeux.
La majorité des patients qui se présentent avec un épanchement pleural tuberculeux n'ont, initialement, aucune autre manifestation de tuberculose. Cet épanchement survient volontiers pendant ou peu après une primo-infection tuberculeuse (suite à la rupture d'un granulome sous-pleural). Il peut donc se trouver chez des sujets relativement jeunes, 62% survenant avant 35 ans (série espagnole comprenant 254 patients avec épanchement pleural tuberculeux prouvé). Il est légèrement plus fréquent à droite (56%) qu'à gauche (43%) et rarement bilatéral (2%) dans cette même série.3 On trouve habituellement entre 1000 et 6000 cellules par mm3. Dans les deux premières semaines la répartition cellulaire montre une prédominance de polymorphonucléaires et ce n'est qu'à partir de dix à quinze jours que se développe la lymphocytose pleurale. Le glucose et le pH sont habituellement abaissés. La présence de plus de 5% de cellules mésothéliales permet d'exclure le diagnostic.4
La difficulté diagnostique repose sur le fait que l'épanchement pleural tuberculeux est secondaire à une réaction d'hypersensibilité retardée aux antigènes mycobactériens et non à une action directe du bacille sur la plèvre. Les BK ne sont donc présents qu'en très faible quantité : la coloration de Ziehl est très fréquemment négative et la culture n'est positive que dans environ un tiers des cas.3 La technique diagnostique de choix est la biopsie de plèvre à l'aiguille, mais celle-ci nécessite une maîtrise du geste technique qui n'est pas toujours présente dans les centres qui ne voient que peu de pleurésies tuberculeuses. De plus, même entre de bonnes mains, la biopsie à l'aiguille, en combinant histologie et culture des fragments obtenus, ne dépasse guère 80% de sensibilité. La thoracoscopie avec biopsie sous contrôle de la vue devrait atteindre 100% de sensibilité (C. Boutin, communication personnelle) mais reste toutefois un examen relativement invasif. Pour distinguer l'épanchement tuberculeux des épanchements lymphocytaires d'autres origines, de nouveaux moyens diagnostiques sont à notre disposition comme le dosage de l'adénosine désaminase (ADA), de l'interféron gamma ou la polymerase chain reaction (PCR). Ces nouvelles techniques associées aux méthodes traditionnelles devraient permettre de poser le diagnostic lorsque la biopsie à l'aiguille n'est pas praticable ou n'a livré que du matériel insuffisant. Nous allons brièvement décrire ces différentes méthodes puis revoir leur utilité dans le diagnostic de l'épanchement pleural tuberculeux.
L'adénosine désaminase (ADA) est une enzyme impliquée dans le catabolisme des purines. On la trouve dans la plupart des cellules, mais sa concentration est particulièrement élevée dans les lymphocytes activés. Il existe deux isoenzymes (ADA 1et ADA 2). On trouve ADA 1 dans toutes les cellules y compris les monocytes et les lymphocytes, alors qu'ADA 2, plus spécifique de l'épanchement pleural tuberculeux, ne se trouve que dans les monocytes. Certains auteurs proposent de mesurer le rapport ADA 2/ADA total qui serait plus spécifique pour la tuberculose.5 Toutefois, la plupart des études ont été effectuées avec le dosage des ADA totales, qui est d'ailleurs le dosage le plus couramment disponible dans les laboratoires. Sur un plan pratique, le prélèvement se fait dans un tube d'héparine lithium et doit être congelé s'il ne peut être rapidement analysé. Le taux d'ADA reste fiable même après plusieurs semaines de congélation.6 Un dosage supérieur à 45-60 U/l est suggestif d'épanchement pleural tuberculeux. La fiabilité de l'ADA dans le diagnostic de l'épanchement pleural tuberculeux est excellente, à condition qu'on réserve cet examen aux épanchements lymphocytaires (> 50% de lymphocytes). En effet le dosage de l'ADA dans des épanchements contenant un nombre élevé de neutrophiles, comme des empyèmes par exemple, pourrait conduire à des faux positifs (l'ADA peut également se trouver dans les neutrophiles).
C'est la technique classique d'amplification des nucléotides par polymérase. Il s'agit d'amplifier ici l'ADN mycobactérien qui se trouve dans le liquide pleural. Il existe un risque de faux positif par contamination lors du prélèvement, mais surtout au laboratoire. Il existe également un risque de faux négatif : contrairement à une idée assez répandue, la sensibilité de la PCR dans l'épanchement pleural tuberculeux n'est pas de 100%. En effet, dans les cas ou la quantité de germe est minime, le processus de dilution de l'échantillon peut rendre l'ADN mycobactérien indétectable. Or, nous avons vu que la pleurésie tuberculeuse est une réaction immune exsudative causée par un très petit nombre de germes. Il n'est donc pas étonnant que la sensibilité atteigne ici à peine 75%. Finalement, il faut compter avec la possible présence d'inhibiteurs de la polymérase dans l'échantillon biologique analysé. Ce phénomène est détecté par l'absence d'amplification d'un fragment standard d'ADN ajouté à titre de contrôle. Dans ce cas, le laboratoire se doit de rapporter que l'examen est non conclusif (et pas simplement négatif).
Il s'agit d'une cytokine produite par les lymphocytes CD4 activés qui stimule la fonction mycobactéricide des macrophages. Cette cytokine peut aussi être élevée dans les épanchements néoplasiques et parapneumoniques. Elle peut être abaissée dans des épanchements TBC de petite taille. Son dosage est effectué par un kit commercial sur 20 ml de liquide pleural. La valeur seuil suggestive d'épanchement pleural tuberculeux est de 60 à 240 pg/ml.7
Plusieurs études se sont intéressées à la sensibilité, la spécificité et aux valeurs prédictives positives (VPP) et négatives (VPN) de ces tests. Ces deux dernières valeurs sont certainement les plus utiles pour la décision clinique (quelle est la probabilité que mon patient ait ou n'ait pas la maladie si le test est positif ou respectivement négatif ?). La difficulté réside dans le fait que ces valeurs varient fortement en fonction de la probabilité pré-test. Une étude colombienne8 a été effectuée sur 140 épanchements pleuraux dont 44% étaient tuberculeux (ou probablement tuberculeux sur la base de l'évolution clinique). Elle s'est intéressée non seulement à la sensibilité et à la spécificité de ces différentes méthodes (tableau 1) mais aussi aux variations des VPP et VPN (tableau 2) en fonction de la probabilité pré-test (prévalence de la maladie dans la population concernée ou «probabilité clinique»). Par exemple pour une probabilité pré-test de 50%, une ADA positive fait passer cette probabilité (post-test) à 86%. Par contre, dans le même contexte, une ADA négative diminue cette probabilité de 50% à 13%.
Certains cliniciens sont perturbés par le fait que le dosage de l'ADA est une manière indirecte de détecter la tuberculose au niveau pleural puisque ce dosage n'est que le reflet d'une activation lymphomonocytaire et non une méthode de détection directe des BK. Le risque de faux positif existe en effet. Il a été évalué dans une étude américaine qui s'est intéressée au dosage de l'ADA dans les épanchements lymphocytaires non tuberculeux.6 Constatant que la plupart des faux positifs dans le dosage de l'ADA sont dus à des empyèmes (avec prédominance de neutrophiles), les auteurs de cette étude proposent de restreindre le dosage de l'ADA aux épanchements lymphocytaires (> 50% de lymphocytes). Ils nous montrent que par cette sélection, moins de 3% des épanchements non tuberculeux lymphocytaires dépassent le seuil critique de 40 U/l (faux positifs). Le taux d'ADA était, dans cette étude, de 17 ± 7 U/l dans les épanchements post-pontage coronarien, de 15 ± 11 U/l pour les épanchements malins, et de 7 ± 4 U/l pour les transsudats. Des trois épanchements qui présentaient un taux d'ADA au-delà du seuil de 40 U/l, deux étaient secondaires à des lymphomes, et un était parapneumonique.
Ces trois tests sont donc intéressants pour le diagnostic de l'épanchement pleural tuberculeux. Ils ont toutefois leurs limites et ne devraient être utilisés qu'en ayant à l'esprit leur valeur prédictive pour chaque situation.
Dans une série de 159 patients avec épanchements pleuraux lymphocytaires,1 47 (30%) étaient d'origine néoplasique (lymphomateux ou carcinomateux). Les néoplasies à l'origine des épanchements pleuraux métastatiques sont très diverses :9 on retrouve le cancer du poumon dans 30 à 35% des cas, suivi des lymphomes hodgkinien et non hodgkinien. Le cancer du sein est l'étiologie la plus fréquente après le poumon chez la femme. Dans environ 10% des cas l'origine ne peut être déterminée. L'incidence du mésothéliome varie selon la région.
Dans les épanchements d'origine néoplasique, le liquide pleural est hémorragique dans environ la moitié des cas, le pH est abaissé en dessous de 7,310 et le glucose peut être bas dans environ 20% des cas.11 Le nombre de cellules varie entre 1000 et 10 000 par mm3 et 45% des épanchements néoplasiques sont à prédominance lymphocytaire.2 Dans une revue de 281 cas d'épanchements néoplasiques, l'examen cytologique du liquide pleural a permis de poser le diagnostic dans 57% des cas.12 La biopsie pleurale à l'aiguille était positive dans 43% des cas. La thoracoscopie est l'examen de choix si l'on suspecte un épanchement néoplasique alors que la cytologie reste négative.
Le diagnostic différentiel entre mésothéliomes et adénocarcinomes métastatiques de la plèvre reste parfois difficile en dépit de l'utilisation de nouveaux marqueurs caractéristiques de l'une ou de l'autre forme tumorale (calrétinine, thrombomoduline, CD44H pour le mésothéliome, Ber-EP4, CEA, MOC 31 pour les adénocarcinomes, par exemple). Une étude récente13 propose de rechercher les différentes cytokératines CK 5-6-7 et 20 pour différencier ces deux entités. La présence de CK20 dans l'ensemble des cellules tumorales indique la présence d'une carcinose pleurale métastatique et exclut pratiquement le mésothéliome. La constellation CK20+/CK7-, toujours absente dans le mésothéliome, paraît typique des métastases de l'adénocarcinome colo-rectal. La négativité de la CK20 ne permet pas de se prononcer sur l'origine du tissu tumoral, mais la positivité de la CK5-6 est un bon argument pour un mésothéliome de type épithélioïde.
Environ 50% des pontages coronariens sont compliqués d'un épanchement pleural. La grande majorité n'ont pas de répercussions cliniques et disparaissent spontanément. Dans environ 0,5% des cas, un épanchement de grande taille sans autre étiologie peut se développer jusqu'à plusieurs mois après le pontage.14 Les épanchements de ce type survenant plus de trente jours après la chirurgie ont tendance à être lymphocytaires alors que ceux qui surviennent plus précocement sont éosinophiliques et sanguinolents.15 Ce sont des exsudats que l'on trouve plutôt du côté gauche.
Dans la phase aiguë de l'épanchement parapneumonique, on trouve essentiellement des neutrophiles. Dans un deuxième temps, lors de la phase de récupération, on peut parfois trouver une prédominance de lymphocytes.1
Chez un patient avec une arthrite et un épanchement pleural lymphocytaire, le diagnostic différentiel se pose entre un lupus et une polyarthrite rhumatoïde. Dans le lupus on peut trouver un épanchement pleural dans 16 à 44% des cas avec une prédominance de lymphocytes ou de neutrophiles. La présence de cellules LE à la cytologie de même qu'un taux élevé d'ANA et un complément abaissé évoquent cette étiologie. Un glucose normal, des LDH en dessous de 500 U/l et un pH au-dessus de 7,35 permettent de différencier l'épanchement lupique de l'épanchement secondaire à une polyarthrite rhumatoïde (PR). On trouve un épanchement pleural dans environ 3% des PR et outre les caractéristiques citées ci-dessus le facteur rhumatoïde y est habituellement élevé (> 1 : 320).