La prise en charge du cancer localisé de la prostate a beaucoup évolué ces quinze dernières années. D'une attitude passive, qui était de mise, hormis de rares exceptions, encore à la fin des années 70, on passe actuellement à l'administration de plus en plus fréquente de traitements curatifs. Cette évolution est due à l'allongement de l'espérance de vie masculine d'une part, ainsi qu'à l'avènement de l'antigène spécifique de la prostate d'autre part, qui permet de détecter une proportion nettement plus élevée qu'auparavant de tumeurs cliniquement significatives confinées à l'organe. Les différents traitements curatifs sont discutés selon les situations cliniques, ainsi que les bénéfices oncologiques et fonctionnels.
Est-il exact que le cancer de la prostate est une tumeur à progression lente de la personne âgée, et qu'il n'est donc pas forcément nécessaire de la traiter ?
Il est vrai que l'adénocarcinome de la prostate est dans la majorité des cas une tumeur à développement relativement lent de l'homme de plus de 60 ans. Comme point de comparaison, il est intéressant de noter que le temps de doublement de volume d'une tumeur de la prostate se calcule en années, alors que ce même paramètre est chiffré en mois pour le cancer du sein. Ainsi, la perspective passive de prise en charge mentionnée ci-dessus était monnaie courante lorsque l'espérance de vie masculine ne dépassait guère la petite septantaine, soit à peu près jusqu'à la fin des années 70. La plupart des malades décédaient alors avec leur cancer, et non pas en raison de celui-ci. Le dernier quart du XXe siècle a vu l'espérance de vie masculine augmenter significativement à plus de 75 ans.1 La mortalité du cancer de la prostate est ainsi devenue plus apparente, pointant désormais comme deuxième cause de décès pour tumeur. Ainsi, après quinze ans de suivi, 45 à 55% des patients porteurs d'un cancer localisé de la prostate (T1-2, G1-3) uniquement surveillé décèdent de leur tumeur, alors que ce taux de mortalité n'est que de 15 à 20% après prostatectomie radicale.2
Sans aucun doute. Cette protéine spécifiquement prostatique, produite par les cellules épithéliales, et dont la fonction est de liquéfier le liquide séminal, permet désormais de détecter des cancers à un stade précoce, c'est-à-dire confinés à l'organe, et donc susceptibles d'être guéris. Ainsi, il a été mis en évidence que les tumeurs de la prostate détectées par toucher rectal et/ou PSA étaient plus souvent confinées à l'organe (deux tiers des patients biopsiés) que les tumeurs pour lesquelles la biopsie avait été indiquée seulement par un toucher rectal suspect (tumeur confinée à l'organe chez un tiers des patients seulement).3 S'est alors posée la question si les cancers localisés de la prostate ainsi détectés étaient cliniquement significatifs, puisqu'une proportion non négligeable d'entre eux est biologiquement peu agressive. En tenant compte des paramètres pronostiques prépondérants que sont le PSA, ainsi que le volume et le grade de la tumeur, il a été démontré que plus de 80% des tumeurs mises en évidence au moyen du PSA étaient cliniquement relevantes (tableau 1).4 Le PSA est donc une aide essentielle pour détecter les cancers cliniquement significatifs accessibles à un traitement curatif.
Bien que le travail sus-mentionné ait fait date et ait tendance à nous pousser dans cette direction, il n'y a actuellement pas suffisamment de preuves basées sur les faits pour valider la pratique d'un tel dépistage. Le doute persiste notamment car les résultats préliminaires des deux premières études prospectives randomisées comparant la prostatectomie radicale et la surveillance ne seront pas connus avant 2005. Toutefois, l'avènement du PSA et son impact sur l'augmentation des traitements à visée curative concordent récemment aux Etats-Unis avec une diminution annuelle de 2% du taux de mortalité lié à cette tumeur, alors que le reste du monde, plus passif, a vu la proportion de décès dus au cancer de la prostate augmenter de 1% par année.5 Très récemment dans ce même registre, il faut relever que la population masculine du Tyrol autrichien, qui s'est vue offrir le dépistage du cancer de la prostate par le PSA depuis 1993, emboîte le pas des Etats-Unis.6 S'il n'est donc pas encore possible de recommander actuellement un tel dépistage, il est important de prendre conscience que le faisceau de données disponibles sus-mentionnées tend actuellement vers sa possible confirmation d'ici quelques années, lorsque les deux grandes études multicentriques européenne et américaine prospectives sur le dépistage auront rendu leur verdict.
Pratiquement, tout sujet masculin de plus de 50 ans a le droit d'être informé simplement de ces états de fait. A Genève dans ce but, à l'instigation du Pr Charles-Henri Rapin et de votre serviteur notamment, un groupe de travail multidisciplinaire a été mis sur pied (Groupe de travail cancer de la prostate du canton de Genève) patronné par le Département de l'Action Sociale et de la Santé. L'un de ses buts est d'élaborer un tract d'information accessible à tous dans le canton pour la fin du premier trimestre 2003. Quant aux sujets masculins porteurs de l'un ou/et l'autre des deux facteurs de risque avérés de développement d'un cancer de la prostate (hérédité et race noire), il est justifié de leur proposer un dépistage.
Si le taux de PSA sérique est ¾ 10 ng/ml et que le score de Gleason de la biopsie est ¾ 6, plusieurs études ont démontré qu'il y a un risque de métastatisation ganglionnaire et/ou osseuse 7 Différents protocoles sont actuellement à l'étude pour améliorer la précision de l'IRM, notamment avec la spectroscopie multivoxels dans notre institution.
A tout patient dont l'espérance de vie dépasse dix ans, et qui a été informé des bénéfices et inconvénients des thérapeutiques disponibles.
La différence d'efficacité entre les deux traitements n'a été investiguée prospectivement qu'à une reprise il y a plus de vingt ans, à l'avantage de la chirurgie, mais sur un collectif restreint et dont les stades étaient plus avancés qu'actuellement.8 Depuis, les deux types de prestataires présentent des séries plus ou moins convaincantes qui soutiennent leur thérapeutique !9 Par ailleurs, la brachythérapie a vécu depuis dix ans une vigoureuse résurgence. Les analyses comparatives de l'efficacité du contrôle oncologique offert par ces trois méthodes sont malheureusement difficiles pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il y a d'importantes différences de définition de récidive biochimique (réapparition ou rehausse du PSA sérique après traitement) entre chirurgiens et radiothérapeutes. Ainsi, certains ont démontré que si l'on applique les critères de récidive biochimique chirurgicaux aux séries de radiothérapie, à l'instar de ce que l'un d'entre eux propose,10 la prostatectomie radicale serait plus efficace.11 Par ailleurs, plusieurs séries de radiothérapie emploient le biais thérapeutique de la déprivation androgénique néo-adjuvante et adjuvante,12 ce qui n'est pas le cas des grandes études de cohorte chirurgicales. Enfin les techniques de radiothérapie conformationnelle, dont on espère une efficacité accrue, ont un recul actuellement limité. Je relève dans cette foison de littérature deux travaux récents, émanant tous les deux d'équipes associant urologues et radiothérapeutes. Le premier compare la chirurgie et la radiothérapie externe et conclut que les tumeurs à bas et moyen risque oncologique bénéficient plus avantageusement de la prostatectomie radicale, alors que l'efficacité est identique pour les hauts risques.13 Le second démontre que les patients dont l'âge est de 60 ans ou moins, traités par radiothérapie, courent un risque élevé de récidive.14
Le risque d'impuissance, de l'ordre de 50%, est identique pour les deux thérapies.15,16 Ce risque dépend notoirement de l'âge du patient et du rythme de sa pratique sexuelle avant traitement. Lorsque les deux nerfs érecteurs peuvent être épargnés au cours de la prostatectomie radicale par un opérateur confirmé, le taux d'impuissance postopératoire peut diminuer à 20-30%,17 tout en étant modulé par les facteurs sus-mentionnés.
Il est difficile de répondre à cette question, puisque mon point de vue est forcément biaisé par la prestation que je propose. Toutefois, si j'étais porteur d'un cancer de la prostate cliniquement significatif, ainsi qu'en fonction des données ci-dessus et de ma petite expérience, je choisirais de me faire opérer. La prostatectomie radicale a vu sa morbidité décroître (cf. l'article «Prostatectomie radicale : l'abord laparoscopique» de ce numéro ; p. 2321) et procure une fonction génito-urinaire postopératoire dont la qualité a nettement augmenté cette dernière décennie. Preuve en est une récente série de plus de 1000 patients opérés, dont 80% rechoisiraient la chirurgie radicale.18 Plus récemment, la qualité de vie a été évaluée équivalente chez plus de 300 patients traités soit par prostatectomie radicale ou surveillance selon un protocole prospectif randomisé.19
Si le patient hésite face à la solution chirurgicale après avoir été informé, il est de rigueur de l'adresser à un confrère radiothérapeute.20 Par ailleurs, la radiothérapie apparaît immédiatement appropriée dans trois situations : lorsque le patient doit ou désire à tout prix éviter une intervention, lorsque celui-ci va psychiquement tolérer de ne pas se faire enlever sa tumeur, et lorsque la néoplasie a dépassé la capsule. Dans cette dernière situation, il est difficile pour le chirurgien d'aboutir à un stade postopératoire confiné à l'organe ou au spécimen, alors que le patient peut bénéficier de l'association radiothérapie-déprivation androgénique.12
Parmi les nouvelles thérapeutiques arrivant sur le marché, on a beaucoup entendu parler du traitement focalisé par ondes ultrasonores à haute intensité (HIFU : High Intensity Focused Ultrasound). Qu'en est-il ?
Cette intéressante thérapeutique mini-invasive, qui nécessite pour le moins une anesthésie loco-régionale, permet d'administrer avec précision à distance de l'émetteur une onde ultrasonore qui résulte en énergie thermique aboutissant à une destruction tissulaire localisée. Les résultats sont encourageants, avec 60 à 70% de survie sans maladie à 18 mois.21,22 Toutefois, la médiane de suivi de la plus grosse série actuelle21 est inférieure à trois ans, ce qui est insuffisant pour garantir actuellement, hormis sur une base protocolaire, ce traitement chez les patients de moins de 65 ans.
J'ai confiance en une amélioration progressive de cette prise en charge. Plusieurs études en cours tant sur le dépistage que sur certains nouveaux traitements vont apporter des réponses aux nombreuses questions que soulève le cancer localisé de la prostate. Si on me demandait de parier, j'aurais tendance à pronostiquer que le dépistage de l'adénocarcinome va être validé pour les raisons évoquées ci-dessus, et également parce que les traitements radicaux vont devenir de moins en moins invasifs. Par ailleurs, il faut espérer que la protéomique va permettre de mettre en évidence un marqueur non seulement spécifique d'organe comme le PSA, mais également cancer-spécifique, ce qui est malheureusement le défaut de l'antigène spécifique de la prostate. Quant à la médecine préventive, on attend d'elle qu'elle précise certains facteurs de risque qui pointent à l'horizon, notamment nutritionnels tels que les graisses animales.23