La prothèse totale de hanche est devenue une intervention courante. L'étude du devenir et de l'«outcome» des patients est importante non seulement pour les besoins individuels de chaque patient mais aussi pour établir un contrôle permettant d'éviter une épidémie de mauvais résultats nécessitant une réintervention à cause de défauts liés aux implants ou encore à la technique chirurgicale employée.
La mise en place d'une prothèse totale de hanche (PTH) est une des interventions électives les plus réussies et les plus efficaces concernant les coûts (cost-effective). L'amélioration de la qualité de vie est considérable et le pourcentage de réussite avoisine 90% à dix ans d'intervention.1,2,3,4
La PTH est une opération très fréquente (plus de 1 000 000/par année dans le monde et 17 500/par année en Suisse) avec tout de même un nombre absolu non négligeable de complications vu la grande incidence de l'intervention (243/100 000 par année). Il est donc nécessaire de contrôler continuellement la procédure afin d'assurer un résultat satisfaisant pour le patient et afin d'améliorer la qualité.
La meilleure méthode pour connaître le «outcome» d'une intervention est le suivi régulier des patients. Il peut inclure l'anamnèse, l'examen clinique, des questionnaires et des scores cliniques validés et un examen radiologique standardisé.
Il existe des registres PTH au niveau national notamment en Suède (fondé en 1979 par Herberts),5 en Finlande (depuis 1980)3 et en Norvège (depuis 1987).4 D'autres pays comme par exemple la Grande-Bretagne6 et les Etats-Unis disposent de bases de données PTH régionales plus récentes.
Aux Hôpitaux universitaires de Genève, chaque année, 250 à 300 patients bénéficient d'une prothèse totale de hanche. L'âge moyen des patients est de 70 ans (20-98), 60% sont des femmes.
Dans 70 à 80% des cas la pathologie de base est l'arthrose primaire.3,4 Vingt à 30% sont des arthroses secondaires provoquées par les causes suivantes (par ordre de fréquence décroissante) : la nécrose aseptique d'origine diverse (corticostéroïdes, alcool, post-transplantation, idiopathique), les arthrites inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde, l'arthrite juvénile, la spondylarthrite ankylosante et rarement des coxites, on trouve également les dysplasies de hanche, les fractures anciennes ou récentes du fémur et du cotyle, les tumeurs ou métastases et la maladie de Paget.7
La plupart des implants utilisés aux Hôpitaux universitaires de Genève sont des prothèses dites hybrides où le composant fémoral est cimenté et le composant acétabulaire est non cimenté. En cas de défect osseux ou de mauvaise qualité un composant acétabulaire cimenté est parfois implanté. Chez les patients jeunes, des implants non cimentés seront le plus souvent utilisés.
Dans les suites immédiates d'une prothèse totale de la hanche les complications majeures sont la maladie thrombo-embolique, les infections postopératoires aiguës ou tardives, les ossifications péri-articulaires, les luxations, la non-consolidation du grand trochanter et les lésions neuro-vasculaires intra-opératoires.7
A plus long terme la complication la plus fréquente et la plus importante est le descellement aseptique de la prothèse, car il menace la survie de l'implant. Radiologiquement, on trouve des zones de résorption osseuse ou d'ostéolyse autour des composants implantés. La résorption peut être linéaire ou expansive et son développement est lié à trois facteurs : usure et production de débris de particules, courant de particules autour de l'os périprothétique et ostéolyse sur activation par les particules des macrophages et des ostéoclastes.
Cliniquement, les patients sont en général asymptomatiques tant que l'implant est bien fixé. Parfois, ils peuvent présenter une synovite liée à une usure importante ou une fracture au niveau d'une zone d'ostéolyse. Les patients jeunes, de sexe masculin ou les patients très actifs sont plus à risque de développer une ostéolyse.
Le traitement actuel du descellement aseptique d'une prothèse est la révision chirurgicale avec changement partiel ou total des composants. La décision de réintervenir dépend des symptômes, de l'état général du patient, de la fixation de l'implant, ainsi que du degré et de la localisation de l'ostéolyse.7
En mars 1996 une base de données, permettant de récolter prospectivement des informations sur les prothèses totales de hanches, a été mise en place dans le service d'orthopédie. Elle contient actuellement des données sur environ 1800 PTH primaires et 130 révisions de prothèses. A cette base est également lié un archivage d'images radiologiques.
Pour saisir le plus objectivement possible l'évolution d'un processus chez un individu (par exemple le degré de handicap physique avant et après une intervention) et pour mieux mettre en relation ces résultats avec des résultats d'autres personnes, des questions et des examens standardisés ont été introduits. On distingue des mesures de santé générale et des mesures spécifiques pour une maladie (dans ce cas la coxarthrose).
Le «Medical Outcome 12-Item Short Form Health Survey» (SF-12)8 est un questionnaire de santé générale qui est rempli par le patient. Il comprend douze questions, qui appartiennent à deux groupes : des questions sur l'état physique et des questions sur la santé mentale. Des informations sur le SF-12 nous permettent de mieux analyser par exemple les résultats d'une intervention comme la prothèse totale de hanche, dans le contexte général du patient.
Parmi les scores et questionnaires spécifiques pour la hanche, nous utilisons la classification de Charnley9 qui permet de distinguer entre les patients avec une coxarthrose unilatérale (catégorie A) ou bilatérale (catégorie B) et les patients avec une maladie générale ou une atteinte multi-articulaire affectant la fonction de la hanche (catégorie C). La classification de Charnley est très importante à connaître pour chaque patient à chaque contrôle car il précise «l'état articulaire général» du patient qui influence beaucoup le résultat des autres mesures spécifiques pour la hanche.10 La proportion de patients de la catégorie C augmente progressivement avec l'âge et la durée du suivi indépendamment de l'état de la prothèse.
Le score de Merle d'Aubigné modifié par Postel est connu depuis 195411 et il est très répandu en Europe. L'instrument contient les trois «items» douleur, fonction et mobilité de la hanche. Le meilleur résultat possible est de 18 points.
Le Harris Hip Score (HHS) a été introduit par Harris en 1969.12 Il comprend également une partie anamnèse et une partie examen clinique tenant compte de la douleur, de la fonction et de la mobilité de la hanche (article de Laupacis, Journal of Bone and Joint Surgery, 1993). Un résultat entre 90 est 100 points est défini comme excellent, entre 80 et 90 comme bon, entre 70 et 80 comme moyen et au-dessous de 70 comme mauvais.
Nous avons progressivement remplacé le score de Merle d'Aubigné par le score de Harris dans le contrôle des patients car il est plus fréquemment utilisé dans la littérature orthopédique.
Dernièrement, nous avons introduit dans notre base de données un questionnaire spécifique pour la hanche qui est le Western Ontario and Mc Master University Osteoarthritis Index (WOMAC).13 Ce questionnaire est rempli par le malade et a l'avantage, (comme le SF-12) de permettre un suivi par courrier. Le WOMAC est validé pour plusieurs langues. Il est très répandu au niveau international, ce qui permet de comparer les résultats de différents centres et de différents implants. Les questions proviennent des trois domaines douleur, fonction et raideur au niveau de la hanche.
L'examen radiologique consiste en une radiographie standard du bassin de face et une radiographie de la hanche en axiale. Les images sont prises en pré- et postopératoire et lors des contrôles. Elles sont archivées sous forme numérisée.
Les radiographies seront analysées avec l'aide d'un programme informatisé qui mesure l'usure de la prothèse. Nous utilisons les critères d'ostéolyse de Hodgkinson et coll.14 pour la cupule, les critères de Harris et coll.15 pour les tiges cimentées et les critères de Engh et coll.16 pour les tiges non cimentées.
La récolte des données comprend des informations sur la période pré-opératoire, l'opération, la période postopératoire et les contrôles (pour l'instant des contrôles à cinq ans).
Lors de la consultation pré-opératoire l'anamnèse et l'examen clinique sont documentés. Deux scores cliniques spécifiques pour la hanche (score Merle d'Aubigné/classification de Charnley et score de Harris) sont également établis pour chaque patient.
En outre, il est également demandé au patient de remplir un questionnaire de santé générale (SF-12) ainsi que le questionnaire WOMAC avant l'opération. Un examen radiologique est effectué.
Le rapport opératoire, décrivant le déroulement de l'opération, comprend des détails sur les implants et la qualité osseuse, la situation anatomique avant et après l'intervention ainsi que d'éventuelles complications. Certaines informations concernant l'anesthésie y figurent également.
Le rapport de sortie contient des informations sur la durée de l'hospitalisation, les examens postopératoires et les complications générales et orthopédiques postopératoires immédiates.
Depuis mars 2001 nous effectuons des contrôles à cinq ans de l'intervention. Le patient est contacté par lettre et/ou téléphone, il lui est également demandé de remplir deux questionnaires (SF12 et WOMAC). Comme pour la partie pré-opératoire l'examen clinique comprenant à nouveau la classification de Charnley, les scores cliniques de Merle d'Aubigné et de Harris ainsi que l'examen radiologique standardisé sont pratiqués.
En outre, le patient est interrogé sur son degré de satisfaction concernant l'intervention. Nous utilisons deux échelles de 1-10 (comme pour les échelles de douleur) pour quantifier la satisfaction concernant la douleur et concernant la fonction.
Les complications survenues durant la période entre l'hospitalisation et le contrôle sont documentées en détail.
Selon les circonstances de base et les résultats des contrôles (par exemple degré d'usure de la prothèse, prothèses bilatérales, patients jeunes, prothèses révisées), les patients sont convoqués pour un prochain contrôle entre une année et cinq ans plus tard.
Il est important de souligner que la majorité des patients avec des lésions ostéolytiques est asymptomatique. Par conséquent, une évaluation clinique et radiologique régulière est nécessaire pour limiter une progression si possible et pour détecter à temps les prothèses nécessitant une révision afin de les réopérer dans les meilleures conditions.
De plus, le suivi systématique des patients permet à chaque institution de contrôler (ou analyser) la qualité de la procédure aussi bien au niveau du matériel (particulièrement important à cause de l'introduction fréquente de nouveaux implants) qu'au niveau des techniques chirurgicales.
Car c'est en identifiant les besoins individuels des patients et les facteurs de risque pour les complications que la qualité de l'intervention peut être améliorée.