Ce qui est «faisable» doit-il impérativement être «fait» ? Et pourquoi ? Cette question traditionnelle et passionnante des cours de philosophie devient de plus en plus prégnante dans le paysage scientifico-médical, alors même que la philosophie disparaît des urgences pédagogiques contemporaines françaises et occidentales. Les biotechnologies, le clonage, la recherche sur l'embryon ou encore les travaux sur les cellules souches humaines, lui confèrent chaque jour une actualité nouvelle. Aussi toute entreprise journalistique et médicale, un tant soit peu humaniste sinon ambitieuse, ne peut plus faire l'économie d'un traitement régulier de ce nouveau continent émergent dans le champ de la pensée contemporaine.Quelques jours avant l'annonce, dans les colonnes de l'hebdomadaire Nature du 5 décembre, de la fin du séquençage exhaustif du génome de la souris, un groupe de neuf chercheurs canadiens et américains se rencontraient à New York pour un échange de vues et de projets concernant la création d'un hybride de souris comportant en son sein des cellules souches humaines. L'affaire a été rapportée en détail dans le New York Times. «L'objectif serait de tester différents types de cellules souches d'embryon humain pour leur qualité et leur utilité potentielle dans le traitement de maladies spécifiques» a expliqué l'un des participants. Aucune décision n'a encore été prise concernant le développement éventuel de telles expériences, avec des hybrides qui ne seraient que des souris avec un nombre de cellules humaines fonctionnelles limité. La controverse est ouverte. D'ores et déjà, certains scientifiques mettent en garde contre les conséquences potentiellement inquiétantes qui pourraient découler de telles expériences, tandis que d'autres affirment qu'un dispositif de garde-fous pourrait prévenir tout résultat non désiré. Le débat ne porte pas sur la nécessité et l'intérêt a priori des recherches menées sur les cellules souches humaines ou animales. Mais il concerne les frontières qui doivent ou non être respectées quant à la création de mammifères qui pourront être présentés comme ayant été structurellement et fonctionnellement «humanisés» y compris au sein de leur système nerveux central. Pour le Dr J. Rossant (Hôpital Mount Sinaï de Toronto), de telles créations ne sont nullement nécessaires et si les cellules souches humaines injectées devaient induire des modifications majeures chez les souris, de tels travaux apparaîtraient rapidement inacceptables aux yeux de l'opinion publique. Pour sa part, le Dr I. Weissman, spécialiste des cellules souches à l'Université de Stanford, estime, selon l'Agence France-Presse «hautement peu probable qu'une souris produisant du sperme humain puisse accidentellement être autorisée à féconder des ovules de souris provenant de cellules humaines». Ce spécialiste a aussi assuré «qu'il était possible d'empêcher les effets non désirés qui pourraient résulter de pareilles expérimentations l'éventualité d'une souris avec un cerveau fait de cellules humaines ou une souris capable de produire du sperme humain en supprimant certains gènes des cellules humaines avant de les injecter à la souris.» Qui sait, aujourd'hui, si des cellules souches issues d'embryons humains pourraient survivre et se développer au sein d'un blastocyste de souris ? Dès lors, pourquoi ne pas tenter ? Si tel était le cas, cela aurait un grand intérêt, estime A. Brivanlou, biologiste travaillant à l'Université Rockefeller, organisateur de la réunion des neuf chercheurs qui s'est tenue à l'Académie des sciences de New York. Et le Dr Weissman juge que de telles expérimentations pourraient sans aucun doute aider utilement à la compréhension de certains mécanismes de physiologie et de physiopathologie.L'avenir ? Sur la terre qui a donné naissance à Steinbeck, à Mickey Mouse comme à l'homme araignée, cette terre qui goûte tant les joies de l'anthropomorphisme et du réductionnisme, la création des souris humanisées n'est plus qu'une affaire de temps. Nous pourrons toujours nous repaître des mythes méditerranéens et du croisement des dieux de l'Olympe avec toutes les formes de vies terrestres et, donc, mortelles. Deux chiffres, pour conclure, issus du Mouse Genome Sequencing Consortium : le génome de la souris est, en éléments unitaires, inférieur de 14% à celui de l'homme mais il lui est totalement similaire pour 80%.