Voilà. On vient en pompes granguignolesques de faire entrer les restes d'Alexandre Dumas au sein des ombres immortelles du Panthéon républicain ; des hommes à cheval, déguisés en mousquetaires, ont participé à la cérémonie dans un Paris oublieux de l'Avent commençant, mais avide d'achat des cadeaux de Noël ; et dans le crépuscule humide, on célébrait au même instant la journée planétaire de lutte contre le sida. Qui nous dira, jamais, pourquoi cette funeste journée coïncide avec les peurs séculaires inhérentes à l'entrée dans le noir et dans le froid, l'effroi ? Hasard ? Fatalité ? Résurgence d'un mythe nouveau que rythment désormais les chiffres de l'épidémiologie ?Pour l'heure, celle de 2002, nous sommes, avec Alexandre Dumas, vingt ans après ; ou presque. Ils étaient bien trois au minimum au départ de la cavalcade virologique. Montagnier, Gallo et Essex avec peut-être un Robin Weiss en quatrième obligé. On laissera aux lecteurs avertis de Médecine et Hygiène le soin de filer la métaphore sur le Cardinal, Milady et les ferrets. Ils ne sont plus que deux à caracoler sous les phares des médias et des publications internationales. Deux : «Bob» Gallo l'Italo-américain et Luc Montagnier le Français si peu parisien ; deux enfin réconciliés après une querelle hautement médiatisée qui dépassa de beaucoup leur personne et dont l'histoire reste, avec eux, à écrire. Nous évoquions il y a peu (Médecine et Hygiène du 11 décembre) les prolégomènes éclatants de ces retrouvailles accessibles dans les colonnes de Science et, en France, du Figaro. Mais nous ne donnions alors, faute de place, que la parole à Montagnier dont Gallo ne parvient toujours pas à prononcer correctement le prénom, renvoyant le Luc chrétien à une forme sonore ayant à voir avec les justement célèbres olives provençales de «Lucques.»Gallo, donc, commençant enfin à écrire ce qui restera l'un des plus beaux chapitres de l'histoire des sciences biologiques modernes. «J'ai entendu parler du sida pour la première fois en 1981 par des articles de journaux, mais aussi de façon plus informative, au cours de conférences données par Jim Curran, des CDC, qui pensait déjà qu'il s'agissait très certainement d'un nouveau virus.» Gallo, encore : «J'ai rencontré Luc Montagnier, de l'Institut Pasteur, pour la première fois en 1973. En janvier 1983, Montagnier et son collègue Jean-Claude Chermann commençaient à étudier des cultures de globules de patients soupçonnés d'être atteints du sida. Ils m'ont fait part de leurs premiers résultats (
). Mon collègue Max Essex et moi-même leur avons suggéré de soumettre nos résultats en commun et trois rapports préparés par les deux groupes ont été publiés en mai 1983 (
). En février 1983, un clinicien (Jacques Leibowitch) est arrivé de Paris avec des échantillons globulaires de patients atteints de sida. Un de ces échantillons provenait d'un homme («CC») qui avait reçu des transfusions sanguines à Haïti. Alors que notre analyse avait initialement indiqué que ses lymphocytes T contenaient deux formes du même virus, des méthodes plus sophistiquées ont rapidement permis de révéler que ces lymphocytes T contenaient deux rétrovirus distincts : HTLV1 et ce que nous avons par la suite défini comme étant le VIH.»Gallo, enfin : «Lors de la publication de notre article au mois de mai 1983, nos cultures de rétrovirus, faute d'une séparation adéquate, contenaient des HTLV. Ainsi, l'article publié par Montagnier-Chermann est sans équivoque le premier sur le véritable isolement du VIH d'un patient atteint de lymphadénopathie.» Ainsi la guerre est-elle finie ? Ainsi les querelles sont-elles enterrées, les Lumières retrouvées et réunies ? Ainsi les mânes des mousquetaires, d'Artagnan compris, pourraient-ils enfin rejoindre le Panthéon du positivisme biologique et de la science agissante ?Tout cela serait trop simple pour être vrai, sinon honnête. Gallo, dans la foulée : «Toutefois, la cause du sida restait inconnue. Dès l'été 1983, notre groupe avait réussi à obtenir la preuve de l'existence d'un rétrovirus lié aux HTLV chez de nombreux patients atteints du sida et du présida.» Montagnier : «Nos résultats étaient encore controversés et nous avions du mal à obtenir les financements nécessaires pour mieux caractériser le virus et développer les tests de dépistage. La tendance ne s'est inversée que lorsque Robert Gallo et son groupe aux Etats-Unis ont fait une découverte similaire. Au printemps 1984, Gallo a publié des preuves plus convaincantes que le VIH était effectivement la cause du sida.» 1984-2002. Les épées sont devenues des fleurets mouchetés ; on peinerait à dire où sont les dames, les ferrets, les traîtres, le Roi. On sait en revanche que si avec le sida la mort est là, triomphante et planétaire, l'honneur est, presque, sauf.