L'année 2002 a permis d'observer, au travers de la lecture des journaux spécialisés, la confirmation des espoirs mis dans diverses approches thérapeutiques, dont l'utilisation des taxanes dans le cancer du sein, et le développement de nouveaux produits pour soutenir les patients lors des chimiothérapies. Cet article revoit quelques-uns de ces progrès, se limitant à l'évaluation des données pour lesquelles il existe des arguments suffisants pour en espérer une importance dans la pratique quotidienne du cancérologue.
Comme chaque année, il faut faire un choix parmi tous les articles publiés dans la littérature et se rapportant à l'oncologie médicale. Nous avons essayé de présenter les rapports d'études susceptibles d'avoir une importance pour la pratique clinique en oncologie médicale, soit dans l'immédiat, soit dans le futur. Nous avons aussi parfois débordé de ce domaine, pour indiquer des travaux intéressants dans les deux autres domaines cliniques, la prise en charge du patient oncologique se devant d'être multidisciplinaire. Cette vision partielle et partiale de la littérature ne veut pas dire que de nombreuses approches thérapeutiques prometteuses n'existent pas en plus de celles mentionnées.
La mammographie comme moyen valable en termes de santé publique pour la détection précoce du cancer du sein est restée au cur d'une controverse. L'équipe de l'étude dite des «Deux-Comtés» en Suède1 a actualisé ses résultats, positifs en faveur de l'utilisation de ce test, avec une diminution de la mortalité chez les patientes ayant bénéficié d'une mammographie de dépistage, avantage maintenu de longues années après l'introduction de cette technique. Ce qui ressort clairement de la correspondance qui a suivi la publication de cet article est l'importance de la qualité des examens effectués, qui relève actuellement encore de l'expérience du radiologue qui en fait la lecture. La situation actuelle reste celle d'une grande majorité d'experts favorables à la mise en place de campagnes de détection précoce du cancer du sein chez une population générale âgée de 50 à 70 ans, campagne justifiée sur un plan socio-économique, en tout cas dans les régions où la majorité des femmes ne bénéficie pas déjà d'une prise en charge sophistiquée, ce qui est le cas dans de nombreuses villes européennes.
Certains ont proposé que l'auto-examen des seins pourrait être utile dans les pays qui ne peuvent se permettre les mammographies de détection précoce. Malheureusement, l'étude conduite en Chine par Thomas et coll.2 a vu ses résultats finals récemment publiés, et ils restent tout à fait négatifs sur le plan de l'impact sur la survie. Il n'en reste pas moins important, dans les pays en voie de développement et même chez nous, de continuer à signaler aux femmes que l'apparition dans les seins d'un nodule qui persiste après les règles, ou l'apparition après la ménopause d'un nodule dans les seins, exige un examen immédiat chez le spécialiste. Cela n'aura peut-être pas une influence définitive sur la mortalité due au cancer du sein, mais pourra éviter que les patientes n'arrivent dans des situations rendues difficilement opérables par méconnaissance complète de l'implication d'un nodule, lequel est malheureusement souvent d'origine tumorale.
L'utilisation d'strogènes après traitement d'un cancer du sein, chez les patientes qui en ont besoin, reste objet de controverse aussi dans l'attente d'une étude prospective randomisée qui permette de clarifier le risque relatif que peuvent courir ces patientes. Notons à ce sujet une récente publication3 qui indique, dans le cadre d'une petite étude pilote, que le risque chez des patientes ayant un cancer du sein à récepteurs hormonaux négatifs, ou traitées plus de dix ans après leur cancer du sein est extrêmement faible. Bien évidemment, la question d'un traitement de remplacement hormonal doit être discutée en fonction des résultats de l'importante étude prospective américaine4 qui indique une diminution du risque de tumeur du côlon chez les patientes bénéficiant d'une substitution hormonale, alors qu'il y a une augmentation du risque cardiovasculaire et des risques de cancer du sein chez de telles patientes, en tout cas après l'emploi prolongé d'une substitution combinée.
La tradition actuelle dans le cadre du cancer du sein avec atteinte osseuse, est d'utiliser des bisphosphonates par voie intraveineuse, bien que l'on dispose déjà de bisphosphonates par voie orale. Malheureusement, du moins selon les autorités d'enregistrement, ces derniers n'auraient pas jusqu'ici démontré une efficacité jugée suffisante pour être introduits dans le cadre du traitement du cancer du sein. La parution d'une étude sur le clodronate dans le cadre d'un traitement adjuvant du cancer du sein relance l'intérêt pour ces produits oraux.5 Dans cette étude qui a inclus 1069 patientes traitées entre 1989 et 1995, et suivies pour une période d'environ 2000 jours, on a constaté une diminution de la métastatisation osseuse pendant la durée du traitement avec des bisphosphonates (clodronate 1600 mg/j p.o. administré pendant deux ans) avec perte de cet effet protecteur après l'arrêt du traitement de bisphosphonates. Il est remarquable que cette étude, comme quelques autres avec des bisphosphonates, montre une diminution de la mortalité due au cancer du sein, relançant de ce fait non seulement l'intérêt pour la forme orale, mais pour d'autres études confirmatives. Ces données sont d'autant plus importantes que les traitements antitumoraux peuvent engendrer une ostéoporose, ce qui sera discuté dans cet article sous l'aspect des traitements hormonaux.
Le groupe américain NSABP (National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project) a enfin publié les résultats définitifs d'une étude évaluant l'importance de l'adjonction de tamoxifène à une radiothérapie dans le cadre du traitement après chirurgie conservatrice des tumeurs de moins de 1 cm.6 Cette équipe démontre, si besoin était, que le tamoxifène a son importance dans la prévention de la rechute et du développement de tumeurs controlatérales chez ces patientes. Vu qu'il s'agit de tumeurs invasives, avec des marges opératoires dont la définition reste problématique, la démonstration de l'utilité de la radiothérapie pour diminuer le risque de rechute locale en cas de chirurgie adéquate est difficile à discuter. Il n'empêche que, de nos jours, on doit se poser beaucoup de questions sur le rôle de ce traitement complémentaire dans des situations particulières, et que de nouvelles études devront être faites. En effet, cinq à sept semaines de traitement complémentaire peuvent être difficiles dans de nombreuses situations, et doivent être justifiées par d'autres arguments que ceux d'une chirurgie parfois conduite avec trop de conservatisme. Il est possible que l'introduction progressive d'une radiothérapie peropératoire dans la salle d'opération elle-même rende cette discussion obsolète, mais les études sont actuellement en cours et les calculs coût/bénéfice de l'introduction de cette méthodologie ne sont pas encore terminés.
Le fulvestrant est un nouveau produit dont l'efficacité se base sur son interaction avec le récepteur aux strogènes, qu'il détruit de façon irréversible. Une étude le comparant à l'anastrozole chez 400 patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique a donné des résultats jugés encourageants pour éventuellement développer le fulvestrant comme première ligne de traitement hormonal après l'échec du tamoxifène, avant l'utilisation des anti-aromatases.7 Ce point reste cependant à discuter, face à un traitement qui s'administre par une injection intramusculaire mensuelle contre l'utilisation de comprimés (1 cp/j) pour les anti-aromatases. Une deuxième étude donnant des résultats du même type, comparant le fulvestrant® à une anti-aromatase, sera bientôt présentée et permettra de discuter la stratégie mentionnée.
La prévention d'un cancer du sein par le tamoxifène reste débattue, vu qu'il n'y a pas eu de démonstration d'une implication sur la survie des patientes. Une mise à jour des résultats du groupe italien8 et la publication des résultats du groupe britannique et international (étude IBIS-I9) permettent de penser que cette approche préventive doit rester réservée à des situations où le risque d'un cancer du sein hormono-dépendant est très élevé.
La publication de l'étude ATAC,10 sous une forme préliminaire, nous permet de constater qu'il y a un modeste avantage à l'utilisation de l'anastrozole par rapport au tamoxifène dans une cohorte de 9366 patientes, dont 84% seulement étaient connues pour avoir des récepteurs hormonaux positifs : l'anastrozole permet une diminution du risque de rechute de 2% à trois ans par rapport au tamoxifène chez les patientes n'ayant pas reçu une chimiothérapie. Il est tout à fait possible que cet avantage en terme de rechute se traduise ultérieurement par un avantage en terme de survie, même si cela n'est pas certain, puisque dans le cadre des traitements de cancer du sein en situation métastatique il est possible d'obtenir des résultats avec d'autres traitements hormonaux après l'échec du premier, diminuant de ce fait l'impact du traitement de première ligne. Le coût, et certains effets secondaires de l'anastrozole ne sont certainement pas négligeables, surtout chez les personnes âgées à risque d'ostéoporose. Par contre, l'anastrozole a quelques avantages : problèmes thromboemboliques et cérébrovasculaires moindres, et absence de carcinome endométrial provoqué par l'effet strogénique du tamoxifène. Le consensus actuel est d'utiliser l'anastrozole chez les patientes qui ne tolèrent pas le tamoxifène, ou qui sont à haut risque de problèmes vasculaires.
Deux études publiées en 2002 indiquent l'impact que peuvent avoir les taxanes dans le traitement néoadjuvant du cancer du sein. La première, à laquelle nous avons déjà fait allusion dans le passé, montre que l'utilisation du docetaxel (Taxotère®) après quatre cycles d'une chimiothérapie à base d'anthracyclines, permet d'augmenter nettement le taux de réponse complète pathologique, dans un collectif étudié de 162 patientes. Bien que petite, cette étude démontre d'une façon claire que l'utilisation de deux produits pour lesquels il n'y a que peu de résistance croisée permet d'obtenir des résultats largement supérieurs à l'utilisation continue du même produit, même chez des patientes qui répondent initialement à celui-ci.11 Ce principe important pour la cancérologie devrait être davantage exploité, et il l'a aussi été avec l'utilisation du paclitaxel dans une étude préliminaire.12 Une très grande étude de traitement néoadjuvant a été présentée lors du congrès américain d'oncologie clinique (ASCO) en mai 2002. Cette étude, conduite par le groupe NSABP, montre aussi l'importance du docetaxel, avec la réserve que la comparaison se fait entre quatre cycles seulement à base d'anthracyclines, et quatre cycles à base d'anthracyclines suivis de quatre cycles à base de docetaxel, soit huit cycles.
Si le rôle des taxanes dans le traitement néoadjuvant semble s'affirmer, il reste encore débattu dans le traitement adjuvant, et nous ne rapporterons pas ici les résultats détaillés de l'étude présentée lors de la réunion de l'ASCO, qui ont montré que le docetaxel améliorait significativement le pronostic des patientes traitées avec une chimiothérapie adjuvante en cas d'opération d'un cancer du sein avec ganglions positifs. Cette amélioration, dans certains groupes de patientes de la survie et dans tous les groupes de la survie sans rechute, contrairement à ce qui a été observé avec le paclitaxel, a fait proposer sur la base de cette seule étude, l'utilisation du docetaxel dans le traitement adjuvant des patientes à haut risque.
Le rôle de la castration chimique comme traitement adjuvant du cancer du sein chez la femme préménopausique est de plus en plus accepté. A côté d'autres études, une publication comparant la chimiothérapie appelée CMF (version intraveineuse J1 et J8) à un LHRH administré trimestriellement et induisant une ménopause chimique montre des effets comparables entre les deux traitements. La question ouverte est bien évidemment de savoir si la chimiothérapie a un rôle complémentaire, comme l'indique la méta-analyse dite d'«Oxford» pour l'association entre tamoxifène et chimiothérapie.13
Cependant, il faudra encore tenir compte des données complémentaires par rapport au traitement adjuvant du cancer du sein présentées lors de la réunion dite «de San Antonio» en décembre 2002 et probablement la conférence de consensus de St-Gall en mars 2003 permettra-t-elle de donner au praticien de nouvelles lignes directrices pour le traitement adjuvant du cancer du sein avec chimiothérapie.
Enfin, signalons une étude comprenant 435 patientes avec des cancers du sein de moins de 1,2 cm, dont l'aisselle était cliniquement négative. Ces patientes ont été randomisées pour bénéficier soit d'une radiothérapie complémentaire à l'aisselle non opérée, soit d'une chirurgie limitée au sein, sans traitement complémentaire de l'aisselle. Avec un suivi médian de 42 mois, on ne constate pas de différence entre les deux bras de l'étude, ce qui rassure tous les investigateurs et les patientes qui ont accepté de participer à des études semblables conduites par divers groupes dans le monde entier.14
L'association de docetaxel et capecitabine comme traitement standard chez les patientes ayant une maladie devenue réfractaire aux anthracyclines a été établie par une étude publiée par une équipe internationale, démontrant un avantage en termes de survie (médiane 11,5 mois versus 14,5 mois avec l'association mentionnée) et une augmentation du taux de réponse (42% avec l'association mentionnée, versus 30% avec le docetaxel seul). L'association proposée comporte une toxicité qui peut probablement être modulée en faisant attention à la clairance à la créatinine des patientes et en adaptant de ce fait la dose de capecitabine.15
Une évaluation d'un traitement combiné anthracyclines-taxanes versus utilisation initiale de l'un ou l'autre des composés de la combinaison permet de proposer que les taxanes restent le médicament de premier choix dans les cancers du sein métastatiques, puisque les taxanes seuls ou une association anthracyclines-taxanes donnent des résultats similaires chez des patientes en première ligne métastatique, alors que le début du traitement avec des anthracyclines seules donne un taux de réponse nettement moindre. Cependant, vu la possibilité de traiter en deuxième intention avec un taxane en obtenant d'excellents résultats, chez certaines patientes il est parfaitement concevable de commencer tout d'abord avec une anthracycline, qui peut être parfois bien tolérée par rapport au docetaxel, qui était le taxane utilisé dans l'étude mentionnée.16
Une étude de l'Organisation européenne de recherche et de traitement du cancer (EORTC)17 montre que l'association simultanée de paclitaxel et adriamycine n'apporte aucun avantage aux patientes par rapport à une association plus classique cyclophosphamide-adriamycine. Dans cette étude les patientes qui ont progressé après l'utilisation du traitement classique cyclophosphamide-adriamycine ont pu, dans la grande majorité des cas, bénéficier de l'utilisation d'un taxane en deuxième intention. D'autre part, l'association simultanée du paclitaxel et de l'adriamycine a conduit à une toxicité cardiaque que l'on n'observe pas en prenant des précautions, par exemple en laissant un intervalle de 24 heures entre ces deux produits, comme le font de nombreux groupes.
Peut-être un jour parlerons-nous moins de cette maladie liée à l'abus du tabac qui constitue l'un des fléaux de notre société. Le rôle éventuel des scanners pour la détection précoce du carcinome pulmonaire continue à être débattu, en attendant le résultat des diverses études prospectives qui ont été lancées ces dernières années. Signalons à ce sujet des données encourageantes, mais très précoces, d'une équipe américaine qui met en évidence la capacité à poser le diagnostic à un stade très précoce chez les patients à haut risque en utilisant un CT spiral.18
Une étude randomisée conduite en France a démontré l'intérêt d'une chimiothérapie pré-opératoire, non seulement dans les stades les plus avancés, mais aussi dans les stades I et II des carcinomes pulmonaires non à petites cellules.19 L'application d'une chimiothérapie que l'on peut qualifier de modérément efficace a permis d'obtenir une survie médiane de 37 mois contre 26 mois sans chimiothérapie pré-opératoire dans un collectif de 355 patients. Dans certaines régions, une chimiothérapie pré-opératoire est actuellement une approche standard pour les carcinomes pulmonaires de stade IIIa, et cette étude encouragerait la poursuite d'autres évaluations du bénéfice que l'on peut obtenir dans des stades encore plus précoces.
Les carcinomes pulmonaires non à petites cellules se présentent souvent à un stade avancé, alors qu'une chirurgie est impossible au niveau local. Chez les patients inopérables mais sans métastases, de nombreuses études indiquent que la combinaison d'une chimio-radiothérapie simultanée, donnée selon différentes modalités, constitue effectivement le meilleur choix pour ces patients, avec une honnête augmentation de la survie à court terme.20-22
Au cas où les patients ne seraient pas candidats à un traitement pré-opératoire permettant de modifier cette situation, il est souvent question de laisser en attente une radiothérapie palliative plutôt que de la proposer immédiatement. Une étude conduite en Angleterre indique que chez les patients ayant peu de symptômes dus à leur tumeur, une radiothérapie palliative peut parfaitement être administrée seulement lors de l'apparition des symptômes, et bien que cela n'ait pas été l'objet de l'étude, nous préciserions volontiers sous réserve que le patient ne soit pas candidat à un traitement chimiothérapeutique.23
Cette radiothérapie a parfois été proposée comme pouvant être administrée sous forme de dose unique, pour éviter au patient de revenir plusieurs fois au centre de radiothérapie. Une étude canadienne montre qu'une approche avec cinq séances consécutives est préférable, tant sur le plan symptomatologique que sur celui de la survie des malades.24
De nombreuses études ont comparé différentes manières de proposer une chimiothérapie chez les patients atteints d'une maladie métastatique. Une chimiothérapie dont le prix est relativement modeste et qui, avec les méthodes modernes, est parfaitement administrable en ambulatoire, à savoir la combinaison de vinorelbine et cisplatine, a été comparée à la combinaison de nouveaux produits tels que la gemcitabine ou le paclitaxel, chacun à un sel de platine. Cette étude n'a pas démontré de différence entre les trois bras étudiés en termes de survie, ni de taux de réponse.25 D'autres variations dans les associations d'agents chimiothérapeutiques ont aussi été présentées en 2002, sans qu'il soit possible de déterminer s'il y avait un réel avantage de l'un ou l'autre des modes de combinaison des agents entre eux, malgré certaines évaluations de sous-groupes ou l'utilisation de techniques statistiques spécialement adaptées.26-29 Chez les patients âgés, la suite d'une étude comparant la gemcitabine ou la vinorelbine à leur association, la tendance a été d'utiliser une monochimiothérapie. Le rôle des platines dans le traitement des carcinomes pulmonaires non à petites cellules s'affirme cependant au vu des données préliminaires d'une étude suédoise30 et de la relecture d'une étude nord-américaine.31
Dans cette entité particulière, on note un nouveau travail qui confirme que la combinaison simultanée de chimio- et radiothérapie est préférable à l'utilisation séquentielle de ces deux traitements.32 Une étude japonaise a dû être arrêtée prématurément en raison d'une différence importante en termes de survie (12,8 versus 9,4 mois) en faveur d'une association d'irinotécan + cisplatine, versus le standard de la plupart des centres, à savoir (étoposide) VP16 + cisplatine. Ces résultats, certes encourageants, ne modifient malheureusement pas la survie de la majorité des patients, même si à deux ans on constate 19,5% de survivants dans le groupe traité avec de l'irinotécan, contre 5,2% dans le groupe traité par étoposide.33 Par contre, l'augmentation d'intensité dans le traitement chimiothérapeutique du carcinome pulmonaire à petites cellules ne donne pas de résultat encourageant dans l'étude EORTC 08923. Dans cette étude, avec l'utilisation d'un facteur de croissance hématopoïétique, les dosages de cyclophosphamide, adriamycine et étoposide ont tous été augmentés d'environ 25%, avec une administration toutes les deux semaines, ou toutes les trois semaines pour le régime classique. Le résultat final se traduit par une absence de différence entre les deux bras.34 Par contre, la prolongation du traitement avec l'utilisation de VP16 par voie orale a permis au groupe de l'Université de l'Indiana d'observer une amélioration de la survie à trois ans de 1,9% dans une étude comprenant 144 patients.35
Ces dernières années ont enfin permis d'observer des progrès thérapeutiques indubitables dans cette affection, avec l'introduction entre autres de l'oxaliplatine (objet d'une présentation importante en mai 2002 à l'ASCO) et de l'irinotécan (CPT-11). Il n'est pas rare maintenant, grâce à ces nouvelles chimiothérapies et parfois à la résection des métastases, de pouvoir offrir aux patients atteints d'un carcinome colorectal métastatique une survie de plusieurs années, alors que jusqu'à récemment on parlait de mois. Les progrès de la chirurgie, son association avec la radiothérapie dans le carcinome du rectum, et enfin les traitements adjuvants ont quant à eux permis de guérir de plus en plus de ces patients après leur diagnostic.
En attendant les résultats des grandes études évaluant prospectivement si l'American Cancer Society a raison de proposer une colonoscopie à partir de l'âge de 40 ans comme test de routine (tous les dix ans si aucune anomalie n'a été détectée), même en l'absence de facteurs de risque familiaux, qu'en est-il de l'emploi systématique de la recherche de sang dans les selles ? En tout cas une étude danoise, déjà publiée en 1996, continue à indiquer un avantage à l'emploi de ce type de test.36 Dans un collectif de plus de 60 000 personnes randomisées dans deux groupes bénéficiant soit d'une recherche de sang occulte tous les deux ans soit d'un suivi routinier sans emploi du test, la mortalité par carcinome du côlon est nettement diminuée, alors qu'elle ne l'est pas pour le carcinome du sigmoïde ou du rectum. Les auteurs proposent qu'une bonne méthode de détection précoce pourrait être l'association d'une rectosigmoïdoscopie à la recherche de sang occulte dans les selles.
Les anti-inflammatoires ne semblent pas être uniformément actifs dans la chimioprévention des adénomes du côlon. Une étude montre que le sulindac n'a pas pu prévenir l'apparition de nouveaux polypes adénomateux, alors qu'il permet d'en faire régresser s'ils sont déjà survenus.37
Encore récemment on débattait si la chirurgie assistée par laparoscopie était carcinologiquement correcte. Un groupe espagnol rapporte que, comme prévu, la chirurgie laparoscopique est une meilleure solution en termes de morbidité et de durée de séjour hospitalier, mais serait aussi acceptable sur le plan oncologique. En effet, leur petite étude chez 219 patients montre qu'il n'y a eu aucun désavantage carcinologique pour les malades opérés de façon moins invasive par rapport à ceux soumis à une colectomie classique.38 Les patients âgés ont souvent des difficultés post-narcose, notamment des états d'agitation nocturne. L'application systématique d'une association de benzodiazépines et morphiniques dans les trois jours postopératoires a permis de diminuer considérablement ce phénomène, selon un travail japonais.39
Le traitement adjuvant postopératoire est, pour des raisons pratiques, donné par voie intraveineuse, et peut-être bientôt par voie orale. Cela ne doit pas nous faire oublier que le Groupe suisse de recherches cliniques sur le cancer SAKK avait, entre autres, montré l'intérêt d'un traitement intraportal, comme nous le rappelle un article japonais récent.40
Dans tous les domaines de la médecine, la recherche essaie de développer des médicaments plus spécifiques, parfois mieux tolérés. Mais l'efficacité thérapeutique peut aussi être améliorée en déterminant les caractéristiques de la maladie traitée, ou de son hôte qui, pour des raisons génétiques, peut parfois plus ou moins bien tolérer un médicament.41
Même pour des produits aussi anciens que le 5-fluorouracile (le 5-FU, un quadragénaire en grande forme), nous savons d'une part que certains patients sont porteurs de tumeurs résistantes et d'autre part que certains patients sont hypersensibles au produit, qu'ils métabolisent mal. L'application pratique de ces notions n'est cependant pas encore courante, ni comprise,42 alors que l'on nous propose déjà de faire des analyses génétiques des carcinomes colorectaux, ceux retenant une hétérozygotie en 17p ou 18q étant apparemment les seuls à vraiment bénéficier de 5-FU en adjuvant.43
L'édrecolomab est un anticorps monoclonal murin dirigé (ciblé...) contre la glycoprotéine de surface 17-1A, exprimée sur les cellules épithéliales et divers cancers. Sur la base d'études de petite envergure il est commercialisé en Allemagne pour le traitement adjuvant du cancer du côlon. On nous rapporte maintenant une étude portant sur 2761 patients qui ont reçu édrecolomab plus 5-FU avec acide folinique, ou 5-FU avec acide folinique, ou édrecolomab seul. Avec un suivi médian de trois ans, on n'a aucun avantage à employer la combinaison (survie 74,7% vs 76,1%, risque relatif 0,94 [95% IC 0,76-1,15], p = 0,53).44
Une étude de phase III a montré que le traitement oral avec uracil/tégafur (UFT) et leucovorine était comparable au 5-FU intraveineux avec leucovorine chez 816 patients atteints de carcinome rectal métastatique.45 La survie médiane a été de 12,4 mois avec le traitement oral et de 13,4 mois avec l'intraveineux. Ces résultats, et d'autres, n'ont cependant pas permis l'enregistrement de l'UFT aux Etats-Unis et la concurrence en Europe avec la capécitabine est évidente.46
La chronothérapie consiste en une forme de chimiothérapie qui tient compte des rythmes circadiens. Un ample débat persiste autour de cette technique, que de nombreux cancérologues estiment non validée par manque d'études prospectives randomisées adéquates à leurs yeux. Un excellent résumé de la situation actuelle a été écrit par l'une des expertes du domaine, et le lecteur y est renvoyé.47
Une combinaison d'étoposide, adriamycine et cisplatine suivie de 5-FU avec leucovorine a permis de diminuer la mortalité de 7% après opération pour un carcinome gastrique avancé. Notons aussi que les auteurs soulignent l'importance d'une opération radicale, comme proposée par les auteurs japonais et depuis lors vérifiée par des études européennes.48
Faut-il opérer de façon plus radicale encore les tumeurs de l'ampoule de Vater ? Il semble que l'extension de la chirurgie au-delà d'une duodénopancréatectomie n'apporte pas de bénéfice, selon une étude effectuée chez 299 patients.49
Le carcinome hépatocellulaire est une maladie difficile à traiter dès qu'elle est dépassée sur le plan chirurgical, même si parfois la (chimio)embolisation peut prolonger la survie de ces malades.50,51
Le carcinome hépatocellulaire prend des allures épidémiques dans certains pays d'Asie (d'où les espoirs fondés sur la vaccination anti-hépatite B, dont le virus est souvent associé à ce carcinome), et tout est évalué pour le traiter. Il a ainsi également été l'objet d'études avec l'octréotide (Sandostatine®). Une étude chez 70 malades n'a pas permis d'observer un avantage par rapport au placebo, et les auteurs suggèrent que leur casuistique avait probablement un stade de maladie trop avancé.52
Le lecteur intéressé au status actuel des deux énormes études qui devront démontrer l'utilité ou l'inutilité du «screening par mesure du PSA (antigène «spécifique» de la prostate)» du carcinome de la prostate peut se référer à une publication conjointe des deux groupes d'étude qui ont randomisé 102 691 hommes pour un suivi régulier du taux de PSA et 115 322 pour un suivi clinique.53 Les résultats sont attendus en 2008.
Les techniques de radiothérapie s'améliorent sans cesse et on peut citer ici une proposition hollandaise qui permettrait de diminuer les effets secondaires sur le rectum lors du traitement curatif d'un cancer de la prostate par radiothérapie.54
Depuis les études historiques du Veterans Administration des Etats-Unis, on attendait une évaluation mieux conduite de l'intervention immédiate versus l'observation dans les cas de carcinome prostatique non pas métastatique, mais encore opérable à but curatif, dans un collectif représentatif de la réalité de ces patients. Un groupe suédois a randomisé entre observation et intervention radicale immédiate, entre octobre 1989 et février 1999, 695 hommes avec une tumeur de la prostate T1b, T1c, ou T2. Après 6,2 ans de suivi, 62 hommes «suivis» et 53 opérés sont décédés. Les décès par cancer de la prostate ont été de 31 dans le premier groupe et de 16 dans le second. La métastatisation a été plus rare dans le groupe opéré d'emblée. On peut en conclure que si le risque de mortalité à cinq ans pour une autre cause (cardiaque, etc.) est faible, l'intervention locale immédiate est recommandée.55
Une analyse rétrospective sur l'utilité du contrôle local dans le pronostic des carcinomes prostatiques d'emblée métastatiques a provoqué un certain débat. Il y a de nombreux exemples sur l'importance du contrôle local pour le pronostic à long terme, mais en général ce rôle est associé à l'absence de métastases à distance. En réévaluant l'étude SWOG (Groupe du Sud-Ouest d'oncologie) 8894, qui randomisait entre orchidectomie et placebo, ou orchidectomie et flutamide des patients porteurs de carcinome de la prostate métastatique, les auteurs de cet article concluent que les patients avec prostatectomie ont un avantage de survie, et que la radiothérapie non curative ou post-prostatectomie (pour rechute locale ?) serait délétère. Une telle analyse rétrospective peut être biaisée et les auteurs l'admettent, tout en suggérant qu'une étude prospective devrait être effectuée.56
Contrôle local et général
Les résultats à long terme de l'étude européenne établissant le standard mondial du traitement des carcinomes prostatiques localement avancés (T1-2 grade OMS 3 ou T3-4 ; N0-1 M0) ont été présentés.57 Avec un suivi de 66 mois, un groupe de 415 hommes étudiés a permis de déterminer que l'emploi de LHRH et d'un antitestostérone, simultanément à la radiothérapie et poursuivi pour trois ans, permettait de réduire la mortalité totale à cinq ans de 78% à 62% et celle spécifique au cancer de la prostate de 94% à 79% (démonstration de l'implication d'autres causes de mortalité dans cette population âgée).
Ces résultats contrastent avec des approches plus limitées avec un traitement par voie générale, qui ne semblent pas donner un bénéfice à long terme.58
La métastatisation osseuse prédominante des carcinomes prostatiques est une source de morbidité, essentiellement douloureuse, pour ces patients. Les bisphosphonates permettent de combattre cette problématique et leur rôle n'est plus disputé dans les myélomes59 ou le cancer du sein. Dans les tumeurs prostatiques, on a maintenant aussi une démonstration de leur utilité dans les problèmes osseux qui diminuent de 44,2% sous placebo à 33,2 sous zolédronate à 4 mg (résultat le plus favorable rapporté, à la dose recommandée actuellement).60
Un traitement néoadjuvant de chimiothérapie avec cisplatine et méthotrexate avant le traitement chirurgical ou radiothérapeutique a été évalué chez 153 patients porteurs de cancers de la vessie T2-T4b, NX-3, MO.61 Les auteurs rapportent que la survie à cinq ans a été de 29% dans les groupes avec ou sans chimiothérapie première, mais indiquent 82,5 mois de survie médiane avec et 45,8 mois sans chimiothérapie chez les patients opérés, 19,2 mois et 16,3 respectivement chez ceux irradiés (moins bon cas...).
Le groupe ICON (International Collaborative Ovarian Neoplasm Group) avait déjà montré que le carboplatine seul donnait des résultats comparables à une combinaison de cisplatine, adriamycine et cyclophosphamide dans le traitement des carcinomes de l'ovaire. Il était donc logique qu'il évalue à nouveau ces deux traitements en les comparant à ce qui est entre-temps devenu, pour diverses raisons, le traitement «standard», à savoir une combinaison de carboplatine et taxol.62 Après 51 mois de suivi, cette étude incluant 2074 patientes ne montre aucune différence, entre carboplatine/ taxol et le bras contrôle, avec un résultat de 36,1 versus 35,4 mois de survie médiane. Les auteurs concluent que le carboplatine seul reste une alternative raisonnable dans cette maladie. Les experts du domaine discutent lors des congrès la qualité de suivi et l'administration adéquate de la chimiothérapie plus intensive, et restent persuadés que celle-ci est la meilleure approche, pour autant qu'elle soit employée correctement.
Signalons une publication montrant que le nombre de carcinomes de l'ovaire chez les femmes traitées après un cancer du sein par un rétinoïde (fenrétinide) a diminué par rapport au groupe contrôle aussi longtemps que les patientes étaient sous fenrétinide. Selon les auteurs, ce produit devrait être évalué dans la prévention des cancers chez les femmes porteuses d'une mutation BRCA.63
L'excrétion rénale de la fludarabine, traitement proposé pour les leucémies lymphatiques chroniques, demande une évaluation précise de la fonction rénale afin d'éviter une toxicité majeure. Dans une étude de 192 patients la clairance a été calculée en fonction de la créatinine sérique, indice de masse corporelle et correction pour l'âge du sujet.64 Une diminution de la clairance à moins de 80 ml/min était associée à une toxicité inacceptable des doses «standard» du produit.
Les groupes italiens sont les pionniers des traitements spécifiques de la personne âgée et ceci est aussi le cas dans les lymphomes où ils montrent que huit semaines de traitement semblent suffisantes, avec l'emploi de facteurs de croissance pour obtenir une intensité de traitement permettant d'avoir un résultat plus favorable à long terme.65
La stratégie consistant en l'emploi de chimiothérapies intensives avec soutien de cellules souches est confirmée pour les Hodgkin en rechute, alors que la publication du groupe français «GELA» nous rappelle que l'intensification précoce (avant rechute) dans les lymphomes est encore débattue.66,67
Le (90)Y ibritumomab tiuxétan est un anticorps marqué radioactivement de façon à présenter une efficacité augmentée par sa radiotoxicité. Une étude randomisée en confirme l'intérêt et ce domaine thérapeutique est promis à de nombreux développements. Une limitation à l'emploi de ce médicament en première ligne thérapeutique est la toxicité médullaire à long terme, diminuant possiblement les chances d'un traitement supra-intensif de seconde intention.68
L'étude qui a établi une approche standard combinée entre l'anticorps anti-CD20 rituximab et la chimiothérapie avec cyclophosphamide, doxorubicine, vincristine, et prednisone (CHOP) est enfin publiée.69 Les résultats, même si les Nord-américains veulent encore les vérifier par une étude américano-américaine, montrent clairement l'avantage en termes de survie en faveur de l'association. Reste à déterminer le meilleur moyen d'utiliser cette stratégie pour laquelle le schéma proposé n'est peut-être pas le meilleur.
Malgré des problèmes méthodologiques non négligeables dans l'étude, nous mentionnons un travail qui montrerait l'intérêt d'un traitement adjuvant dans les sarcomes des tissus mous de haut grade de l'adulte. Les auteurs rapportent un bénéfice en termes de survie (72% contre 47%) à cinq ans pour le groupe recevant une chimiothérapie.70
Alors que la «tendance» actuelle en cancérologie va vers les traitements pré-opératoires, il est clair que ce choix n'est pas toujours le meilleur, comme le montre une étude où l'irradiation pré-opératoire de sarcomes des membres a compliqué considérablement le résultat à court terme sans avantage à long terme.71
A part l'emploi tristement célèbre par les coureurs cyclistes, l'érythropoïétine (EPO) a un rôle confirmé chez l'insuffisant rénal, et de plus en plus en oncologie.72
La simplification d'emploi (une injection par cycle de chimio) que représente le développement de la darbépoïétine, une érythropoïétine dont la molécule a été glycosylée de façon à être efficace plus longtemps, fera que cette molécule va être adoptée avec facilité par ceux qui emploient l'EPO pour prévenir ou traiter les anémies symptomatiques du patient cancéreux. Encore faudra-t-il voir quelles limites seront imposées à son remboursement...73
Un autre moyen plus simple de traiter les patients est représenté par le pegfilgrastim, un facteur de croissance granulocytaire modifié qui permet de raccourcir la durée des neutropénies et d'éviter de nombreuses complications infectieuses lors des chimiothérapies. A nouveau, une seule injection par cycle de chimio, au lieu de l'habituelle cure de sept jours d'injections sous-cutanées. Même remarque : et le remboursement... ?74