L'étude ALLHAT a pour but principal de comparer l'effet de plusieurs classes de médicaments antihypertenseurs dans la prévention de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaire. Le traitement basé sur un diurétique (chlortalidone) s'est avéré très semblable à un traitement basé sur un antagoniste du calcium (amlodipine) ou un inhibiteur de l'ECA (lisinopril). Le diurétique est apparu supérieur aux autres modalités thérapeutiques pour ce qui est du développement de l'insuffisance cardiaque. Ces résultats suggèrent que les diurétiques sont les médicaments de choix pour initier le traitement antihypertenseur. Il y a pourtant un problème majeur lié au protocole de l'étude ALLHAT qui rend impossible de tirer des conclusions valables : pour essayer d'atteindre la pression cible (
Le traitement pharmacologique de l'hypertension artérielle s'est considérablement simplifié au cours des dernières années grâce à la disponibilité de médicaments agissant par des mécanismes différents. Ainsi le médecin a-t-il le choix aujourd'hui pour commencer le traitement antihypertenseur entre les diurétiques, les b- et les a1-bloquants, les antagonistes du calcium, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA) et, depuis peu, les antagonistes de l'angiotensine II.1 Que peut-on attendre de ces différents types d'antihypertenseurs sur le plan de la prévention des complications cardiovasculaires ? Y a-t-il une classe thérapeutique qui apporte plus de bénéfices que les autres ? Il n'y avait jusqu'à présent que des réponses partielles à ces questions. C'est que les grands essais cliniques réalisés à ce jour n'ont comparé le plus souvent que deux modalités thérapeutiques.2 Par ailleurs, les caractéristiques des malades inclus dans ces études, la durée du suivi, les pressions cibles choisies ainsi que les critères de jugement utilisés peuvent varier grandement d'une étude à l'autre, ce qui rend difficile d'extrapoler les résultats d'un essai clinique à un autre.
L'intérêt principal de l'étude ALLHAT (Antihypertensive and Lipid Lowering Treatment to Prevent Heart Attack Trial) réside dans le fait qu'elle permet une comparaison directe entre plusieurs classes thérapeutiques citées plus haut, à savoir un représentant des diurétiques (chlortalidone), des a1-bloquants (doxazosine), des antagonistes du calcium (amlodipine) et des inhibiteurs de l'ECA (lisinopril).3 Il s'agit d'un essai clinique de très grande envergure portant sur des malades hypertendus à risque cardiovasculaire élevé et réalisé en double insu.4 Une originalité de l'étude est aussi d'évaluer, chez une partie des malades présentant à la fois une hypertension artérielle et une hypercholestérolémie, si un traitement par statine a des avantages par rapport à une prise en charge «conventionnelle» du trouble lipidique. Les résultats de cette dernière étude ne seront pas discutés ici.5
L'étude ALLHAT a été réalisée sous la responsabilité du «National Heart, Lung, and Blood Institute» et du «Department of Veterans' Affairs» aux Etats-Unis, au Canada et à Puerto Rico. Un total de 33 357 patients de 55 ans ou plus ont été inclus. Ces malades devaient avoir, en plus d'une hypertension artérielle, au moins un autre facteur de risque cardiovasculaire, que ce soit la présence d'une ou de plusieurs affections cardiovasculaires (infarctus du myocarde, revascularisation, accident vasculaire cérébral, atteinte athérosclérotique documentée), un diabète de type 2, un taux sanguin de HDL-cholestérol
Les malades ont été alloués au hasard à l'une des monothérapies suivantes, avec la possibilité d'augmenter la dose en cas de non-atteinte de la pression cible (
Comme critère de jugement primaire a été retenu l'infarctus du myocarde non fatal ou le décès dû à une affection coronarienne. Plusieurs critères de jugement secondaires ont également été prévus. Pour l'analyse des résultats, le groupe «chlortalidone» a été choisi comme référence. Le suivi moyen a été de 4,9 ans.
Le bras «doxazosine» de l'étude a été interrompu prématurément (après un suivi moyen de 3,3 ans) en raison surtout de l'observation chez les malades traités par cet a1-bloquant, par rapport à ceux alloués au diurétique, d'un risque deux fois plus grand de développer une insuffisance cardiaque.6 Sur la base de cette observation il a été proposé de ne plus considérer la doxazosine comme un médicament antihypertenseur de première intention. Ce point de vue est justifié. La doxazosine est un antihypertenseur d'appoint, utile chez certains malades lorsque donné en association. Les a1-bloquants induisent une rétention de sodium si bien qu'il y a intérêt à les administrer avec un diurétique. On voit ici les limites du protocole de l'étude ALLHAT : il n'était pas permis d'ajouter à la doxazosine de la chlortalidone. Pas surprenant dès lors que la pression artérielle systolique était un peu moins contrôlée dans le groupe «doxazosine» que dans le groupe «chlortalidone». Pas étonnant non plus qu'il y ait eu plus de cas de décompensation cardiaque chez les malades alloués à l'a1-bloquant.
Au cours des dernières années, un constat récurrent a été le contrôle insatisfaisant de la pression artérielle chez le malade hypertendu.7 Est-il si difficile de normaliser la pression artérielle avec l'arsenal thérapeutique actuel ? Les résultats de l'étude ALLHAT sont à cet égard intéressants : ils montrent que la pression artérielle était normalisée (8 Vu de manière positive, il apparaît possible de normaliser la pression artérielle chez plus d'un malade hypertendu sur deux. D'un autre côté, il apparaît aussi qu'il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la qualité du contrôle tensionnel.
En ce qui concerne le taux de normalisation de la pression artérielle, il était significativement plus bas dans le groupe «lisinopril» que dans le groupe «chlortalidone». Cela n'est pas réellement étonnant puisque, pour augmenter optimalement l'efficacité antihypertensive d'un inhibiteur de l'ECA comme le lisinopril, il aurait fallu ajouter un diurétique, ce qui était interdit par le protocole de l'étude. Par ailleurs, environ 30% des malades étaient de race noire. De tels malades répondent généralement mal aux bloqueurs du système rénine-angiotensine administrés sans diurétiques.
Le tableau 1 montre aussi la fraction de malades prenant toujours, au terme de l'étude, le médicament qui leur avait été assigné au départ. Cette fraction était de l'ordre de 70% pour la chlortalidone et l'amlodipine et de 60% pour le lisinopril. Cela est impressionnant puisque dans la pratique de tous les jours 50 à 60% des antihypertenseurs prescrits pour initier le traitement sont interrompus, pour une raison ou une autre, pendant les six premiers mois.9 Le fait d'avoir un schéma de traitement préétabli, comme c'était le cas dans l'étude ALLHAT, facilite peut-être la tâche du médecin. Il est probable aussi que les malades ayant accepté de participer à un essai thérapeutique comme celui-ci représentent une sélection de malades particulièrement motivés, d'où une observance thérapeutique inhabituellement bonne. A noter que dans d'autres études où la prescription de médicaments était libre, la persistance du traitement à long terme s'est avérée meilleure pour les inhibiteurs de l'ECA, suivis par les antagonistes du calcium et, en dernier lieu, les diurétiques.10
Un point important est à relever : le recours à plusieurs antihypertenseurs a été nécessaire chez environ 40% des malades. Il aurait certainement été possible de contrôler encore mieux la pression artérielle si plus de malades avaient reçu un ou plusieurs médicaments antihypertenseurs en association avec leur médicament de base.
En ce qui concerne le critère de jugement primaire, aucune différence n'a été trouvée entre les trois modalités thérapeutiques. A souligner tout particulièrement, dans le contexte de la controverse des antagonistes du calcium, que l'amlodipine n'a pas provoqué plus de problèmes coronariens que le diurétique et l'inhibiteur de l'ECA.
La seule différence importante entre l'amlodipine et la chlortalidone a été une incidence accrue d'insuffisance cardiaque dans le groupe «amlodipine» (10,2% versus 7,7% ; RR 1,38 ; 95% IC 1,25-1,52). Il en a été de même pour le lisinopril comparé à la chlortalidone (8,7% versus 7,7% ; RR 1,19 ; 95% IC 1,07-1,31) (fig. 1). Comment expliquer ces résultats ? Les diurétiques font partie du traitement de l'insuffisance cardiaque. Qu'ils aient un effet bénéfique était dès lors attendu. L'avantage potentiel du diurétique vis-à-vis de l'amlodipine est compatible avec d'autres observations faites précédemment avec d'autres antagonistes du calcium.11,12 Inattendue est par contre la supériorité de la chlortalidone par rapport au lisinopril. Il n'y a pas d'explication évidente à cette observation. Les inhibiteurs de l'ECA ont en effet été démontrés de manière répétée améliorer le devenir des insuffisants cardiaques, administrés il est vrai le plus souvent en sus de diurétiques et/ou de digitale.
Les diurétiques thiazidiques entraînent des perturbations métaboliques indésirables ayant un caractère dose-dépendant, notamment une hypercholestérolémie, une hyperglycémie, une hypokaliémie et une hyperuricémie. Dans l'étude ALLHAT, la chlortalidone a été associée, comme attendu, à une augmentation des taux de cholestérol total et de glucose, ainsi qu'à une baisse de la kaliémie. Ces changements se sont avérés significatifs tant par rapport à l'amlodipine qu'au lisinopril. Pour illustrer ce fait, une hypokaliémie (
Les conclusions des auteurs de l'étude ALLHAT sont très pragmatiques : vu leur efficacité antihypertensive, leur faible coût et surtout leur excellent effet protecteur sur le plan cardiovasculaire les diurétiques de type thiazidique devraient être le médicament de premier choix pour traiter l'hypertension artérielle. Comment douter du bien-fondé d'une telle affirmation basée sur l'observation d'un tel nombre de malades ?
A notre point de vue, l'étude ALLHAT a essayé de déterminer la monothérapie la plus efficace pour prévenir les complications cardiovasculaires en utilisant un protocole non adapté au mode de traitement actuel. En fait, afin de normaliser la pression artérielle, il est demandé d'ajouter aux monothérapies testées d'autres types de médicaments. Là réside un problème majeur car les combinaisons médicamenteuses proposées ne sont pas judicieuses. C'est particulièrement vrai pour l'inhibiteur de l'ECA. Il faudrait ajouter prioritairement en cas de besoin un diurétique, mais certainement pas comme imposé dans l'étude un b-bloquant, de la clonidine, de la réserpine ou de l'hydralazine. En ce qui concerne l'amlodipine, l'ajout d'un b-bloquant si nécessaire est approprié, mais l'adjonction d'un inhibiteur de l'ECA serait également une excellente option. Par ailleurs, la titration de la dose du thiazide ne paraît plus judicieuse de nos jours étant donné les effets métaboliques indésirables de ce type de diurétiques. Ainsi, dans l'étude ALLHAT, les malades ne sont pas pris en charge de manière optimale sur le plan thérapeutique. Il est dès lors dommage d'en tirer des conclusions qui représentent un retour en arrière net pour beaucoup de malades, tant sur le plan de la qualité du contrôle tensionnel que sur celui de la tolérance au traitement.