Quand en mangerons-nous ? C'est pour demain ou presque nous dit la commission européenne, du moins si le Parlement le veut bien. Tout est semble-t-il en place pour que le Vieux Continent s'aligne progressivement sur le Nouveau et que ses populations humaines et animales se nourrissent avec des végétaux dont les patrimoines auront été, pour diverses raisons, modifiés de manière irréversible. En France, le débat vient de s'enrichir d'une série de contributions qui éclairent d'un jour nouveau cet épineux autant que passionnant dossier. Premier acte, les «recommandations» officiellement adressées au gouvernement par les académies de médecine, de pharmacie et des sciences. Ecoutons les deux premières. Au terme d'une «analyse approfondie», elles estiment, en substance, que l'utilisation des OGM à des fins alimentaires ne présente aucun risque particulier. Les académiciens de médecine et de pharmacie observent notamment que le mode d'obtention des OGM ne soulève pas de problème dans la mesure où l'ADN des génomes de ces organismes est semblable à celui des autres génomes existants et où il est, comme eux, dégradé dans l'intestin lors de la digestion. «En caricaturant, on pourrait dire qu'en mangeant des carottes ou des laitues, on ne court pas le risque d'introduire dans son génome des gènes de carottes ou de laitues et que ce n'est pas parce que l'on aurait introduit un gène de laitue dans le génome d'une carotte que l'on ferait apparaître ce risque» expliquent-ils. Selon eux, le danger potentiel des OGM ne peut être dû qu'aux protéines dont la synthèse est codée par le gène introduit. C'est donc, selon eux «au cas par cas» et selon «des protocoles précis et bien définis au niveau national et européen» qu'il conviendra de vérifier l'absence de toxicité ou de réactions allergiques, comme cela doit être le cas pour tous les nouveaux aliments. «Il faut remarquer, à cet égard, que plusieurs centaines de millions d'habitants de notre planète (en Amérique du Nord et du Sud, en Inde et en Chine) consomment quotidiennement depuis plusieurs années des aliments à base d'OGM et qu'aucun effet nocif sur la santé n'a été rapporté, résument les deux académies. De même, depuis quinze ans, de nombreux médicaments provenant d'OGM sont largement utilisés et aucun effet nocif particulier n'a été observé ; bien au contraire, les hormones ainsi obtenues ont des avantages sur le plan de la sécurité en raison de l'absence de contaminations d'origine animale.»
En toute hypothèse, les académiciens estiment que «les avantages escomptés l'emportent sur les risques éventuels» étant entendu que les OGM ouvrent, pour l'alimentation, des perspectives très favorables parmi lesquelles la réduction de l'usage des pesticides et des insecticides, l'amélioration de la qualité des aliments permettant de lutter contre certaines carences (en fer et en vitamines), contre les déficits protéiniques, ou les déséquilibres alimentaires (excès de corps gras saturés, entraînant un accroissement des risques d'affections cardiovasculaires). Dans un tel contexte, et toujours au sujet des OGM alimentaires, les académies de médecine et de pharmacie jugent que les contraintes réglementaires en vigueur qui encadrent strictement les travaux de recherche sur les OGM et l'usage de ces derniers «mériteraient d'être reconsidérées» dans la mesure où elles «mettent la France et l'Union européenne dans une position d'infériorité par rapport à d'autres pays industrialisés» sans présenter de quelconques avantages sanitaires.
L'Académie des sciences faisant une analyse et formulant des recommandations similaires, c'est la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies qui a tenu, sinon à refroidir l'enthousiasme des académiciens du moins à replacer la problématique en perspective. «L'Union européenne est près de se doter d'un dispositif législatif unique au monde assurant rigueur et transparence dans la circulation des OGM, a ainsi déclaré au Monde Claudie Haigneré. Dans ce nouveau cadre, les citoyens se verront offrir, grâce à un étiquetage clair et à une traçabilité très contrôlée, un réel choix, au quotidien, et c'est leur décision qui déterminera l'avenir de la filière OGM, en France. En tant que ministre chargée de la recherche, les plantes génétiquement modifiées m'apparaissent, à moyen terme, comme une possibilité à explorer pour pouvoir faire face à l'augmentation de la demande alimentaire, en particulier dans les pays les moins développés, où prévalent souvent des conditions agronomiques défavorables». «A plus court terme, la rapide croissance, au niveau mondial, des cultures commerciales d'OGM, dont les avantages en termes de rentabilité semblent se confirmer, soumet aussi la France, et l'ensemble de l'Europe, à une pression économique importante, face à laquelle nous devons penser, sous réserve d'une sécurité sanitaire et environnementale satisfaisante, à préserver notre recherche et notre production agricole» ajoute-t-elle.
Quant à la question de savoir si l'innocuité de ces végétaux «modifiés» (vis-à-vis de la santé humaine et animale mais aussi vis-à-vis de l'environnement) a ou non été suffisamment explorée, si des expertises supplémentaires sont ou non nécessaires, la ministre estime, prudemment, que les rapports et recommandations très rassurants qui ont été rendus par les Académies des sciences, de médecine et de pharmacie n'exonèrent pas les pouvoirs publics de «devoir de rester vigilants, tant au niveau de la santé humaine et animale qu'au niveau de l'environnement.» «Même si le recours à des technologies nouvelles, pour créer les plantes génétiquement modifiées, ne semble pas poser de problème scientifique radicalement nouveau, l'émergence de variétés végétales inédites dans un écosystème ou la présence de nouvelles protéines dans l'alimentation nous imposent un suivi sur le plan sanitaire et environnemental» souligne-t-elle. Toujours dans les colonnes du Monde, un point de vue du génial Alain Passard, cuisinier et propriétaire des trois étoiles de l'Arpège (84 rue de Varenne, Paris) : «Beaucoup d'entre nous ignorent que nous sommes loin, bien loin, d'avoir saisi l'ampleur des constructions culinaires, des associations et des plaisirs sensitifs que nous offre l'ensemble des espèces et des formes du règne végétal, écrit-il. Feuilles, tiges et racines bien évidemment ; mais aussi épices, écorces, baies, fruits et fleurs ; graines et pollens. Nul ne peut imaginer la somme de ce qui, marié aux différentes techniques de cuisson, aux infinies épousailles possibles, élargira notre gamme et nos jouissances. Dans ce ballet présent et à venir, dans cette symphonie des sens et des saveurs, nul besoin d'OGM !