Le but principal du dépistage du cancer colo-rectal dans la population asymptomatique ou à risque élevé est la détection d'éventuelles lésions précancéreuses ou de cancers colo-rectaux à un stade précoce. Le choix du test de dépistage ne dépend pas uniquement de sa performance mais de son acceptation par la population. La compliance pour un test simple, telle la recherche du sang occulte dans les selles est en général meilleure (50% à 80%) que pour un test plus invasif (15% à 30%). Malgré des niveaux différents de performance, toutes les méthodes de dépistage que nous présentons dans cet article sont utiles.
Le cancer colorectal est le cancer le plus fréquent du tube digestif. Son incidence augmente dès l'âge de 50 ans, avec 90% des cas détectés après 50 ans. Il représente la troisième cause de décès liés aux tumeurs malignes (10 à 11%).1
Environ 50 à 70% des cancers colorectaux se localisent au niveau du côlon gauche, du sigmoïde ou du rectum. La plupart se développent à cause d'une dégénérescence maligne de polypes adénomateux.2 La prévalence des adénomes est de l'ordre de 25 à 30% à l'âge de 50 ans et augmente à 50% à l'âge de 70 ans. Toutefois, une telle transformation maligne n'est observée que pour 20% des adénomes.
La plupart des cancers colorectaux sont dits sporadiques (70 à 75%) et surviennent dans la population à risque moyen. Les autres cas surviennent soit dans un contexte de prédisposition génétique, soit chez les patients avec une maladie inflammatoire chronique de l'intestin.
On estime que le développement d'un cancer colorectal avec des manifestations cliniques, à partir d'une muqueuse normale, peut durer dix à quinze ans. Par contre, les cancers liés à une prédisposition génétique se développent beaucoup plus vite (un à trois ans).
Le risque le plus élevé reste celui lié à des atteintes génétiques bien définies, comme le syndrome de Lynch et la polypose adénomateuse familiale.
Les cancers colorectaux se développent précocement durant la quatrième ou la cinquième décennie de vie avec un risque cumulatif de l'ordre de 80% au cours de la vie. Ce syndrome est défini par les critères d'Amsterdam ou de Bethesda (tableaux 1 et 2).
La polypose adénomateuse familiale
(FAP Familial adenomatous polyposis)
On trouve chez les individus porteurs du gène muté des centaines, voire des milliers de polypes adénomateux tout au long du côlon. Le cancer colorectal se développe en général au cours de la deuxième ou de la troisième décennie de vie.
Les personnes avec une anamnèse familiale positive pour un cancer colorectal ou un adénome (mais ne remplissant pas les critères diagnostiques du syndrome de Lynch ou de la polypose adénomateuse familiale)
Plusieurs études épidémiologiques et génétiques évoquent une augmentation de deux fois du risque de cancer colorectal dans la parenté du 1er degré d'une personne atteinte par une tumeur colorectale. Ce risque est majoré lorsque la tumeur survient à un jeune âge ou touche plusieurs membres de la famille. D'autre part, le risque d'un cancer colorectal dans le cas d'une anamnèse familiale positive pour des adénomes est accru et paraît similaire au risque lors d'une anamnèse familiale positive pour un cancer colorectal.
Le risque de cancer du côlon augmente dix ans après le diagnostic initial de pancolite, et quinze à vingt ans dans le cas de colite distale. Les tumeurs sont localisées dans la partie atteinte du côlon dans la colite ulcéreuse, mais peuvent affecter l'ensemble du côlon dans la maladie de Crohn, même si l'atteinte inflammatoire est limitée.
Recherche de sang occulte dans les selles
Ce test est simple, bon marché et bien accepté par la population. Il devrait être effectué annuellement et comprendre une série de trois tests sur trois journées successives, à raison d'un test par jour. Sa sensibilité et sa spécificité sont inférieures à celles du dépistage endoscopique. Sa valeur prédictive positive est estimée à 20% pour les adénomes et de 5% à 10% pour les cancers colorectaux. Tout apport alimentaire riche en peroxydase ou pseudoperoxydase (par exemple des légumes tels choux-fleurs ou radis, ou une viande riche en hémoglobine non humaine) peut entraîner des faux positifs. Une substitution en fer ou vitaminique (vitamine C), ainsi qu'un traitement par aspirine ou par des AINS peuvent également influencer les résultats. D'où l'importance d'une diète excluant tous ces éléments, durant les trois jours du test ainsi que les trois jours précédents. Malgré ces limites, ce test permet de réduire la mortalité du cancer colorectal d'environ 33%.
La fibrorectosigmoïdoscopie est une méthode de dépistage invasive et chère. La préparation inclut un petit lavement évacuateur. L'examen endoscopique dure environ dix minutes et devrait être répété tous les cinq ans. Cette méthode permet d'identifier environ 50 à 70% des lésions du côlon (cancers ou polypes). Des études cas-témoins ont montré une réduction de la mortalité par cancer colorectal d'environ 50% par un tel dépistage.
Avec cette méthode de dépistage toutefois, le côlon droit est complètement négligé. Pour cette raison, une modalité de dépistage associant la fibrorectosigmoïdoscopie (tous les cinq ans) à des recherches annuelles de sang occulte dans les selles a été introduite. Une étude a montré qu'une telle association augmente le taux de découverte d'une tumeur au stade précoce. Néanmoins, lors d'une autre étude, 24% des tumeurs de stades avancés, surtout au niveau du côlon droit, restaient indétectables malgré l'utilisation de la combinaison de ces deux méthodes.
Il s'agit de la meilleure méthode pour détecter les polypes et les cancers colorectaux.2 Elle a le grand avantage de permettre les polypectomies et les biopsies tout le long du côlon.3 Toutefois, c'est une méthode invasive, nécessitant une préparation colique contraignante, et donc son taux d'acceptation par la population est plutôt bas. L'examen dure environ 30 minutes. Malheureusement, on ne peut que constater l'absence d'études prospectives et randomisées évaluant l'impact de la colonoscopie sur l'incidence du cancer colorectal dans la population générale.3 Une étude, The National Polyp Study of Polypectomy and Surveillance, évoque une réduction de la mortalité par cancer colorectal comme conséquence des polypectomies. Ce geste peut se compliquer d'une perforation, d'une hémorragie, d'une dépression respiratoire liée à la sédation ou d'une infection nosocomiale.3 Toutefois, le taux de complications de la colonoscopie diagnostique est négligeable.
Il s'agit d'une imagerie par CT-scan qui permet la reconstruction d'une image tridimensionnelle et de haute résolution de la lumière colique.4 Cet examen nécessite une préparation comparable à celle exigée lors d'une colonoscopie classique, ainsi que l'insufflation d'air, ce qui peut générer un certain inconfort. Les résultats sont meilleurs que ceux obtenus par le dépistage avec un lavement baryté, et s'approchent de la performance de la colonoscopie.5 Cependant, et en dépit d'un succès relatif pour identifier des polypes d'un diamètre supérieur ou égal à 1 cm, la sensibilité de la méthode est modérée quand il s'agit de détecter des lésion plus petites, malgré les nouveaux développements technologiques du CT-scan.6,7 La performance de la méthodologie dépend par ailleurs fortement de l'expérience de l'examinateur.8 En outre, la méthode ne permet pas de procéder à des biopsies ou des polypectomies. Les techniques radiologiques de colonoscopie virtuelle sont en plein développement et dans un avenir proche, elle pourrait s'établir comme une des méthodes de choix pour le dépistage du cancer colorectal.9,10
Les cellules de la muqueuse colique se retrouvent dans les selles et la détection de mutations ou d'aberrations génétiques à leur niveau représente une nouvelle approche dans le dépistage du cancer colorectal. De nombreuses anomalies génétiques ont pu être identifiées de cette manière sur des échantillons de selles de patients atteints de cancer colique.11 Deux études basées sur la reconnaissance de plusieurs aberrations génétiques dans les selles ont montré une sensibilité de 71 à 91% pour la détection des cancers et de 82% pour celle des adénomes, résultats largement supérieurs à la recherche de sang occulte effectuée sur les mêmes échantillons.12,13 Ces tests sont cependant complexes et coûteux à réaliser, ils n'excluent pas la présence de faux positifs et n'ont pas démontré leur capacité à identifier des patients à risque n'ayant pas encore développé de lésions. Leur utilisation est par conséquent encore du domaine de l'expérimentation.
Des colonoscopies de surveillance sont indiqués à partir de l'âge de 25 à 30 ans. La première colonoscopie devrait avoir lieu au moins dix ans avant l'âge de manifestation du plus jeune cas de cancer colorectal dans la famille concernée. Au début, l'intervalle recommandé entre les colonoscopies est de 18 mois. Dès l'âge de 40 ans, l'intervalle devrait être de 12 mois. Des tests génétiques devraient de plus être effectués, afin d'identifier les membres à risque de la famille . En cas de découverte du gène anormal, tous les membres de la famille, porteurs du gène devraient être surveillés. Cependant, la recherche du gène reste négative dans 50% des familles testées. Dans ces cas, tous les membres de la famille concernée devraient être mis sous surveillance endoscopique.
Les personnes suspectes d'une polypose familiale doivent subir des tests génétiques. Les porteurs du gène doivent bénéficier tous les ans, à partir de l'âge de 10 à 12 ans d'une fibrorectosigmoïdoscopie. Les individus avec un test génétique négatif doivent subir cet examen entre 15 et 20 ans. S'il se révèle négatif, on ne les surveille plus jusqu'au l'âge de 50 ans, âge de début du programme de dépistage dans la population générale. Une surveillance du tractus digestif haut n'est indiquée que chez les sujets ayant présenté des polypes coliques. L'intervalle entre les gastroscopies est d'un à trois ans.
Les personnes avec une anamnèse familiale positive pour un cancer colorectal ou un adénome (mais ne remplissant pas les critères diagnostiques de la polypose adénomateuse ou du syndrome de Lynch)
Le dépistage est similaire à celui recommandé pour la population générale mais devrait débuter dès l'âge de 40 ans.
Il est de mise de recourir à un programme de surveillance consistant en une colonoscopie tous les uns à deux ans dès la 8e année de maladie en cas de pancolite, et la 15e année en cas de colite ulcéreuse limitée au côlon gauche. Le même programme est valable pour la maladie de Crohn avec des manifestations coliques.
La population cible est la population asymptomatique âgée de plus de 50 ans, vu l'augmentation rapide du risque de cancer colorectal dès cet âge. En plus des performances d'un test de dépistage, l'acceptabilité de ce test et la compliance des patients sont deux éléments très importants, dont va dépendre l'efficacité du programme de dépistage.14
Nous recommandons une colonoscopie de dépistage, tous les dix ans, dès l'âge de 50 ans.6 Malheureusement, le remboursement des examens de dépistage, dans la population générale, n'est pas encore pris en charge par les caisses-maladie en Suisse.
I Une série de trois haemoccults chaque année.
I Une fibrorectosigmoïdoscopie tous les cinq ans.
I Une série de trois haemoccults annuels associée à une fibrorectosigmoïdoscopie tous les cinq ans.
Pour conclure, nous sommes convaincus que dans la population générale, un programme de dépistage, quel qu'il soit, reste une option meilleure et plus raisonnable que de renoncer à tout dépistage. Par conséquent, et dans l'optique d'assurer un résultat efficace, l'information du patient sur les différentes modalités de dépistage s'avère cruciale.