Poursuivons la quête engagée la semaine dernière (Médecine et Hygiène du 29 janvier 2003) à propos des ascendants de cette «icône de la modernité» qu'est @. L'une des hypothèses avancées par les férus de cette question fait entrer en scène la communauté des commerçants espagnols du XVIIe siècle. Il semble en effet bien acquis que du mot arabe «arrouba» qui correspond à «quatre» ou «quart» dans cette langue, est issue l'«arrobas» qui est une unité ibérique de mesure de poids équivalent à environ douze kilogrammes. Elle est, comme tant d'autres, tombée en désuétude à partir de 1859 avec l'adoption de cette géniale invention née des Lumières qu'est le système métrique. Mais comme on ne tue pas sans mal les mythologies les plus puissantes l'«arrobas» est encore utilisée sur les terres ibères au début de notre troisième millénaire pour mesurer le poids des taureaux que l'on va montrer et mettre à mort sous le soleil des corridas.«On la signale également au Portugal pour mesurer le volume du vin. Un dictionnaire espagnol de 1909, l'Enciclopedia universal ilustrada europo-americana, édité à Barcelone, indique que l'arrobas est symbolisée par @. Peut-être l'idée de retenir ce symbole provenait-elle d'un usage antérieur et cette hypothèse serait compatible avec une des deux autres. Mais rien ne l'indique. On peut aussi imaginer une invention pure par les marchands espagnols, l'explication de l'origine «a-rond-bas de casse» étant une réécriture plaisante mais ultérieure. Dans ce cas, il resterait à expliquer pourquoi seuls le français et l'espagnol ont gardé le souvenir de la véritable origine» souligne, doctement, le site internet de la société grenobloise «Communication & Life in Virtual Environnements».Pour ce site et ses auteurs, dans ce désert d'interrogations, dans cette vallée de doutes, une certitude : @ était utilisé par les commerçants américains du XIXe siècle, pour précéder un prix unitaire. «Cet usage, dans les tarifs imprimés, les étals et les factures, n'est pas encore tombé en désuétude. De cette pratique proviendrait le fait de lire «at» le caractère @ : «2 books @ $10» se lisant «deux livres à 10 dollars pièce» expliquent-ils. D'autres auteurs mentionnent, sans source précise ni indication de date, l'usage de @ dans les courriers diplomatiques».C'est dans ce contexte que survient la mystérieuse apparition d'@ sur les claviers de machines à écrire.La machine à écrire n'est pas à proprement parler une idée jeune. Et contrairement aux stéréotypes, ce n'est pas une idée américaine. Premiers brevets déposés en 1713 en Angleterre ; première machine fonctionnelle en 1808 en Italie ; première machine commercialisée en 1873 ; première machine électrique présentée en 1897. L'histoire est édifiante qui voit le siècle de l'industrialisation prolonger ainsi l'usage qui pouvait auparavant être fait du clavier musical. Ecoutons l'histoire, telle que la racontent les Pic de la Mirandole de «Communication & Life in Virtual Environnements» : Sholes, l'inventeur de la première machine commerciale, est aussi l'inventeur du clavier QWERTY. Sa démarche visait à permettre la frappe la plus rapide possible (contrairement à une légende tenace, il ne s'agissait pas de ralentir la frappe) en écartant sur le clavier les lettres qui étaient souvent accolées en anglais (où l'on retrouve le vieux problème de la ligature) et qui risquaient donc, étant frappées dans un très court intervalle de temps, de se mélanger les pinceaux dans la mécanique rustique de cette première machine. Il commanda une étude statistique à l'un de ses proches et proposa une disposition qui minimisait les risques que les tiges des caractères se croisent lors de la frappe. Le clavier QWERTY était en concurrence avec bien d'autres formes et fut dès le départ contesté, mais il s'imposa comme un standard de fait, parce que les machines qui l'utilisaient avaient d'autres avantages. Le succès commercial de ce type de machine ne démarra vraiment que plus de vingt ans après les premiers modèles de Sholes, avec les Underwood, qui reprirent le clavier QWERTY.Mais voilà : les images des premiers claviers QWERTY ne montrent pas notre fameux @. Quand a-t-il été introduit ? Par qui ? Pourquoi ? Epais, le mystère plane. Faut-il postuler que ce sont les comptables et les commerciaux bien plus que les écrivains et les journalistes qui ont demandé ce caractère ? Si oui, quand ? On lit parfois que le clavier de l'Underwood de 1895 était déjà le clavier standard actuel, mais d'autres sources situent aussi l'apparition du @ dans les années 40. Et comment est-on passé à notre @ à nous ?C'est ce que nous verrons la semaine prochaine.(A suivre)